Jean-Baptiste LULLY (1632-1687)
Atys (1676)
Romain Champion, Atys (haute-contre)
Bénédicte Tauran, Sangaride (dessus)
Amaya Dominguez, Cybèle (dessus)
Aimery Lefèvre, Célénus (basse-taille)
Maud Ryaux, Doris (dessus)
Maïlys de Villoutreys, Mélisse (dessus)
Matthieu Heim, Idas (basse)
Vincent Lièvre-Picard, Morphée (haute-contre)
Le Chœur du Marais
La Simphonie du Marais
Direction Hugo Reyne
2h47, 3 CDs, Musiques à la Chabotterie, 2010.
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Atys. La tragédie en musique que, sans doute, les mélomanes connaissent le mieux. Peut-être la première qu’ils ont vraiment connue et appris à connaître, malgré le premier Alceste de Malgoire (1975), malgré Les Boréades de Gardiner (1983), deux productions qui ont contribué à faire connaître la « première mouture » de l’opéra français, avec la deuxième tragédie en musique (Alceste, 1674, juste après Cadmus et Hermione, 1673) et la dernière d’entre elles, jamais représenté du vivant de son auteur. À l’heure où la tragédie en musique de Lully qui restait encore dans les cartons vient d’en sortir, l’heure où Bellérophon paraît enfin, à Beaune ; à l’heure où deux des artisans principaux de l’Atys mythique de 1986-87 s’apprêtent à la reprendre à l’Opéra-Comique, la boucle est aussi bouclée par un nouvel enregistrement de l’œuvre de Lully et Quinault par La Simphonie du Marais et Hugo Reyne. Cette boucle, c’est aussi la sienne , non pas que Lully s’apprête à retourner dormir — il a maintenant sa place dans les oreilles des amateurs — mais que le label qui, avec les enregistrements d’Hugo Reyne, avait consacré une collection au « Musicien du Soleil », Accord, met fin à celle-ci après le dixième volume, le Ballet des Arts dont nous avions fait état dans nos lignes et colonnes virtuelles. C’est donc le label Musiques à la Chabotterie qui a offert à Hugo Reyne et son ensemble la possibilité de faire entendre leur Atys, « l’opéra du Reyne », comme l’appelle avec un clin d’œil le copieux livret.
Rappelons néanmoins que si les tragédies en musique du Surintendant ont toutes connues, depuis 1987, au moins une fois les gloires de la scène ou du concert, toutes ne sont pas enregistrées, toutes ne bénéficient pas d’enregistrements définitifs ; rappelons aussi que la production de Lully, c’est aussi plusieurs comédies-ballets, et non pas uniquement Le Bourgeois Gentilhomme, c’est aussi plusieurs ballets de cour dont certains mériteraient sans doute qu’on leur redonne vie, comme le Ballet des Amours déguisés, avec sa plainte d’Armide et son duo entre Marc-Antoine et Cléopâtre, le Ballet d’Alcidiane et ses récits et ses chaconnes, le Ballet de la Naissance de Vénus et sa plainte d’Ariane et ses chœurs, le Ballet des Muses et ses insertions théâtrales et théâtro-musicales (La Pastorale comique, entre autres). Non, la connaissance de Lully n’est pas à son terme avec ses opéras, et il y a encore de fort belles pages à nous faire entendre. Tout cela sans souffler mot des « successeurs » de Lully, à commencer par Pascal Collasse dont aucune tragédie n’est enregistrée, pas même cet Achille et Polixène commencé par le maître et fini par l’élève-secrétaire.
Rejouer Atys. Ce n’est évidemment pas un acte anodin ; c’est un choix délibéré. Certes, la version des Arts Florissants et de William Christie fait référence, avec ses solistes de premier plan ; pour autant, Hugo Reyne et toute son équipe nous prouvent qu’une autre version, une autre lecture est possible. Une lecture nouvelle, et pas uniquement une lecture « vingt ans après ».
C’est avant tout une lecture scrupuleuse de la partition qui sera ici goûtée. Hugo Reyne l’explique lui-même, pas de « gadgets », « vous n’entendrez pas dans la basse continue de contre-chants de viole ou de basse de violon », un grand respect de ce que la partition nous apprend en matière de tempi et d’orchestration. Un travail sur les timbres, justement, opposant vents, cordes et continuo. Certes, en 1676, il n’y avait sans doute pas de flûtes traversières dans l’orchestre de Lully ; elles apparaissent en 1681 dans Le Triomphe de l’Amour ; mais dans les reprises ultérieures, il a pu y en avoir, et ce n’est pas seulement ici une coquetterie, mais un choix : le mélange des flûtes à bec et des flûtes traversières donne un son particulier. Il suffit d’écouter le Sommeil pour se convaincre que ce choix est bon. Les timbres, vous dis-je.
Une lecture musicale précise, donc, « fidèle à la partition », mais pas pour autant terne et sans personnalité. Une vraie lecture musicale.
Une lecture dramatique aussi, qui sait faire la place autant au théâtre (écoutez le début de l’acte V) qu’à la poésie (acte I, scènes 3 et 4) ; qui sait que le théâtre peut-être poétique (« Quoi, vous pleurez ? », acte IV scène 1). Le travail sur le texte et sur sa déclamation a été réalisé avec brio ; on comprend le livret de Quinault, mieux : on écoute les vers de Quinault. Et puis, simplicité et élégance sont de rigueur : point d’ornementation outrée, surtout dans les récitatifs, en réaction contre l’air de cour dont c’était l’apanage. Il y a certes ici des airs ornés (« Quand le péril est agréable », acte I scène 3, est un délice ici), mais en ce qui concerne le récitatif… « Il n’y a pas comme cela dans votre papier, et ventrebleu, point de broderie ! Mon récitatif n’est fait que pour parler » disait Lully, d’après Le Cerf de La Viéville, qu’Hugo Reyne cite. Oui, l’on parle, mais on ne dit pas la météo, on dit un beau texte, et c’est sans doute le plus bel hommage que l’on pouvait rendre à celui qu’on oublie derrière le Surintendant, le librettiste Quinault, considéré jusqu’à la fin du genre « tragédie en musique » comme un modèle insurpassable, peut-être même inégalable.
Du côté des solistes, on est surpris par l’extraordinaire unité de l’équipe. Tous chantent un beau français, et le chantent de la même manière. Tous ont des voix bien caractérisées, belles, nobles. Amaya Dominguez rappelle, par son timbre imposant et son vibrato marqué (parfois envahissant), Guillemette Laurens, mais elle porte sa Cybèle aux nues, comme son illustre devancière, et domine largement le chœur dans les scènes qui l’y confrontent (acte I scène 8, acte V scène 7) par son autorité. Même dans le malheur, elle est toujours déesse, et des plus grandes. Aimery Lefèvre (Célénus) est un jeune roi, tendre et emporté, se situe, comme il se doit, un peu en-deçà de la déesse. Pour autant, il ne manque pas de charmer par un timbre chaud et noble. Que Sangaride est charmante avec la voix de Bénédicte Tauran ! Ce n’est pas tout à fait une bergère, car le timbre est un peu corsé ; ce n’est pas non plus une déesse. Et quelle élégance ! Quant à Atys, personnage ambigu, Romain Champion a bien compris que s’il était pris dans un drame sentimental et humain, il n’avait rien d’un héros — ses actes les plus grands se bornent à tromper son ami et à abuser du pouvoir qui lui est conféré par la déesse. Romain Champion chante ambigu, tout en chantant bien. Il est son personnage, tout autant qu’Amaya Dominguez. La voix est belle, ronde, et altière. Voilà une haute-contre de premier plan, assurément ! Les seconds rôles sont plus qu’honnête, et sans détailler, Vincent Lièvre-Picard est un Morphée enchanteur et Matthieu Heim un Idas rassurant et un Sangar bonhomme.
L’orchestre brille par sa variété. Le chœur articule comme on rêve d’entendre un chœur articuler : on comprend tout ! La direction d’Hugo Reyne est précise, et n’oublie jamais qu’Atys est l’opéra du roi, mais aussi l’opéra des passions.
Il faut imaginer l’immense travail réalisé par toute l’équipe pour offrir à l’auditeur un objet musical si abouti. Cacher l’art par l’art même ; probablement nous y sommes. Un nouvel Atys, ça n’est jamais anodin, avons-nous dit. Ajoutons : et surtout pas celui-là !
Loïc Chahine
Technique : excellent enregistrement, clair et précis.
Étiquettes : Champion Romain, Jean-Baptiste Lully, La Simphonie du Marais, Laurens Guillemette, Lefèvre Aimery, Lièvre-Picard Vincent, Loïc Chahine, Muse : or, Musiques à la Chabotterie, opéra, Reyne Hugo, Tauran Bénédicte Dernière modification: 21 juillet 2020
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