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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Haendel, Jephta

Gabrieli Consort & Players, Paul McCreesh

 

 

William Christie © Simon Fowler

 

 

Georg Frederic Haendel (1685-1750)

 

Jephta HWV 70

 

Katherine Watson : Iphis

Kristina Hammarström : Storge

Kurt Streit : Jephtha

Neal Davies : Zebul

David DQ Lee : Hamor

Rachel Redmond : L'Ange

 

Les Arts Florissants

Direction William Christie

 

24 novembre 2011, salle Pleyel, Paris

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"Deeper and deeper still"

Dernier oratorio anglais du "Caro Sassone" (à l’exception de The Triumph of Time and Truth, remaniement du Il Trionfo del Tempo e della Verita de 1737 lui même issu d’Il Trionfo del Tempo e del Disinganno), Jephta est une œuvre d’autant plus touchante que Haendel souffrait lors de sa composition de troubles oculaires, notant même en marge de la partition "Arrivé ici le 13 février 1751, incapable de continuer en raison de l'affaiblissement de la vue de mon œil gauche"… au moment du chœur "How dark, O Lord are Thy decrees!". Nous renvoyons les lecteurs à notre article sur les soins de la cataracte  au XVIIIe siècle, et le danger des opérations du Dr Taylor qui officia sur Bach et Haendel. Alors même que la cécité et les ombres gagnaient du terrain, l’œuvre s’avère imaginative et dense, inventive, fervente et optimiste, fusion du style propre que le compositeur développa pour ses oratorios anglais avec des chœurs puissants et inspirés, et d’un élan italianisant réminiscent de l’opera seria dans les airs.  L’excellence du livret de Morell, philosophique et équilibré, certes moins théâtral que la version de Pellegrin pour Montéclair, joue sur les ressorts de l’éternel dilemme des Idoménée et Abraham, à savoir les contradictions déchirantes entre l’amour d’un Père et l’amour de Dieu.

Ce soir de novembre, le public de Pleyel était sans doute là avant tout pour goûter une soirée des Arts Florissants, dirigés par un William Christie aux guêtres roses, car Jephta bénéficie d’une notoriété bien moindre que le Messie, ou les opéras italiens. Pourtant, dès l’ouverture, dramatique et évocatrice, avec ses cordes compactes et fermes, sa basse continue musclée, les bruissements et les murmures se sont tus. Et l’intrigue se déroulera dans une urgence fluide, sans que jamais le public n’ose interrompre les commandements divins par des applaudissements, même après d’éprouvants da capos, preuve des oreilles captives et subjuguées.

La distribution s’est révélée d’un bon niveau, sans atteindre les sommets de celles réunies en ce même lieu en 2009 sous la baguette plus terne de McCreesh. On louera le fait que tous les solistes aient chanté sans partition, et qu’en dépit des limites de la version de concert, un jeu d’acteur se soit instauré, notamment entre l’Iphis diaphane de Katherine Watson et son amant enflammé.

Kurt Streit © Mittereger

Kurt Streit prête sa stature impérieuse à un Jephta orgueilleux et guerrier, l’émission puissante, le timbre grainé. On regrettera cependant des aigus trop fermés, un legato large dans le phrasé, des ornements souvent brouillons et imparfaitement détachés, de même qu’un accent d’outre-Rhin prononcé (sans verser dans l’antibismarckisme primaire à la mode ces temps-ci). Par exemple, le "Virtue my sul shall adore" perd de son charme mélodique pour revêtir des tournures saccadées, le "Open thy marble jaw" manque de graves et de profondeur. A l’inverse, Streit a su camper la résignation douloureuse du père dans l’accompagnato "Deeper, and deeper still", et dévoile un splendide "Waft her, angels, through the skies" sensible, ample et noble, d’une douceur amère qu’exalte l’accompagnement oaté de l’orchestre. Un grand moment de musique. L’épouse horrifiée de Kristina Hammarström était en petite forme : si le chant est délicat, les articulations fines, la mezzo a manqué de projection alors même que les plus beaux airs de fureur lui sont réservés. Face à des Arts Flo très présents, le "scene of horrors, scenes of woe" ou le "let other creatures die" montrent une mère déjà chancelante et abattue plus que révoltée, souvent couverte par les musiciens.

Le tandem de l’Amor bienveillant et galant de David DQ Lee à l’émission stable, agile et claire et de de l’Iphis angélique de Katherine Watson aux doux aigus apporte un peu de liant terrestre à l’ensemble, replaçant les considérations bibliques dans une intrigue amoureuse plus classique. On notera en particulier le duo "These labours past" bondissant et jubilatoire, la grâce colorée de "Tune the soft melodious lute" et "The smiling dawn of happy days" d’une soprano souriante, et le poignant "Welcome as the cheerful light" détendu et triomphant, au rayonnement simple, acceptation paisible d’un sort affreux par la victime consentante. Enfin, on  passera sur les trop brèves apparitions de l’Ange de Rachel Redmond dans un "Happy, Iphis shalt you live" trop pressé, et sur le Zebul convaincant de Neal Davies (à qui l’on a coupé l’air "Freedom nom once more possessing").

Mais l’explosion dramatique de ce Jephta vient en réalité du chœur et de l’orchestre, qui volent la vedette à la scène tant leur implication est centrale, renversant l’ordre de préséance habituel. Le Chœur des Arts Florissants est superlatif, la projection "submergeante" ("No more to Ammon’s god and king"), les pupitres aérés, les départs millimétrés. Les affects sans cesse changeants sont restitués avec une précision et une musicalité hors pair, d’un "O God, behold our sore distress" hiératique et sépulcral à  un "In glory high" déclamatoire et vertical. De même, l’orchestre, omniprésent, chatoyant, incroyable conteur, moteur de l’action, est de ceux qui saisissent l’auditeur à bras le corps et le mènent jusqu’au dénouement avec une force irrésistible. Magie du rythme, variété des timbres et des textures, les Arts Flo ont privilégié le geste et le mouvement, dépassant les redites décoratives des ritournelles des da capos ou la basse continue discrète où la partition pouvait les cantonner.

Et alors que retentissent les soupirs de soulagement du sacrifice avorté puis les applaudissements d’un public ravi, on regrettera seulement la suppression du duo puis quintette "Freely I to Haev’n resign" juste avant le chœur final, qui clôt trop abruptement cette tragique leçon d’humanité.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel de la salle Pleyel : www.sallepleyel.fr

 

 

 

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