« Ferveur et extase »
Oeuvres vocales et instrumentales de Francesco Cavalli, Luigi Rossi, Alessandro Scarlatti, Michelangelo Faggioli, Andrea Falconieri, Barbara Strozzi, Biagio Marini, Claudio Monteverdi, Henry Purcell
Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano
Ensemble Amarillis
Héloïse Gaillard, flûtes à bec, direction
Violaine Cochard, clavecin, orgue positif, direction
Alice Piérot, Gilone Gaubert-Jacques, violons
Fanny Paccoud, alto
Emmanuel Jacques, violoncelle
Richard Myron, violone
Monica Pustilnik, archiluth
64’18, Ambronay éditions, 2011.
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Lors du premier contact avec un disque nouveau, dont le programme avait été chroniqué avec enthousiasme par que notre rédacteur en chef à Ambronay, l’on peut s’attendre à en connaître le contenu. Ainsi, celui-ci n’échappa pas à la règle, et l’auteur de ces lignes, informé par la couverture (de face comme de dos) qu’il y aurait de la musique italienne du XVIIe siècle interprétée par Stéphanie d’Oustrac et l’Ensemble Amarillis, voulut en savoir davantage. C’est donc tout naturellement qu’il se dirigea à cet instant vers le petit livret accompagnant le disque.
Et là, un premier détail vint nous contrarier : la liste des pistes est assez mal présentée. En effet, le numéro de piste est suivi du « titre de la pièce », au long, et au-dessous, en plus petits caractères, figurent le nom du compositeur ainsi que l’œuvre de provenance. En premier lieu, il eût été préférable que le nom des compositeurs ressorte plus clairement. D’autre part, lorsque l’œuvre de provenance est un opéra, fait-elle moins partie du « titre de la pièce », notion au demeurant assez vague, que les numéros d’acte et de scène ? Vaut-il mieux apprendre qu’un récitatif et un air viennent de l’ »acte II, scène 7″, ou bien de La Didone delirante de Scarlatti ? Chacun est libre de ses choix ; personnellement j’opte pour le second.
Une fois fait le petit travail, assez peu plaisant, de repérage, il apparaît que les morceaux des pistes 4 à 13 sont tous d’Alessandro Scarlatti, et ceux numérotés de 14 à 17 de Michelangelo Faggioli. Que cela n’est-il pas mieux indiqué ! D’autant qu’il s’agit réellement d’ensembles : les quatre pistes de Faggioli forment tout bonnement une cantate, tandis que celles de Scarlatti se groupent en deux passages de l’opéra (acte II, scène 7, et acte III, scène 11) introduits, séparés et conclus par des pièces instrumentales.
Il n’est pas désagréable, en effet, de comprendre où l’on va dans un tel programme, au titre vague — aussi vague en fait que la cohérence du contenu. On sait donc, par le texte de présentation que le programme s’articule autour de deux figures : celles de Didon et de Marie. Ne perdons pas notre temps à chercher pourquoi ce sont ces deux-là, mais laissons-nous aller à simplement profiter de ce que ce rapprochement nous permet d’entendre des pièces rares et inédites.
Encore un regret, cependant : pourquoi avoir clôt ce disque qui, jusqu’à l’avant-dernière piste était tout de musique italienne, par la mort de Didon de Purcell ? Peut-être était-ce pour prouver à l’auditeur curieux qu’il ne valait mieux pas être trop tatillon sur la cohérence du programme…
Ces réserves éditoriales — qui ne sont pas minces à notre sens, puisqu’un auditeur peut légitimement s’attendre à écouter un disque et non une série de pièces diverses réunies sans logique apparente – si elles nuisent à l’ensemble, ne doivent cependant pas laisser croire que celui-ci soit mauvais. Elles se trouvent en fait compensées par les qualités des fragments réunis.
Au-delà de la rareté, déjà signalée, de la majeure partie des pièces proposées, la qualité de l’interprétation est exemplaire. L’expressivité d’abord. On n’attendait pas moins que du théâtre de Stéphanie d’Oustrac, rompue aux beaux rôles tragiques que la musique offre : Médée, Armide, récemment Cybèle… Sa Didon nous est entre autres connue depuis un DVD paru en 2004, dans lequel on retrouvait une captation d’un spectacle de 2001 où elle interprétait le personnage de Purcell.
La voix est là, pleine, ronde, riche, et permet à Stéphanie d’Oustrac de modeler en quelques mesures un personnage d’une certaine complexité. Ainsi, dans la première aria de la cantate de Faggioli, « Il mio cor più non ti chiede », on sent à la fois la colère et la fragilité, le dégoût et le désarroi… Le da capo est soigné et inventif. L’agilité ne manque pas non plus, comme le prouve le second air, « Sè non può seguirti il piè », dont les vocalises sont impeccables de maîtrise et de sens.
Si le disque porte le titre « Ferveur et extase », ce-dernier semble s’appliquer idéalement à la pièce de Barbara Strozzi, « O Maria », motet écrit pour voix et basse continue dans lequel la voix de Stéphanie d’Oustrac brille d’un éclat sobre et souple, maîtrisant toutes ses nuances. C’est du miel pour les oreilles.
Les récitatifs, quant à eux, construisent le théâtre, initient des mouvements. Est-il besoin de dire encore que l’articulation est irréprochable ? Combien faut-il de temps pour passer de l’attendrissement apeuré d’ »Infelice, e che miro » à l’ire outragée de « Crudo, barbaro, ingrato » ? Moins de vingt secondes. Et pour que cette colère se teinte d’amertume sur « T’accolse in questo lido » ?… Inutile de compter ; l’essentiel est là : on entend, on ressent.
Pour les pièces chantées, l’ensemble Amarillis se réduit souvent à un continuo. Mais quel continuo ! Comme l’on pouvait s’y attendre, les formations sont variées, clavecin et orgue jouant en alternance. Remarquons le soutien plus ou moins appuyé du violoncelle élégant, au phrasé fin, d’Emmanuel Jacques et l’archiluth discret et moelleux de Monica Pustilnik. De la variété, mais sans affectation, sans excès de fioritures, sous les doigts savants de Violaine Cochard, particulièrement dans les intonations — en arriver à parler d’intonation au clavecin, c’est déjà tout dire.
La flûte d’Héloïse Gaillard est précise, incisive parfois, souvent douce — l’instrument porte le nom de flauto dolce, après tout. Le phrasé est souple, ample et clair ; le son également. Quant à l’agilité, elle ne perd jamais de sa qualité. Les concertos de Scarlatti ne donnent ainsi plus l’impression d’être des « intermèdes » ; leur intérêt est indéniable, et le chant, après tout, ne s’arrête pas tout à fait. Les cordes sont précises et fines, avec un son net — les Pleurs d’Orphée ayant perdu sa femme en attestent ; tout au plus pourrait-on souhaiter un peu plus de rondeur. Mais la flûte l’apporte, car quand elle quitte son surplomb pour venir réellement se mêler aux violons, on sent qu’Amarillis n’est pas une réunion hasardeuse de musiciens, mais qu’il s’agit bien d’un ensemble.
Le programme, donc, apparait incohérent. Du moins l’est-il sur le papier : à l’oreille, la cohérence se découvre dans la beauté.
Loïc Chahine
Technique : enregistrement clair et précis.
Étiquettes : Ambronay éditions, d'Oustrac Stéphanie, Ensemble Amarillis, Loïc Chahine, Muse : or Dernière modification: 11 février 2022