Rédigé par 14 h 08 min CDs & DVDs, Critiques

Entrez dans la danse (Lully, D’Anglebert & alii, le Manuscrit de Mme Théobon, Rousset – Aparté)

Le Manuscrit de Madame Théobon

Œuvres et transcriptions d’Ennemond Gaultier, Jacques Champion de Chambonnières, Jacques Hardel, Jean-Baptiste Lully, Jean-Henri d’Anglebert, Nicolas Lebègue et Pierre Gautier

CD1 : Pièces en ré mineur
1. Prélude* (anonyme)
2. La Loureuse [allemande] – Jacques Champion de Chambonnières
3. Courante du vieux Gaultier l’Immortelle – Ennemond Gaultier/Jean-Henri d’Anglebert (transc.)
4. Branle des gueux* (anonyme)
5. Gigue de Gaultier – Ennemond Gaultier/Jean-Henri d’Anglebert (transc.)?
6. “Le beau berger Tircis [près de sa chère Annette]” (anonyme)

Pièces en do majeur
7. Prélude* – Jean-Henri d’Anglebert?
8. La Descente de Mars & Menuet (Thésée, LWV 51) – Jean-Baptiste Lully
9. “Adieu panier Vendanges sont faites” [vaudeville] (anonyme)
10. Premier couplet du rigaudon (Acis et Galatée, LWV 73) – Jean-Baptiste Lully
11. Chaconne de Monsieur d’Anglebert – Jean-Henri d’Anglebert
12. Menuet & doubles* (anonyme)

Pièces en sol mineur
13. [Ouverture de] La Grotte de Versailles – Jean-Baptiste Lully
14. Les Échos d’Atys – Jean-Baptiste Lully
15. Courante de Monsieur de Lully – Jean-Baptiste Lully/Jean-Henri d’Anglebert (transc.)
16. “Goûtons bien les plaisirs [bergère]” (La Grotte de Versailles, LWV 39) – Jean-Baptiste Lully
17. “Dieu des enfers” (Ballet royal de la Naissance de Vénus, LWV 27) – Jean-Baptiste Lully
18. Gigue [en rondeau] de Rousseau – Jean Rousseau
19. Air [deuxième air] – Jean-Baptiste Lully?
20. Sommeil d’Armide – Jean-Baptiste Lully
21. Passacaille d’Armide – Jean-Baptiste Lully
22. Les songes agréables d’Atys – Jean-Baptiste Lully
23. [Sarabande]* (anonyme)

Pièces en si bémol majeur
24. Prélude* (anonyme) – Gaspard Le Roux?
25. Les songes funestes d’Atys – Jean-Baptiste Lully
26. Deuxième air [des songes funestes d’Atys] – Jean-Baptiste Lully

Pièces en la mineur
27. Prélude* – Jean-Henri d’Anglebert?
28. Allemande de Monsieur de Lully – Jean-Baptiste Lully
29. “J’ay passé deux jours sans vous voir” [vaudeville] (anonyme)
30. Gavotte d’Hardel – Jacques Hardel & double – Louis Couperin
31. Air de Joconde [allemande] – Jean-Baptiste Lully

CD2  : Pièces en ré mineur
1. Prélude* (anonyme)
2. Les Folies d’Espagne – Jean-Henri d’Anglebert
3. “Dans nos vaisseaux”, premier et deuxième rigaudons (anonyme)
4. Noël [“Une jeune Pucelle”] (anonyme)

Pièces en fa majeur
5. “Ô beaux jardins” [sarabande] – Jacques Champion de Chambonnières
6. Gigue* (anonyme)
7. Sarabande* – Jacques Champion de Chambonnières?

Pièces en do majeur
8. Prélude* (anonyme)
9. Allemande – Jean-Henri d’Anglebert
10. La Courante [Iris] /et son double Jacques Champion de Chambonnières
11. Sarabande – Monnard
12. Chaconne de Galatée – Jean-Baptiste Lully
13. La Marche de Cadmus – Jean-Baptiste Lully
14. Gavotte – Nicolas Lebègue
15. Canaris* (anonyme)
16. Menuet* (anonyme)

Pièces en sol mineur
17. Entrée d’Apollon (Le Triomphe de l’amour, LWV 59) – Jean-Baptiste Lully
18. Suite de l’Entrée [d’Apollon] (Le Triomphe de l’Amour, LWV 59) – Jean-Baptiste Lully
19. Les Plaisirs de Gautier – Pierre Gautier
20. Rigaudon et second rigaudon* (anonyme)
21. Prélude pour les Muses (Isis, LWV 54) – Jean-Baptiste Lully
22. Air en rondeau* – Jean-Baptiste Lully?
23. Air des Maures (Ballet des muses, LWV 32) – Jean-Baptiste Lully
24. Second air des Maures (Ballet des muses, LWV 32) – Jean-Baptiste Lully
25. Chaconne d’Arlequin (Le Bourgeois gentilhomme, LWV 43) – Jean-Baptiste Lully

Pièces en do majeur
26. Prélude* (anonyme)
27. Vaudeville* (anonyme)
28. Gigue Ennemond Gaultier/Jean-Henri d’Anglebert (transc.)?
29. Menuet de Flore [“le vin et l’amour m’égayent tour à tour”] (anonyme)

Pièces en sol
30. Prélude [Ritournelle] (Phaëton, LWV 61) – Jean-Baptiste Lully
31. La Mariée de Roland (Les Noces de village, LWV 19) – Jean-Baptiste Lully
32. Second air de la Mariée [Roland] (Roland, LWV 65) – Jean-Baptiste Lully
33. “La jeune Iris [me fait aimer ses chaînes]” (anonyme)
34. Logistille [Ritournelle des Fées de Roland] – Jean-Baptiste Lully
35. Chaconne de Phaëton – Jean-Baptiste Lully
36. Menuet d’Amadis [“Suivons l’Amour”] – Jean-Baptiste Lully
37. Sarabande Jeunes zéphyrs de M. Chambonnières – Jacques Champion de Chambonnières
38. Ritournelle de Fontainebleau (Ballet des Saisons, LWV 15) – Jean-Baptiste Lully
39. Menuet* (anonyme)
40. Sarabande* (anonyme)

* première mondiale

Christophe Rousset, clavecin Nicolas Dumont (1704)

Digipack double, enregistré en novembre 2020 à l’Hôtel de l’Industrie (Paris), Aparté AP 256.

Il faut bien choisir ses compagnes, pour la plus grande gloire de la musique. Qu’on se souvienne de la fin des jours heureux de Bach à Köthen qui prirent fin après le remariage du Prince Leopold, ou la dévote fin de règne du Grand Roi après ses morganatiques épousailles avec Mme de Maintenon. Mais pourquoi donc s’attarder à ces préjugés d’alcôves ? Pour en venir au sujet, qui est bel et bon, et fort neuf : Christophe Rousset a acquis en 2004 un ouvrage sur… Ebay. Et la trouvaille se fait découverte : un manuscrit, rempli de pièces elles-mêmes en partie inédites, qu’il a retracé comme ayant appartenu à Mme Lydie de Théobon, rédigé de la main de deux copistes. Ladite dame eut une liaison avec Louis XIV de 1670 à 1672 environ (!) mais le manuscrit est plus tardif, puisqu’il comprend nombre de pièces composées ultérieurement. Une telle manne donne furieusement envie de passer son temps à écumer le site aux enchères bien connu… Mais au-delà de ce flair de dénicheur, le claveciniste a rassemblé les pièces du manuscrit par tonalités pour en partager le contenu dans cet enregistrement, recréant de petites suites, à la manière d’Anglebert (l’appareil critique du disque permet de retrouver – et reprogrammer sur sa platine le cas échéant) la séquence originelle. Et pour le gourmand Rousset, dont on sait les longues affinités avec Lully (les superbes réalisations de tragédies lyriques de Roland, Persée ou Bellérophon en témoignent, de même que les plus froides Alceste, Phaëton ou Armide en témoignent) et avec D’Anglebert (Decca), ce manuscrit est du pain béni.

On y retrouve l’artiste dans sa meilleure forme, mélange de noblesse moirée (Sommeil et passacaille d’Armide, Chaconnes de Galatée, de Phaëton, Entrée d’Apollon…), de nervosité (Descente de Mars & Menuet de Thésée, Marche de Cadmus), de force tranquille (Courante de Chambonnières, Chaconne d’Arlequin feutrée), mais aussi de pompe grandiose (Entrée d’Apollon, Prélude pour les Muses) et de tendresse (Les Plaisirs de Gautier). La sobriété lisse et mesurée qu’on lui a quelquefois reproché dans certaines tragédies lyriques n’est nulle part ici présente, tant le clavier respire, dialogue, se donne et se reprend dans un épanchement éloquent, sans renier un contrepoint plus grave, notamment dans les Préludes. Certaines danses sont enlevées (Branle des gueux), d’autres presque nostalgiques (Courante de Lully transcrite par d’Anglebert, Dieu des Enfers, la Sarabande de Chambonnières). Le flot des suites étonne par sa cohérence et sa fluidité, alors même qu’il procède d’un panachage où les transcriptions de Lully, de pièces de Chambonnières ou D’Anglebert (dans les fameuses Folies d’Espagne, kaléidoscopique feu d’artifice, avec une variation bonus qui n’est pas dans la version éditée !) ou de petits airs anonymes (le sémillant “Dans nos vaisseaux”, une fière “une jeune pucelle” moins désespérée que d’habitude).

Christophe Rousset, décidément très inspiré, insuffle un naturel fier qui transcende l’hétérogénéité du matériau avec une exquise grâce, se faisant tour à tour virtuose ou dansant, les ornements sont d’une précision et d’une évidence qui ne vire jamais à la sophistication affectée en dépit de leur omniprésence. Certes, les pièces n’ont pas toutes la complexité des transcriptions de D’Anglebert (quoique cela y ressemble souvent par la main droite très chantournée). Certes, on badine parfois un peu… Mais il y a du théâtre et de l’opéra dans cet homme-là, et l’artiste, qu’on sent heureux de retrouver après restauration son riche clavecin Nicolas Dumont de 1704 délivre un enregistrement puissant, souriant, jubilatoire et très personnel (comme dans cet Air de Joconde de Lully pourtant bien carré qui se perd soudain dans des harmonies aigues étonnantes). Une perle indispensable dans toute discothèque clavecinistique ou lullyste. 

 

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 16 août 2022
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