Rechercher Newsletter  - Qui sommes-nous ? - Espace Presse - FAQ - Contacts - Liens -   - Bookmark and Share

 

mise à jour

6 janvier 2014

Editorial

Brèves

Numéro du mois

Agenda

Critiques CDs

Critiques concerts

Interviews

Chroniques 

Tribune

Articles & Essais

Documents

Partitions

Bibliographie

Glossaire

Quizz

 

 

Chronique Concert

Gretry, Zémire & Azor

Ensemble Lunaisiens, dir. Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati

 © Victor Tonolli

André Ernest Modeste GRETRY

 

Zémire & Azor

(Opéra comique créé à Fontainebleau le 9 novembre 1771 sur un livret de Jean-François Marmontel)

 

Camille Poul, Zémire

David Ghilardi, Azor

Eléonore Lemaire, Lisbé,

Alice Glaie, Fatmé

Jean-François Novelli, Ali

Arnaud Marzorati, Sander

Alexandra Rübner, Héloïse Labrande, Judith Le Blanc, les Cariatides

 

Stéphanie Paulet (violon I), Mélanie Clapies (violon II et alto), Aurélien Delage (flûte), Elisabeth Passot (hautbois), Mélanie Flahaut (basson), Isabelle Saint-Yves (violoncelle), Thomas de Pierrefeu (contrebasse), Nicolas Chedmail et Philippe Bord (cors),

Daniel Isoir (pianoforte).

 

Ensemble Lunaisiens

Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati, direction artistique

 

Alexandra Rübner, mise en scène

Héloïse Labrande, scénographie, costumes et accessoires

Nathalie Perrier, lumières

Silène Tonello, maquillage, perruques, coiffures

Laure Andurand, régisseur et vidéo

Judith le Blanc, assistante à la mise en scène

Clémentine Chevalier, assistante et réalisation costumes

 

18 mars 2010, Opéra Comique, Paris

 

Production de la Fondation Royaumont, coproduction de l'Académie Bach d'Arques la Bataille et de l'ARCADI

horizontal rule

"De cet élixir la vertu/Petit à petit me soulage" Ali - Acte I, Scène 1

La première impression qu'impriment en nous les quatre structures métalliques dressées au centre de la scène est celle que l'on ressentirait en entrant dans l'atelier-hangar d'un artiste ; l'ascétisme et la dureté de ce décor nous laissent douter un instant, que quelques minutes plus tard doit se jouer l'arrangement d'un beau conte de fées. Seules les rangées de bougies présentes à l'arrière tempèrent notre perplexité.

La sonnerie retentit, les comédiens placés derrière les panneaux de métal et les musiciens installés dans la fosse, l'histoire peut commencer. Elle est celle d'une Belle, Zémire, sacrifiée par son père à une Bête, Azor ; ses deux sœurs Fatmé et Lisbé narrent le début de l'intrigue d'une déclamation soignée et déjà très théâtrale. L'une est toute de noir vêtue, un pantalon bouffant lui donnant des allures de pirate ; la seconde en jupe à fleurs, coiffée d'un chapeau à plumes semble sortie de l'univers d'Alice aux pays des merveilles. Contrastant avec l'austérité du décor, les costumes réveillent aussitôt l'imaginaire merveilleux de notre enfance. Pareilles aux deux sœurs de Cendrillon, Alice Glaie et Eléonore Lemaire attisent notre curiosité, modulent leurs voix pour donner corps à l'histoire, passant des sarcasmes jaloux à la joie hystérique, selon qu'elles évoquent leur cadette ou bien les présents promis par leur père Sander. Nous voilà suspendus à leurs lèvres et c'est sans difficulté que l'orchestre achève de nous transporter telle une bourrasque dans l'Orient choisi par Grétry. Un très bon équilibre des voix se dessine dès lors : les basses profondes assurent avec dynamisme la stabilité de l'ensemble ; les dessus développent une ritournelle simple par une articulation très précise, alors que le pianoforte fait défiler au rythme de ses broderies un paysage riche en couleurs. Nous retrouvons dans le Second Acte ("Veillons mes sœurs" scène 1) les deux sœurs qui montrent par leurs voix une nouvelle complémentarité. Bien qu'elle semble peu à l'aise dans les tessitures moyennes, Alice Glaie accède avec souplesse à des aigus bien développés auxquels répond la voix chaude et plus timbrée d'Eléonore Lemaire. Leurs interventions musicales restent cependant peu nombreuses et c’est surtout en qualité de comédiennes qu'elles peuvent attester de leur grand talent.

Autre personnage doué d’un comique tout particulier, Jean-François Novelli incarne Ali, serviteur de Sander pastiche de l’Arlequin des comédies à l’italienne. Son costume de marin rapiécé pourrait sortir de l’armoire d’un enfant et son visage poudré de blanc accroît l’effet de ses innombrables mimiques. D’un naturel peureux (pensons à la scène de l’orage au premier Acte), ce personnage se révèle souvent léger et grotesque mais parfois sensible et passionné. Le rire de dinde affolée qu’il diffuse généreusement après avoir goûté au vin d’Azor restera sans doute longtemps gravé dans nos mémoires. Il nous livre à la fin du Second Acte un duo poignant avec Zémire ; certains pourront trouver que sa voix manque de puissance mais il parvient par une excellente diction à la rendre très expressive, mettant ses moindres inflexions au service du texte et du sens dramatique. Le martèlement de doubles quasi-perpétuel à la basse nous maintient en haleine et traduit l’urgence de la situation ; Zémire et Ali s’entendent, après s’être rudement opposés, pour retenir Sander avant qu’il n’aille se livrer à la Bête. Malgré ce rôle de valet froussard parfois ingrat, Jean-François Novelli manie le ridicule avec subtilité sans pour autant se départir de son sens du pathétique et nous présente un personnage très attachant.

 © Victor Tonolli

Attachant, l’Azor de David Ghilardi l’est également. Sous un dehors de monstre hirsute aux mains griffues, il dévoile après une première intervention terrifiante le fond de son personnage avec lequel il ne fait qu’un, et toute la beauté de sa voix. Ce qu’il y a de plus marquant chez lui, c’est le soin qu’il porte à chaque syllabe, qu’elle soit chantée ou déclamée. Chacune prend une dimension singulière, un goût suave que l’on voudrait retenir. D’une puissance de projection impressionnante ("Ne va pas me tromper" - Acte I, Scène 2), sa voix reste lumineuse et souple aux vocalises. Fascinant par sa prestance dramatique, cet Azor d’une grande noblesse porte à son paroxysme le tragique de sa condition dans l’air «Le Soleil s’est caché dans l’onde" du dernier Acte (Scène  3) et nous envahit de sa détresse, trouvant dans les mélismes du basson un écho à ses plaintes angoissantes ; la brutalité de la Bête n’est qu’apparente.

La figure de Sander au contraire gagne en antipathie. Il est au commencement un père humble et doux, tout dévoué à ses filles mais que la Fortune rend malheureux, par le naufrage de navires qui transportaient ses richesses. Céder sa fille cadette à Azor est pour lui une déchirure si bien qu’il se résoud à s’offrir à sa place ; mais il revient avec violence sur sa parole et tente vainement de retenir Zémire (Acte IV). Arnaud Marzorati fait montre ainsi de la diversité des registres qu’il peut tenir avec brio. Il parcourt l’ambitus de sa voix avec une grande homogénéité et produit des graves clairs et généreux. A plusieurs reprises, il s’ingénue à mêler étroitement le chant à la parole, la musique au théâtre ("Le temps est beau" Acte I, Scène 1). Le récitatif n’a plus sa place dans cet opéra mais Arnaud Marzorati renoue de manière originale avec le "parler-chanter" et supporte Grétry dans sa démarche de prouver à Rousseau que la langue française est tout aussi musicale que celle des Italiens.

Mais venons-en à celle qui permit par son amour que la Bête redevienne homme. Dès sa première intervention, Camille Poul se distingue par sa voix puissante et droite, un timbre richement coloré et une aisance spectaculaire à réaliser des vocalises souvent très acrobatiques. Un peu tendue dans la première partie, elle cède peu à peu à la candeur de son personnage et gagne en naturel ; pleinement impliquée dans son rôle, elle emporte notre admiration à la fois par sa jeunesse et sa sincérité. Son articulation ne rend peut-être pas au texte toute son intelligibilité mais le sens parvient à nous émouvoir, comme dans l’air amoureux "Azor ! en vain ma voix t’appelle" (Acte IV, Scène 4) ; Zémire est enfin libérée du dilemme qui la déchirait, rester fidèle à son père ou bien à sa parole. Les cors font écho à ses appels, la flûte soutient l’allégresse de son cœur.

 © Victor Tonolli

Tout au long de ce véritable voyage dans l’univers du conte, l’ensemble Lunaisiens aura su insuffler un vent de fraicheur et de vitalité, donner du relief et de la profondeur, les libertés prises avec la partition ne faisant que renforcer la théâtralité de l’œuvre. L'effectif réduit (tout juste une dizaine) permet à chaque timbre de se singulariser et assure la bonne lisibilité des voix. Le choix d'une petite formation est cependant périlleux, aucun filet ne s'offre aux instrumentistes s'ils commettent une erreur. Cette prise de risques redouble donc le mérite des instrumentistes qui, tout en choisissant des contrastes prononcés (de puissance, rythmiques…), ne laissent paraitre que de rares imperfections de justesse glissées ça et là mais qui n'altèrent en rien la qualité musicale de l’interprétation. Saluons tout particulièrement le remarquable travail de Philippe Bord et Nicolas Chedmail dans la maitrise de la puissance et des couleurs de leur instrument.

Mises à part quelques extravagances dont la signification (l’intérêt ?) nous échappe (comme le curieux parapluie/ombrelle que tient Sander durant l’orage), Alexandra Rübner recrée avec peu de moyens un monde merveilleux dont la simplicité n’a d’égale que la jeunesse des musiciens et la fraicheur générale de l’œuvre. Les coulisses se voient déplacées en fond de scène, les comédiens ne jouant pas attendent sur des tabourets ; l’atmosphère est intimiste et l’on assiste avec plaisir à une sorte d’expérimentation. Un écran de projection permet de faire des ombres chinoises et optimise également l’espace (par des projections) en limitant les changements de décor au déplacement des panneaux métalliques.


Indiquons enfin un choix audacieux de la direction artistique, celui de résumer oralement la fin de l’histoire et de rejeter le chœur final… en bis ! Pour l’occasion, Jean-François Novelli dirige l’orchestre de la scène, achevant de nous combler de la liesse qui jadis emplissait nos cœurs après le récit d’une belle histoire.

Isaure d'Audeville

Site officiel de l'Opéra Comique : www.opera-comique.com

"Grétry rêvait d'un orchestre sans chef où chaque instrumentiste deviendrait créateur de sa propre partition " : entretien avec Arnaud Marzorati, chanteur et directeur artistique de l'ensemble Lunaisiens, autour de Zémire & Azor de Grétry

 

"Dans Zémire & Azor, Grétry n'a pas réellement écrit de voix spécifique pour le basson" : entretien avec Mélanie Flahaut, bassoniste, autour de Zémire & Azor de Grétry

André Ernest Modeste Grétry, L'Amant Jaloux ou Les Fausses Apparences, Magali Léger, Daphné Touchais, Maryline Fallot, Frédéric Antoun, Brad Cooper, Vincent Billier, Le Cercle de l'Harmonie, dir. Jérémie Rhorer, mise en scène : Pierre-Emmanuel Rousseau (15 mars, 2010, Opéra Comique, Paris)

François André Danican Philidor, Sancho Pança gouverneur dans l’île de Barataria, Paul-Alexandre Dubois, Isabelle Druet, Vincent Bouchot, Camille Poul, Jeffrey Thompson, La Simphonie du Marais, dir. Hugo Reyne (20 mars 2010, Opéra-Comique, Paris)

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

Muse Baroque, le magazine de la musique baroque

tous droits réservés, 2003-2014