mise à jour
6 janvier 2014

Editorial
Brèves
Numéro du mois
Agenda

Critiques CDs
Critiques concerts
Interviews
Chroniques
Tribune
Articles & Essais
Documents
Partitions

Bibliographie
Glossaire
Quizz

| |
"Pour revenir a son opera de
Medée cy dessus, il est sans contredit le plus sçavant et le plus recherché
de tous ceux qui ont été imprimez" :
la critique contemporaine à
propos des opéras de Charpentier

Michel-Ange, David
© Galleria dell'Academia, Florence / d'après Wikimedia
commons
David & Jonathas [H. 490]
Il ne nous reste de Marc-Antoine
Charpentier, "Parisien,
maître de musique de l'église du Collège, ensuite de celle de ma Maison Professe
des Jésuites, et enfin de la Sainte Chapelle de Paris" comme le présente Du
Tillet, que deux véritables tragédies lyriques qui sont autant de chefs
d'œuvre. A côté des pastorales (Actéon), des opéras de chambre (La
Descente d'Orphée aux Enfers), du Celse Martyr disparu (1687),
seuls David & Jonathas (1688) et Médée (1694) témoignent du
talent du compositeur pour l'opéra, une fois émancipé du carcan
administratif et stylistique du Surintendant florentin (Lully).
Tout comme le Celse Martyr
perdu, David & Jonathas est une tragédie biblique en un prologue
[imbriqué dans l'action et non à la gloire du Roi] et cinq actes, sur un
livret du Père François de Paule Bretonneau. Ce genre ne connaîtra pas
d'autre exemple avant le Jephté de Montéclair (1732). David & Jonathas
fut créé le 25 février 1688 au Collège Louis-le-Grand et reprise en 1706,
1715 et 1741 à Paris et dans d'autres collèges de province. Les
circonstances de sa création sont particulières : en effet, une tradition
ancienne remontant au début du XVIIème siècle veut qu'en fin d'année
scolaire, lors de la remise des prix, une pièce de théâtre en latin ou grec
soit jouée par les élèves, entrecoupée d'intermèdes provenant d'une tragédie
en musique en français. David & Jonathas se partageait donc la scène
avec la tragédie latine Saül, du Père Chamillard, professeur
d'Humanités ; le spectacle intégral [Saül + David & Jonathas] se
déroulant sur 11 actes. Cela explique la construction dramatique
relativement statique de David & Jonathas, conçu comme cinq grands
tableaux où abondent airs, chœurs et pièces instrumentales, alors que
l'action est narrée dans Saül, qui fait ainsi virtuellement office de
récitatif. Comme le souligne Jean Duron, si les acteurs de Saül
furent bien les jeunes élèves, les interprètes de David & Jonathas
provenaient de Versailles ou de l'Académie Royale de Musique.
La partition a été conservée grâce à une copie
d'André-Danican Philidor, aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale de France
[David et/ Jonathas/ Tragedie mise/ en musique par M.r Charpentier/ et
representée sur le Theatre du College de/ Louis le Grand le/ XXV. fevrier
1688./ Recueillie par Philidor l'aisné/ en 1690. partition, ms, 300 x 450
mm, 238 p. F-Pc/ Rés F 924]. Ce fort in-folio, relié aux armes de
France, comporte pratiquement toute la musique de la tragédie (les pages 131
et 132 ont été laissées vierges, interrompant la musique au milieu d'une
chaconne). Toutefois, la basse continue n'est presque jamais chiffrée et
l'orchestration inexistante si ce n'est quelques indications éparses
mentionnant flûtes, hautbois, un quintette à cordes (dessus, hautes-contre,
tailles, basses) avec usage occasionnel de sourdines, et la basse continue.

CRITIQUES CONTEMPORAINES SUR LE
DAVID
& JONATHAS
Tragédie mise en musique par
Mr. Charpentier
et représentée sur le Théâtre
du Collège de Louis le Grand le XXV Février 1688
Lecerf de La Viéville,
Comparaison de la musique italienne, et de la musique françoise où, en
examinant en détail les avantages des Spectacles, &c le mérite des
Compositeurs des deux nations, on montre quelles sont les vrayes beautez de
la Musique, Seconde Partie (Traité du bon goût en musique) :
"Comment ont réüssi ceux de nos Maîtres qui ont été les admirateurs zélez,
et les ardens imitateurs de la manière de composer des Italiens ? Où cela
les a-t-il menez ? A faire des Piéces que le Public et le tems ont déclaré
pitoyables. Qu'a laissé le sçavant Charpentier pour assurer sa mémoire ?
Medée, Saul & Jonathas. Il auroit mieux valu qu'il n'eût rien laissé."
ibid.,
Troisième Partie (Des Fragmens d'un Opera Chrétien) :
"Comment est-il arrivé que personne n'ait imaginé ou n'ait osé hazarder un
Opera Chrétien ? Je ne sçache pourtant pas qu'il en ait paru aucun en aucun
tems, si ce n'est le Jonathas de Charpentier, joüé au Collége de Clermont :
Mais, outre, qu'un Spectacle où les Jesuites se défendent de mettre la
moindre femme et le moindre trait de la galanterie la plus permise, ne
mérite qu'à demi d'être apellée [sic] un Opera : Celui de Jonathas est, ce
me semble, trop sec et trop dénué de sentimens de Morale et de pieté, pour
être apellé un Opera Chrétien."
Mercure Galant, mars 1688 :
"J'ay à vous parler de trois Opera. L'un fut représenté aux Jesuites le 28.
du mois passé. Comme cela pourra vous surprendre, je m'explique. Le College
de Louis le Grand estant remply de pensionnaires de la premiere qualité, et
qui n'en sortent que pour posseder les premières dignitez de l'Estat, dans
l'Eglise, dans l'Epée et dans la Robe, il est nécessaire que cette jeunesse
s'accoutume à prendre la hardiesse et le bon air qui sont necessaires pour
parler en public. C'est dans cette veuë que les Jesuites se donnent la peine
de l'exercer en faisant representer deux tragédies tous les ans. Ils donnent
l'une sur la fin de chaque esté, un peu avant que les vacances commencent,
et elle est representée dans la court du College, parce que la saison est
encore belle. Celle qui paroist sur les derniers jours du Carnaval, se
represente dans une des classes, par les Ecoliers de la Seconde. Ces
tragédies n'estoient autrefois mêlées que de balets, parce que la danse est
fort necessaire pour donner de la bonne grace, et rendre le corps agile ;
mais depuis que la musique est en regne, on a trouvé à propos d'y en mêler,
afin de rendre ces divertissemens complets. On a encore plus fait cette
année, et outre la tragédie de Saül qui a esté representée en vers latins,
il y en avoit une en vers françois, intitulée David & Jonathas, et comme ces
vers ont esté mis en musique, c'est avec raison que l'on a donné le nom d'Opera
à cet ouvrage. On ne peut recevoir de plus grands applaudissemens qu'il en a
eu, soit dans les repetitions, soit dans la representation. Aussi la musique
estoit-elle de Mr Charpentier, dont les ouvrages ont toûjours eu un tres-grand
succés. La comedie de Circé, et celles du Malade Imaginaire, et de
l'Inconnu, dont il a fait la musique, ainsi que de plusieurs autres, en font
foy. On peut dire que si ce qu'il a fait dans ces ouvrages a trouvé tant
d'approbateurs, ils auroient encore plû davantage, s'il avoit eu de plus
belles voix et en plus grand nombre pour les executer. [...] Les vers de cet
Opera de M. Charpentier, sont de la composition du Pere Chamillard, et
imprimez dans le livre qui fut distribué le jour de la representation de cet
ouvrage. Il ne faut que les lire pour connoistre que ce Pere n'en rend pas
moins la délicatesse de la poësie françoise, que de la latine."


Médée, fresque provenant d'Herculaneum
conservée au Musée archéologique de Naples
© Wikimedia Commons / Museo Archeologico Nazionale (Naples).

Médée [H.491]
Médée
est sans contredit l'œuvre profane de Charpentier la plus ambitieuse du
compositeur. Créée le 4 décembre 1693, imprimée en 1694 par privilège royal chez
l'incontournable Ballard, l'opéra
aurait dû être repris à Lille en 1700 (un incendie détruisit les décors, et une
reprise en 1711 reste hypothétique. Il s'agit donc d'une tragédie lyrique
malheureuse, en dépit du succès de l'œuvre : le Dauphin assista à deux des
neuf ou dix représentations de 1694, Monsieur à quatre d'entre elles. Le livret
dense - presque trop - de Thomas Corneille, le langage harmonique de Charpentier
bien plus complexe que celui de Lully, l'opulence de l'orchestre à la française
dans la digne tradition du Surintendant, la souplesse des récitatifs et des
sortes d'arioso indéterminés font de Médée l'unique et sublime véritable
tragédie lyrique à part entière de Charpentier (on a précédemment souligné les
particularités du David & Jonathas destiné à être interprété avec un Saül
en latin). La critique, mis à part Lecerf de la Viéville, lullyste impitoyable,
ne s'y trompa pas.
MEDEE
Tragédie en musique en cinq actes, avec un prologue, représentée à
l'Académie royale de musique le 4 décembre 1693, sous la direction de Pascal
Colasse, dans une mise en scène de Jean Bérain.
Mercure galant (décembre
1693) :
"On jouë un Opera nouveau intitulé Medée. C'est un sujet consacré par
l'antiquité, et qui a reçu l'approbation de tous les siecles. Ainsi on ne
peut rien trouver à redire au fond de son sujet, ny aux caracteres que les
Anciens nous en ont donnez. Quoy qu'il soit fort difficile de traiter dans
un Opera une matiere aussi ample que dans une Tragedie ordinaire, parce
qu'un Opera contient moins de Vers qu'il n'en faudroit pour deux Actes d'une
Tragedie qui ne seroit pas en musique, on peut dire que l'Opera de Medée et
celuy de Bellerophon du mesme Auteur, sont aussi remplis de sujet qu'aucune
autre piece de Theatre que nous ayons. Les passions y sont si vives et sur
tout dans Médée, que quand ce rôle ne seroit que récité, il ne laisseroit
pas de faire beaucoup d'impression sur l'esprit des Auditeurs. Jugez si
ayant donné lieu à faire de belle Musique, Mademoiselle Rochois, l'une des
meilleures Actrices du monde, et qui jouë avec chaleur, finesse et
intelligence, brille dans ce personnage et en fait bien valoir les beautez.
Tout Paris est charmé, de la manière dont cette excellente Actrice le jouë,
et on ne peut se lasser de l'admirer. Cet opéra a esté mis en Musique par Mr
Charpentier, dont depuis vingt ans on a vû mille endroits de sa Musique qui
ont ravy dans diverses pieces de Théatre. Le mariage forcé, le Malade
Imaginaire, Circé, et l'Inconnu en font foy. Il y a dans ces deux premieres,
deux Airs Italiens qui charment, de mesme que celuy de l'Opera de Medée. On
ne doit pas en estre surpris, Mr Charpentier ayant appris la Musique en
Italie, sous le Charissimi, dont Mr de Lulli a esté aussi disciple. Ainsi
l'on ne peut nier qu'ils n'ayent puisé l'un et l'autre dans la mesme source.
Les veritables Connoisseurs trouvent quantité d'endroits admirables dans l'Opera
de Medée. Mr Charpentier qui l'a fait graver, eut l'honneur de le presenter
au Roy il y a quelques jours, et Sa Majesté luy dit qu'Elle estoit persuadée
qu'il estoit un habile homme, et qu'Elle sçavoit qu'il y avoit de tres-belles
choses dans son Opera. Quoy que l'on n'en ait encore donné que neuf ou dix
representations, Monseigneur le Dauphin y est déja venu deux fois ; et Son
Altesse Royale Monsieur l'a vû quatre fois. Il a eu la destinée des beaux
Ouvrages contre lesquels l'envie se declare d'abord, mais ils en brillent
aprés davantage. C'est ce qui est arrivé à plusieurs Opera de Mr de Lulli ;
qui ont esté ensuite l'admiration de tout Paris. On ne voit jamais l'envie
s'attacher aux Ouvrages mediocres, et ils ont leur cours sans que l'on pense
à en dire ny bien, ny mal. Les décorations et les habits de l'Opera de Medée
sont de Mr Bérin. Sa réputation et son sçavoir sont si confirmez sur ces
deux articles, que je ne pourrois vous en dire davantage sans luy faire
tort."
Sébastien de
Brossard, Catalogue :
"TROISIEME PARTIE/ Musique de Chambre ou de Théatre/ In folio/ Operas
françois/ [...] Au reste pour revenir a son opera de Medée cy dessus, il est
sans contredit le plus sçavant et le plus recherché de tous ceux qui ont été
imprimez, du moins depuis la mort de M.r de Lulli, et quoyque par les
caballes des envieux et des ignorants, il n'ait pas esté si bien receu du
public qu'il le meritoit du moins aussi bien que beaucoup d'autres, c'est
celuy de tous les opperas, sans exception, dans lequel on peut apprendre
plus de choses essentielles a la bonne composition. C'est ce qui fait que
j'ay doutté longtems si je ne devois pas le mestre plustost parmi les
Theoriciens, c'est a dire parmi les maitres de l'art de la musique, que dans
le rang des simples operas."
Lecerf de La Viéville, Seconde Partie, "Sixiéme
Dialogue"
"Comment ont réüssi ceux de nos Maîtres qui ont été les admirateurs zélez,
et les ardens imitateurs de la maniere de composer des Italiens ? Où cela
les a-t-il menez ? A faire des Piéces que le Public et le tems ont déclaré
pitoyables. Qu'a laissé le sçavant Charpentier pour assurer sa mémoire ?
Medée, Saul & Jonathas. Il vaudroit mieux qu'il n'eût rien laissé."
"Piqué contre Lully, qui réunissait tous les suffrages, il changea son goût
de musique naturelle, afin de ne point ressembler au simple de Lully, et ne
voulut plus faire que de la Musique très difficile, mais en même temps d'une
harmonie, et d'une science jusqu'alors inconnue aux François : ce qui lui
attira le titre de compositeur barbare" (C. et F. Parfaict, Histoire de
l'Académie Royale de Musique).
Lire aussi :
Site Charpentier du Ministère de la Culture :
www.charpentier.culture.fr/fr/index2.htm
Jean Duron & Catherine Cessac, catalogue général
numérique de l'œuvre de Marc-Antoine Charpentier (en cours) :
http://philidor.cmbv.fr/catalogue/intro-charpentier
|