Rédigé par 19 h 14 min CDs & DVDs, Critiques

Ferré (L’Âme-son, Grenerin, Suites françaises, Helstroffer – Alpha)

“L’Âme-Son” 
Livre de guitare composé par Henry GRENERIN (1680)

Suite en La mineur
Suite en Ré majeur
Antoine Boësset : air de cour “Je meurs sans mourir” (1624)
Suite en Sol mineur
Jean de Cambefort (attr.) : 3ème partie du Ballet Royal de la Nuit, récit de la Lune
Suite en Ré mineur
Passacaille en C Sol Ut Fa

Bruno Helstroffer, guitare baroque Philippe Motet-Rio, 2023 (copie d’Alexandre Voboam, Paris, 1676)
Chantal Santon Jeffery, dessus (pour les 2 airs de cour)

1 CD digipack, Alpha / Outhere, 59’56.

Curiosité quand tu nous tiens… D’abord cet “hameçon / âme-son” espiègle et joueur, un peu potache : le calembour est moins gratuit qu’il n’y paraît car l’artiste, descendant d’un grand-père maître pêcheur, résidait dans la fameuse tour de Nesle et joua du théorbe dans les ballets de cour pour Louis XIII et Louis XIV. Il fut même l’un des Songes d’Atys. Voilà pour ce poisson. Pour le reste, Bruno Helstroffer s’engouffre avec passion dans cette redécouverte qui fait aussi l’objet d’un livre et d’un spectacle et exhume un compositeur de premier plan. Alors, étrangement, cette musique raffinée, synthèse des traditions populaires de la guitare et des expérimentations formelles des luthistes de cour, rappellera à beaucoup le style brisé du luth ou du théorbe et les batteries de guitare sont assez discrètes, l’on pense souvent à De Visé : délicatesse du toucher, variété des ornements, sens de la danse, tout y est. L’on se gorge de cette poésie diaphane et vive, très théâtrale. L’instrument, une copie d’un Voboam de 1676 réalisée par Philippe Motet-Rio, clair et précis, sans dureté acide dans les aigus, rend parfaitement justice à cette lecture. Les mélodies sont simples et suggestives, les trois passacailles superbes de tenue et d’atmosphère nostalgique et noble, avec une préférence pour la complexe Passacaille en C sol ut fa finale, très sensible, par rapport à celle de la Suite en ré majeur, plus lulliste.

On avouera que les deux incursions de Chantal Santon Jeffery, honnêtes, ne sont guère mémorables, et que son “Je meurs sans mourir” quoique sensible peine à rivaliser avec l’interprétation précieuse et plus touchante de Claire Lefilliâtre (Alpha). Mais qu’importe, car ces incartades ne sont là qu’en intercalaire des suites de guitare, aussi inventives que souriantes, d’une tendresse bienveillante et chaleureuse, intimistes et sensuelles. Le guitariste sait à la fois jouer des soupirs dans les préludes et sarabandes (magnifique Sarabande de la Suite en la mineur, toute en murmure tendre), dérouler avec une grâce de danseur de ballet les allemandes (celle de la Suite en ré est particulièrement sophistiquée et ornementée avec naturel), insuffler vitalité aux gigues (une gigue à la manière angloise de la Suite en sol) ou insister sur leur fantaisie (la Gigue aymable de la suite en ré mineur). Le Livre de guitare dont sont extraits les œuvres fut publié en 1680, dédié au Prince de Conti, comprenant 16 suites.  A quand les autres, car le poisson a mordu avec gourmandise à si bel appât ? 

 

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : enregistrement intimiste et chaleureux, capté de près mais avec une douce réverbération.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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