Le nouveau décor de scène © Cyprien Tollet / Théâtre des Champs-Elysées
Début 2023, Michel Franck, Directeur général du TCE décide de renouveler le décor de scène auquel nous nous étions habitués depuis tant d’années et qui est en usage lors des nombreuses représentations de concert depuis 2005. Dernièrement, on avait déjà observé que le Théâtre avait retiré certains panneaux, un sur deux, pour des essais d’améliorations acoustiques. L’acoustique du TCE était déjà excellente, y compris pour les ensembles baroques aux effectifs réduits et aux instruments moins sonores, par rapport au siècle romantique suivant, contrairement aux salles trop vastes de Garnier ou Bastille. Pour ce nouveau décor de scène, un trio a été missionné : le scénographe Félix Lefebvre (Kanju), associé à l’accousticien Federico Cruz-Barney (Studio DAP) sous l’oeil attentif de l’architecte du patrimoine Philippe Maffre (Maffre Architectural Workshop) en lien avec la direction technique du Théâtre. Cette équipe a notamment conçu les nouvelles installations scéniques du Festival d’Avignon dans la Cour du Palais des Papes.
L’entreprise a été finement pensée : le TCE nous a indiqué les étapes de ce projet : “un diagnostic acoustique a préalablement été établi : Federico Cruz-Barney et son équipe ont réalisé des mesures acoustiques et effectué plusieurs tests d’écoute lors des séances de répétition et en concert. Ils ont également mené des entretiens avec certains musiciens (notamment ceux de l’ensemble Les Siècles) afin d’avoir leurs avis sur l’acoustique et la conque existante (…). Il a rapidement été constaté que des aménagements pouvaient être faits pour mieux gérer le volume sonore sur scène et améliorer ainsi l’écoute et le confort entre musiciens, sans toutefois réduire la projection du son vers la salle. Après plusieurs tests effectués grâce à des prototypes, ce décor a été construit par l’Atelier Devineau (la fabrication a duré environ 4 mois)” .
Le nouveau décor est constitué de 10 panneau identiques de 900 kg chacun et d’éléments pour le plafond, et nous avons pu en apprécier l’efficacité lors de la superbe représentation d’Alcina avec Il Pomo d’Oro : un son très clair, très détaillé et une lisibilité fine entre les lignes. Pour les audiophile, une comparaison subjective s’impose : c’est un peu comme si on avait perdu la chaleur ronde d’un ampli à lampe pour un système plus analytique, plus fidèle mais parfois moins flatteur car plus égal sur les fréquences.
Nous avons cherché à en savoir davantage, et à échanger avec les concepteurs sur les propriétés acoustiques et esthétiques de cette nouvelle coque, en ce qui concerne l’instrumentarium et le répertoire baroques.
L’ancien décor de scène de 2005 © Cyprien Tollet / Théâtre des Champs-Elysées
“L’endroit du décor”
entretien avec :
Federico CRUZ-BARNEY, acousticien ;
Philippe MAFFRE architecte du patrimoine
& Félix LEFEBVRE, scénographe
Muse Baroque : Bonjour à tous trois, et merci encore d’accepter de répondre à nos questions, afin de creuser un peu plus l’adéquation et les caractéristiques de ce nouveau décor pour le répertoire qui nous intéresse, à savoir la musique ancienne et baroque sur instruments d’époque, dont le TCE est l’un des lieux de prédilection. Est-ce que vous pouvez développer la nature des tests effectués en termes d’effectifs et de types de compositions considérés (soliste seul musique instrumentale, vocale soliste, chorale) ?
Federico Cruz-Barney : Nous avons réalisé deux sortes de tests :
- Ecoute des différentes configurations instrumentales et vocales, en répétition et en situation de concert, à plusieurs emplacements en salle et sur scène ;
- Mesures acoustiques (réponse impulsionnelle, niveaux sonores par excitation au bruit rose)
Ces tests ont été complétés par des entretiens auprès des représentants des différents pupitres, des solistes (notamment un pianiste), des chefs d’orchestre et les équipes techniques et de direction.
Le nouveau décor de scène © Théâtre des Champs-Elysées
Muse Baroque : Poursuivons en approfondissant les aspects liés au répertoire baroque et à ses contraintes particulières : effectifs souvent réduits 10 à 30 instrumentistes pour des opéras en version de concert, des particularités en termes de timbres et textures (notamment la basse continue avec clavecin et cordes pincées, cordes et bois)… Je comprnds que vousavez travaillé avec Les Siècles, est ce que ce type de profil acoustique d’orchestres sur instruments d’époque a été expressément envisagé pour optimiser l’équipement par rapport aux instruments plus puissants et plus nombreux de l’époque suivante ? Est-ce que ce que le diapason parfois plus bas des orchestres baroques (392hz pour la musique française) a été un facteur pris en compte dans l’étude de ce nouveau décor ?
Federico Cruz-Barney : Le nouveau décor se devait d’être aussi efficace pour les musiques ancienne et baroque tout autant que pour des répertoires bien plus récents avec leurs effectifs, les timbres et la sonorité des instruments.
En quelques mots, la géométrie des éléments, verticaux et suspendus, a été étudiée pour apporter la plus grande homogénéité sonore possible sur tout le plateau pour une étendue fréquentielle très large, en essayant de ne pas privilégier certaines fréquences par rapport à d’autres.
Les éléments « striés » et ceux, horizontaux, en saillie des conques verticales, empêchent la concentration de forts niveaux sonores à des endroits particuliers. Cela est particulièrement important dans le cas des instruments de musique modernes.
Il en résulte des sons plus ronds, avec des timbres plus riches et un soutien plus poussé des fréquences en-dessous d’environ 350 Hz. Cela est particulièrement remarquable lorsqu’il s’agit des attaques des sons les plus graves des grands instruments à cordes.
Le nouveau décor de scène © Théâtre des Champs-Elysées
Muse Baroque : Une question d’ordre esthétique : pourquoi des teintes de bois plus claires que le décor précédent ? Est-ce juste un choix visuel ?
Philippe Maffre : La couleur du bois entre dans une réflexion plus large sur le rapport scène-salle. Nous souhaitions améliorer la relation du décor avec la salle, rapprocher le fond de scène des spectateurs. Le choix du bois de bouleau plus clair est destiné à se rapprocher des marbres du cadre de scène, tout comme la dorure à la feuille de cuivre reprend les cannelures et les dorures de la salle, dans une tonalité légèrement différente : plus chaud pour le bois, plus froid pour le cuivre afin de moins marquer ces matériaux et de leur donner plus de modernité, moins de matérialité.
C’est un choix visuel, mais aussi de dialogue et de respect de la salle. Une approche patrimoniale, comparable à celle que nous avons mises en œuvre (l’équipe) pour les nouvelles installations du Palais des papes à Avignon.
Muse Baroque : Pourquoi le décor semble-t-il plus bas, ce qui semble contre intuitif par rapport à l’amélioration des performances acoustiques ?
Federico Cruz-Barney : Le décor est plus bas. L’ensemble est plus ouvert, il donne plus d’air aux sons. La raison principale en est le contrôle des niveaux sonores des grands effectifs, surtout des répertoires romantiques et post-romantiques. Il n’y a quasiment plus d’effets de saturation et la projection sonore vers la salle a été améliorée.
Cela n’affecte pas la sonorité des instruments « anciens ».
Félix Lefebvre : Parmi les différentes configurations que nous avons mises au point, les petites configurations plus spécialement adaptées au répertoire baroque présentent beaucoup plus de réflecteurs que les grandes configurations qui sont plus aérées.
Muse Baroque : Des modifications / ajustements sont-ils prévus après une phase de rodage, un retour d’expérience ?
Federico Cruz-Barney : Cette phase est en cours. Nous assistons à certaines répétitions et concerts et faisons le cas échéant le point avec la direction et les équipes techniques sur ces sujets -là.
Muse Baroque : merci beaucoup à tous trois pour cet entretien.
Propos recueillis le 25 novembre 2024.
En savoir plus :
- https://www.kanju.fr/
- http://www.studiodap.fr/
- https://www.mawarchitectes.com/
- https://www.atelierdevineau.com/
