Rédigé par 11 h 13 min Concerts, Critiques

Douleur et Passion (Pergolesi, Stabat Mater, Stradivaria, Cuiller – Saint-Louis des Invalides, 13 avril 2023)

Maïlys de Villoutreys © site officiel de l’artiste / Robin Davies

Heinrich Schütz (1585-1672)
Symphoniae Sacrae SWV 258,257,259 & 348

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
Cantate Bekennen will ich seinen Namen BWV 200

Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736)
Stabat Mater

Maïlys de Villoutreys, soprano
Paul Figuier, contre-ténor
Ensemble Stradivaria, orchestre baroque de Nantes
Direction Daniel Cuiller

Cathédrale Saint-Louis des Invalides, 13 avril 2023, dans le cadre du cycle L’Homme et le Sacré de la saison musicale des Invalides

La Moire Atropos ne fut pas tendre avec Pergolesi, tranchant le fil de son existence alors qu’il n’avait que vingt-six ans, l’enlevant à la vie au couvent des Capucins de Pouzzoles et l’empêchant de laisser à la postérité un répertoire aussi foisonnant que ceux d’un Vivaldi ou d’un Bach. L’histoire a retenu qu’il acheva la partition de son Stabat Mater sur son lit de mort, comme Mozart celle de son Requiem, les deux œuvres acquérant une renommée posthume aussi méritée que durable dans l’Europe entière. La célébrité du Stabat de Pergolesi, qui éclipsa celui de Scarlatti qu’il devait remplacer, ce Stabat que même Bach transcrivit dans son Tilge, Höchster, meine Sünden (BWV 1083), qui fut parfois modernisé (par Giovanni Gualberto Brunetti en 1764 par exemple), et qui tend hélas à éclipser quelque peu les autres compositions du genre sur nos scènes et nos églises.

Nous retrouvons Stradivaria et Daniel Cuiller, grand adepte du répertoire italien et qui a déjà enregistré une version de ce Stabat (Adès), mais a aussi interprété nombre de ceux de contemporains tels Girolamo Abos, Giuseppe Tartini & Francesco Gasparini (Cyprès, 2003). Terrain connu donc, presque balisé, mais qui n’empêche le plaisir renouvelé et les choix d’interprétation et de distribution. A ce titre, cette soirée a réservé quelques alliances du meilleur effet qu’il nous faut souligner, au premier lieu desquelles la complicité palpable entre les deux voix de Maïlys de Villoutreys et de Paul Figuier, parfaitement complémentaires et emportant ce Stabat Mater très expressionniste vers des sommets d’extase et de grâce.

Johann Wolfgang Baumgartner (1712–1761), Crucifixion, dessin à la plume, lavis et encre (première moitié du XVIIIème siècle) – Metropolitan Museum de New York, domaine public

Maïlys de Villoutreys, soprane qu’on a croisé notamment avec Les Surprises, Amarillis, La Rêveuse ou encore Pygmalion, délivre une performance pleine de personnalité. On admire une voix au timbre aussi limpide qu’expressif, parfaitement adapté à ce type de répertoire, offrant tout particulièrement dans le Sancta Mater, des teintes douloureuses et résignées qui jamais ne tombent dans le maniérisme. La fusion des voix lors de ce duo avec un Paul Figuier très concentré, en font un moment intense et à la très grande densité émotionnelle. Il faut dire que le compositeur est revenu au texte originel de Jacopone da Todi (mort en 1306), recentrant perpétuellement son propos sur cette mère éplorée, douloureuse, accentuant en cela la portée quasi universelle de son propos. Sous la direction discrète – depuis le violon – de Daniel Cuiller, Stradivaria se fait complice attentif, soutient les voix vec profondeur et respect, et jamais l’orchestre ne prend le dessus sur les voix.

Il est d’ailleurs à souligner qu’au cours d’un récent enregistrement d’un autre chef d’œuvre du genre, le Stabat Mater de Domenico Scarlatti (avec Le Caravansérail de Bertrand Cuiller, Harmonia Mundi, 2022), Maïlys de Villoutreys partageait déjà la distribution avec le jeune contre-ténor Paul Figuier, que l’on retrouve ce soir. Ensemble, ils avaient aussi eu l’occasion de se produire dans un double programme Stabat Mater de Domenico Scarlatti et Pergolesi au Théâtre des Champs Elysées (2019).  S’il devait y avoir une révélation dans ce concert, ce serait bien celle de la voix de Paul Figuier, absolument admirable de diction, ronde et suavement chaude, au phrasé précis. Après une dernière décennie plutôt marquée par une appétence du public pour les voix de contre-ténor aux effets sentimentaux extrêmement prononcés, péchant parfois par un maniérisme exacerbé, Paul Figuier semble avec quelques autres interprètes revenir à un phrasé plus droit, plus rigoureux, recherchant moins l’extravagance vocale qu’une salutaire épure, comme une ligne claire dans le monde musical.

Domenico Morelli (1826-1901), La mort de Pergolesi écrivant son Stabat Mater. Dessin au fusain, au crayon et à la craie blanche sur carte ocre (1854). Musée civique d’Art Moderne et contemporain de Turin – Source : Wikimedia commons

Si l’introductif Stabat Mater dolorosa a été d’emblée l’occasion de faire la démonstration de sa souplesse vocale et de ses subtiles imprécations avec la voix de Maïlys de Villoutreys, le Quae moerebat et dolebat, posé, aux notes enchaînées et fluides s’avère un grand moment auquel nous pourrions ajouter l’autre grand air du Fac ut portem Christi mortem, aussi déchirant que digne.

Jean-Sébastien Bach a inspiré cohorte de compositeurs après lui et de son vivant, mais rendit hommage à Pergolesi et son Stabat Mater dans la cantate Tilge, Höchster, meine Sünden (BWV 1083) précitée, qui constitue quatre après la mort du jeune compositeur une véritable adaptation avec un texte en allemand. Ce n’est pas cette cantate qui fut donnée en complément de programme, mais la BWV 200 Bekennen will ich seinen Namen écrite vraisemblablement à la même période (1740 ou 1742). Il s’agit d’une œuvre lacunaire – seul l’air donné ce soir a été redécouvert au début du vingtième siècle et permet de faire la démonstration de la maîtrise de la composition vocale à laquelle Bach était parvenu à Leipzig – cet aria initialement composé pour soprano exposant à la fois la grâce et la rigueur rythmique caractéristique des œuvres tardives d’un Jean-Sébastien Bach au fait sa carrière. Interprété par Paul Figuier juste avant le Stabat Mater, ce court aria est déjà l’occasion pour le contre-ténor de faire mention de son immense talent.

Enfin, avouons rapidement que nous avons été moins emballés par les Symphoniae Sacrae (SWV 258,257, 259 et 348) de Schütz ouvrant le programme et dont la sobriété luthérienne (et due au contexte des ravages de la Guerre de Trente Ans) ne s’allie pas forcément bien avec l’expressivité sentimentale napolitaine d’un Pergolesi.

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 24 avril 2023
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