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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Haendel, Jephta

Gabrieli Consort & Players, Paul McCreesh

 

 

Mark Padmore © Marco Borggreve

 

Georg Frederic Haendel

 

Jephta HWV 70

 

Mark Padmore : Jephtah

Christianne Stotijn : Storge

Mhairi Lawson : Iphis

Daniel Taylor : Hamor

Christopher Purves : Zebul

 William Docherty : Angel

 

Gabrieli Consort & Players : orchestre & chœur

Chœur Philarmonique de Wroclaw : chœur invité

 

Paul McCreesh : direction

 

16 juin 2009, Salle Pleyel, Paris

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L'admirable sens du sacrifice

Certains concerts sont accompagnés de fantômes, et ce Jephta-ci, pourtant donné dans une salle Pleyel aux murs toujours aussi lumineux, emporte avec lui la souffrance d'un Haendel vieillissant, et dont la vue s'amenuisait. On trouve ainsi dans le manuscrit original l'annotation touchante "Arrivé ici le 13 février 1751, incapable de continuer en raison de l'affaiblissement de la vue de mon œil gauche" au moment même du chœur "How dark, O Lord are Thy decrees!". Jephta sera le dernier oratorio de Haendel, si l'on excepte la version anglaise The Triomph of Time and Truth d'un Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de jeunesse déjà remanié en Il Trionfo del Tempo e della Verita en 1737. Toutes ces précisions contextuelles expliquent pourquoi cet oratorio tient une place particulière pour le haendélien, sans même mentionner l'excellence de l'écriture, grandiosement inspirée dans ses chœurs, relativement opératique dans ses airs avec plus de traits italianisants qu'un Saul ou Juddas Macchabeus. Et il y enfin le sujet, digne d'une tragédie lyrique (d'ailleurs, François Pignolet de Montéclair ne s'en est point privé), d'un monarque et père forcé par un vœu imprudent de sacrifier son fils qui n'est pas sans rappeler Idoménée.

En ce 16 juin (anniversaire de la victoire de Ligny soit-dit-en passant), les Gabrieli Consort and Players de Paul McCreesh avait étoffé leurs effectifs choraux de quelques confères polonais du Chœur Philarmonique de Wroclaw (Breslau en allemand), cité bien connue des baroqueux pour son Aula Leopoldina. La fraternité européenne y gagna ce que le contrepoint y perdit… Nous y reviendrons.

Après une ouverture carrée, où l'on louera  la force des cordes en dépit de contours un peu brouillons, l'on découvre rapidement les deux points forts de la distribution, le Zebul incarné avec assurance par Christopher Purves, et l'impérieux Jephta campé par un Mark Padmore superlatif.

Car la soirée aura incontestablement été dominée par ce dernier, d'une confondante aisance. Le timbre est pur, profond, l'émission puissante et fière, la diction déclamatoire et dramatique. Ce Jephta est un homme rude et dur, que le sort fait ensuite vaciller derrière une façade de marbre et le ténor ne laisse pas passer une si belle occasion d'incarner un personnage complexe et d'un abord rugueux, plus près du guerrier austère et quelque peu extrémiste que de l'habituel croyant testé par son Dieu. Ainsi, le "Virtue my soul shall still embrace" voit la candeur mélodique de son écriture se muer en arrogance obtuse grâce au talent de Padmore. Le superbe accompagnato lors duquel l'imprudent fait son vœu est sculpté avec une ferveur froide que le chœur suivant "O God, behold our sour distress" d'une lugubre force vient encore renforcer. Bluffant de virtuosité dans "His mighty arm", Padmore s'avère soudain touchant dans le grand récitatif accompagné "Deeper, and deeper still" qui se finit en murmure hésitant sur un "I can no more" d'une lassitude résignée. Seul le 'Waft her, angel, through the skies" apaisé et doux, oubliant la souffrance contenue du "Hide thou thy hated beams précédent" laisse entrevoir un Jephta au timbre plus soyeux, au phrasé plus ample.

"Second best" de ce plateau vocal, Christopher Purves offre sa voix grave et résonnante à un Zebul aux apparitions hélas trop rare, tour à tour matamore énergique ("Pour forth no more" ) puis homme pressé dans sa joie ("Laud her"). A entendre cette projection assurée doublée d'un timbre respectable qui en impose, on regrette que l'air "Freedom now once more possessing" ait été élagué.

Le reste de la distribution, bien que de qualité, s'affirme moins. On distingue la charmante Iphis de Mhairi Lawson pure au phrasé généreux (quoique parfois pris en défaut de mesure par rapport à la fosse) dans un bondissant duo avec Hamor (campé par Daniel Taylor à l'émission manquant de puissance mais au chant très sensible) "These labour past" très dynamique, un fluide "The smiling dawn of happy days", un "tune the soft melodious lute" trop cursif. Malheureusement, la Storge de Christianne Stotijn n'est guère à la hauteur d'un rôle pour lequel Haendel a accumulé les airs les plus touchants et originaux de la partition. Le célèbre "Scenes of horror, scenes of woe" aux chromatismes osés la voit débordée par un Gabrieli Consort trop agile, l'extraordinaire accompagnato "First perish thou, and perish all the world" et l'air suivant traduisent moins l'incompréhension et la colère exaspérée d'une mère qu'une hâtive application à surnager au-dessus d'un orchestre frémissant à souhait. Enfin, on signalera l'ange d'une fragile innocence de William Docherty, enfant tétanisé mais dont la clarté hésitante convenait à souhait aux séraphins, chérubins et autres créatures de sexe indéterminé.

Les chœurs du Gabrieli Consort étaient renforcés par le Chœur Philarmonique de Wroclaw, créant une gigantesque masse de près d'une cinquantaine de chanteurs que Paul McCreesh modèle avec délectation. Les effets d'ensemble sont pharaoniques, dignes d'une Cléopâtre mankiewiczienne où l'on voit défiler les hordes d'Israelites. Le "O god, behold our sore distress" dégage une lugubre force, les crescendos par paliers du "Cherub and seraphim" une majesté céleste. Cependant, la clarté des pupitres est souvent prise en défaut, de même que la précision des attaques, et l'on déplore tout de même une masse un peu vaporeuse, aux franges imprécises, où les parties intermédiaires sont malaisément audible.

A la tête d'un Gabrieli Consort construit autour d'un noyau de cordes grainés, de cuivres très discrets et d'un continuo éloquent, Paul McCreesh - qui a pratiqué quelques coupes vénielles (deux airs de Zebul et d'Hamor, quelques récitatifs) qui ne gênent cependant pas la compréhension de l'œuvre - mène tout son monde l'épée dans les reins. La direction est énergique, quelquefois raide, particulièrement à l'aise dans les récitatifs accompagnés gorgés d'un sève dramatique épaisse, un peu alla Niquet chez Lully. Si le chef s'attarde peu sur les aspects galants (l'histoire d'amour d'Iphis en devient presque une gênante digression), c'est pour se consacrer à des chœurs protéiformes et presque conceptuels qui font avancer l'intrigue, bien plus que les da capo interprétés avec une conventionnelle justesse. On aurait peut-être souhaité un Jephta un peu plus opératique et contrasté, plus élégiaque à l'image d'un 3ème acte où McCreesh adopte une vision plus souple, avec plus de respirations. Mais on ne sacrifiera ni aux Dieux,  ni aux conventions en retenant de cette soirée un Jephta fervent, d'une relative noirceur, et avec un Mark Padmore inqualifiable car frisant une perfection qui n'est point de ce monde.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel de la salle Pleyel : www.sallepleyel.fr

Georg-Frederic Haendel, Jephta, Paul Agnew, Lisa Larsson, Guillemette Laurens, Louise Innès, Alan Ewing, Zebul, Daphné Touchais, Opera Fioco, direction Jay Bernfeld (Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 2 avril 2009)  

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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