« Compositrices du Seicento italien »
Antonio Vivaldi (1678-1741), Sonata prima en sol mineur,
Isabella Leonarda (1620-1704), Sonata prima a piu stromenti,
Barbara Strozzi (1619-1677), Hor Che Apollo è a Theti in seno, pour soprano, Cantata, pour soprano, Costume de grandi, La Vendetta.
Giovanni Battista Reali (1681-1751), Sinfonia X (Capriccio) en La majeur, Sinfonia XII (Folia).
Maria Teresa Agnesi (1720-1795), Non piangete, aria pour mezzo-soprano.
Giovanni Battista Reali (1681-1751), Sinfonia IV (Capriccio) en ré majeur.
Maria Terasa Agnesi (1720-1795), Afflita e misera, aria pour mezzo-soprano.
Johann Sebastian Bach (1685-1750), Concerto en ré majeur, extrait, Larghtetto.
Antonio Vivaldi (1678-1741), Follia, sonate n°12 en ré mineur.
Eva Zaïcik, mezzo-soprano
Le Consort :
Théotime Langlois de Swarte, violon
Sophie de Bardonnèche, violon
Hanna Salzenstein, violoncelle
Louise Pierrard, viole de gambe
Justin Taylor, clavecin et direction
Cathédrale Saint-Louis des Invalides, Paris, 30 mars 2023,
concert de clôture du cycle « Femmes compositrices, une plume pour une seule arme ».
Sept ans déjà qu’ils allient leurs talents et nous sommes encore tentés d’écrire que Le Consort est un jeune ensemble. Les raisons ne manquent pas à cela. Tout d’abord l’objective jeunesse des interprètes composant l’ensemble, Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche au violon, Hanna Salzenstein au violoncelle, et Justin Taylor au clavecin, ce dernier assurant de plus la discrète direction, ou peut-être serait-il plus juste de dire coordination de l’ensemble. Ajoutez ce soir la participation de Louise Pierrard à la viole de gambe et vous obtiendrez le quintet instrumental de la soirée. Mais encore plus que la jeunesse de ses interprètes, c’est bien la fraicheur et la grâce légère et rythmée de leurs interprétations qui nous les fait paraître ancillaires, avec ce que cela revêt de dynamisme, d’allant et de promesses sur l’avenir.
De l’ensemble nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons de leur dernier disque, Specchio Veneziano (Miroir Vénitien), paru chez Alpha-Classic à la fin de l’année 2021 et dans lequel se reflètent quelques très jolies pages du vénitien Giovanni Battista Reali (1681-1751) dans les autrement plus connues partitions d’Antonio Vivaldi (1678-1741), son contemporain. Outre de très appréciables qualités d’interprétations, le disque avait pour vertu de mettre en lumières Reali, compositeur injustement méconnu et dont la plupart des airs joués étaient enregistrés pour la première fois.
Pour clôturer le cycle Femmes compositrices, une plume pour une seule arme, constituant l’un des jalons de la saison musicale 2022-2023 des Invalides, le Consort s’associe ce soir à Eva Zaïcik, mezzo-soprano avec laquelle l’ensemble a déjà collaboré à plusieurs reprises, notamment sur deux enregistrements, Venez chère ombre (Alpha-Classic, 2019), et un autre disque à nos oreilles également aimable, Royal Haendel (Alpha-Classic, 2021), explorant les influences italiennes dans les compositions londoniennes de ce dernier. Au contraire de ce que pourrait laisser penser le titre du cycle, le programme de la soirée n’est pas exclusivement dévolu aux compositrices, mais, tout en leur réservant une part conséquente, s’autorise quelques incartades vers ces messieurs, eux non plus dénués de talents, au gré de nouvelles créations de l’ensemble ou de morceaux figurant dans leurs précédents enregistrements.
L’entame du programme, sur la première sonate en sol mineur de Vivaldi, est l’occasion de retrouver l’incise précise des attaques de Théotime Langlois de Swarte, la franchise de son approche du rythme, faisant rejaillir de son instrument des sonorités vibrantes et granulées tout à fait adaptées à la fougue de la partition du maître vénitien. Secondé avec une visible complicité par Sophie de Bardonnèche, les deux violonistes imposent avec cette œuvre classique du répertoire vivaldien une belle entrée de concert.
La programmation étant essentiellement constituée par des compositrices, il est temps de faire réémerger quelques noms souvent délaissés, voire oubliés, dont les partitions se retrouvent pour quelques musiciens explorateurs passionnés dans les fonds des bibliothèques, activité prisée de nos musiciens. C’est assurément le cas de Isabella Leonarda (1620-1704), ursuline de Novare dont nous est donné le plaisir d’entendre sa Sonata prima a piu stromenti. En faire une compositrice de premier plan oubliée serait une exagération, mais cette sonate très classique, à l’antiquo, émergeant d’une structure médiévale est fort agréable, délivrant une gravité mélancolique et un beau relief entre les lignes de violons.
Mais déjà le programme se poursuit par quelques détours du côté de Barbara Strozzi. Cette dernière semble être devenue un incontournable des programmations de compositrices et si les esprits les plus chagrins avanceront que la compositrice se complait parfois dans un certain maniérisme, multipliant les compositions aux accents empesés, nous rétorqueront pour commencer que cette partie du programme marque l’entrée en scène de la mezzo-soprano Eva Zaïcik dont la voix claire, limpide et l’agilité tant vocale que scénique ne peut qu’enchanter. Le Hor Che Apollo è a Theti in seno est d’emblée l’occasion pour la jeune révélation des Victoires de la musique 2018 d’offrir au public la démonstration de son amplitude, et d’une voix aux beaux chromatismes, en parfaite symbiose avec ce type de répertoire. Se dégage de la voix d’Eva Zaïcik un naturel et une émotion, particulièrement dans les aigus, qui nous font la suivre dans toutes les audaces. Et peut être tout particulièrement dans cet Costume a grandi, faisant démentir ce que nous avons précédemment écrit sur Barbara Strozzi ; ce court aria sur fond de critique sociale révélant un humour mutin, réhaussé de quelques notes au violon jouées pizzicato. Un humour que l’on retrouve, toujours chez Strozzi, dans le très court mais très mélodieux air de La Vendetta.
La voix d’Eva Zaïcik nous fera encore au cours de ce programme découvrir une autre compositrice délaissée du répertoire, à savoir Maria Teresa Agnesi (1720-1795), d’origine milanaise dont le Non piangete donné ce soir, solennel et grave, prend des accents pergolésiens. C’est d’ailleurs en complément de programme du Stabat Mater de Pergolèse que l’Ensemble Les Surprises avait eu l’occasion de donner lors du dernier Festival de Saint-Denis l’ouverture du Ulisse in Campania, opéra de Maria Teresa Agnesi, la dame ayant été de son vivant connue et ayant composé pas moins de sept opéras. C’est également à elle que nous devons en fin de programme ce Afflita e misera, pour le moins classique dans sa composition et un peu affecté.
Le Consort nous gratifie également ce soir de trois airs issus de son disque Specchio Veneziano qui comme nous l’évoquions jetait une salutaire lumière sur les compositions de Giovanni Battista Reali (1681-1751). C’est tout d’abord le capriccio de sa Sinfonia X en La majeur offrant un très beau duo de violons et violoncelle dans lequel se répondent les instruments dans une nervosité mélodique poignante, immédiatement suivi de la Folia de la Sinfonia XII, à la partition du premier violon tendue, perpétuellement sur le fil et présentant une intensité tout à fait comparable aux partitions vivaldiennes. A ces deux airs répondent le Capriccio de la Sinfonia IV en ré majeur que l’ensemble se plait à exécuter en changeant de place au sein de la cathédrale des Invalides, comme un essai sonore, une tentative de déstructurer l’ordre établi.
Après un petit détour du côté de Jean Sébastien Bach pour le joli Larghetto du Concerto en Ré majeur, c’est un final en apothéose avec la si connue mais toujours enchanteresse Follia tiré de la Sonate n° 12 en ré mineur d’Antonio Vivaldi, morceau dont nous avions déjà loué l’exécution sur l’enregistrement du Consort et qui ce soir encore emporte le public pour le final de ce très joli concert venant clôturer tout un cycle de la saison musicale des Invalides.
Par leur fraîcheur d’exécution et leur audace, les membres du Consort et Eva Zaïcik ont réchauffé en ce début de printemps les murs un peu froids de la solennelle cathédrale. La vivacité de leur interprétation ne semble être que l’un des aspects de leur soif de découvertes, et soyons certains que nous ne tarderons pas à les retrouver bientôt dans d’autres projets, dans lesquels nous les suivrons avec un plaisir intact.
Pierre-Damien HOUVILLE
Étiquettes : Jean-Sébastien Bach, Pierre-Damien Houville, Reali, Vivaldi Dernière modification: 19 novembre 2024