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Carnet de Festival (1) : Le destin polonais manqué du Roi Henryk Walezy (Misteria Paschalia, Cracovie, 7 avril 2023)

“La vertu est une musique et la vie du sage une harmonie.”
(Sienkiewicz, Quo Vadis)

20 ans déjà. 20 ans après le lancement de Misteria Paschalia, festival de musique baroque annuel de Cracovie. Pour cette édition spéciale anniversaire, au superbe visuel inspiré d’une gravure d’après Rubens, blanc et or, le festival s’est écarté de sa formule qui consacrait selon les ans une aire culturelle : France, Allemagne, Italie… La vingtième est le temps des retrouvailles post-Covid, et du plaisir partagé de revoir, ensemble, des musiciens fidèles et qui soutinrent et accompagnèrent MP. Et l’on s’enorgueillira de noter autant d’orchestres et d’artistes français, dans un répertoire éclectique allant des airs de cour sous Louis XIII à la Vienne de fin de (XVIIIè) siècle en un grand tour d’Europe réaffirmant l’ancrage et la solidarité européenne de cette Pologne aux confluents de l’ Europe (notamment centrale et du Sud) et de l’Est.

Artur Grottger, La Fuite d’Henri de Valois de Pologne, huile sur toile (1860), Muzeum Narodowe w Warszawie (Musée national de Varsovie) – Source : Wikimedia Commons

Mais avant de parler de musique, fidèle à la tradition de nos carnets de festival qui s’intéressent également aux lieux et au temps, revivons ensemble notre voyage. Nous sommes arrivés dans les frimas de la soirée du Vendredi Saint, et des reliquats de neige bordaient encore les pistes d’atterrissage. Pendant le vol, nous avons songé au destin manqué d’une Pologne davantage tournée vers l’Ouest, et aux liens plus étroits avec la France. Si, à l’époque qui nous préoccupe, nos lecteurs songent immédiatement à l’épouse de Louis XV, la discrète Marie Leszczynska, ou à l’exil lorrain de son père Stanislas, il y eut un éphémère moment où l’alliance franco-polonaise aurait pu prendre une toute autre ampleur. Ce moment, c’est le règne trop bref d’Henryk IV Walezy, éphémère Roi de Pologne et Grand-Duc de Lituanie de 1573 à 1574, du temps de « la République des Deux Nations » (1569-1795). Vous n’y êtes toujours pas ? Ce Henryk n’est autre qu’Henri, duc d’Anjou, frère de Charles IX, et… futur roi de France sous le nom d’Henri III de Valois.

Henri sur le trône de Pologne. Gravure d’époque non identifiée (sans lieu ni date) – DR

En effet, après la mort du dernier roi de la dynastie des Jagellons, Sigismond II Auguste (1520-1572), la Diète établit en 1573 le principe de la monarchie élective qui perdurera jusqu’à 1791 consacrant la fin de la succession héréditaire dynastique remplacée par une élection de candidats – y compris des princes étrangers – par l’ensemble des membres de la noblesse par acclamation. Et ce n’est pas une mince victoire de la diplomatie française d’alors, si peu de temps après la Saint-Barthélémy (dans une Pologne prônant la tolérance religieuse entre catholiques et protestants) que d’avoir réussi ce tour de force affaiblissant les Habsbourg. Hélas, une fois élu le 11 mai 1573, Henryk n’est guère pressé de rejoindre ses nouveaux états, et prend cet honneur pour une relégation. Il n’arrive à la capitale Cracovie que fin janvier 1574, où il est couronné en la magnifique quoiqu’étroite cathédrale du Château de Wavel. La greffe ne prend pas. Roi de Pologne et Grand-Duc de Lituanie de mauvaise grâce, fût-elle celle de Dieu et de la Diète, nostre bon roi Henri s’entoure d’une poignée de courtisans français, ne s’acclimate guère à la rigueur des mœurs et du climat, ne parle d’ailleurs pas la langue de ses sujets. Il refuse le mariage avec Anna Jagiellonka, la sœur du dernier Jagellon, ce qui aurait renforcé sa légitimité. Il est vrai qu’elle était de 28 ans son aînée.

La cathédrale du Château de Wavel © Muse Baroque, 2023

La suite n’est guère glorieuse… Le 14 juin 1574, Henri de Valois apprend le décès de son frère Charles IX survenu le 30 mai à Vincennes. Il n’hésite pas à s’enfuir de son royaume sous un travestissement dans la nuit du 18 au 19 juin mais les Polonais le poursuivent, le rattrapent, le supplient de rester et il leur promet son prompt retour. Ils le croient. Ils ont tort. Il court, il court le Valois et sa parole de roi s’envole dans la nuit. Le 13 février 1575, à Reims, Henryk IV se mue en Henri III. Il ne renoncera cependant jamais officiellement à son titre de Roi de Pologne, mais l’absent est remplacé par la Diète qui élira Maximilien d’Autriche dès le 12 décembre 1575. Et voici comment les Etats du Soleil ratèrent leurs noces avec ceux de la Lune.

Carnet à suivre

 

Viet-Linh NGUYEN

Étiquettes : , , , Dernière modification: 25 avril 2023
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