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Carnet de La Folle Journée de Nantes 2010

 

“Entrons, entrons dans la fournaise”

Vendredi 29 janvier 2010

 

 

Dans la peau du Comité de Rédaction : "La Folle Journée d'un Mexicain baroque chez les Romantiques" nous avait proposé en guise de sous-titre notre ami et rédacteur Pedro-Octavio. C'était trop long hélas pour le maquettage, et "entrons, entrons dans la fournaise" jugé suffisamment évocateur. Mais la 2nde question, cruciale cette fois-ci, fut de publier ou non l'intégralité de ce carnet, non en raison d'une quelconque inquiétude sur les qualités d'écoute et d'analyse dudit Mexicain, mais à cause de la censure temporelle : trop de Chopin et de XIXème transparaissent après les baroqueuseries classicisantes d'Hugo Reyne. Finalement, pour paraphraser une publicité fameuse à défaut de brillante : "Bah, si ils aiment ça..."

M.B.

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11h du matin : prologue

Juste devant la Cité Internationale des Congrès de Nantes, qui se tient fièrement sous les pâles mais soutenus rayons du soleil hivernal, la première rencontre, Jean-Marc Luisada, grand pianiste s'affairant avec son assistant au pied de sa camionnette. Puis, franchis les contrôles de l'entrée du Grand Auditorium aux baptêmes nombreux, le pas pressé mais un sourire aux lèvres, l'oreille perçoit la voix insistante de Stéphane Bern. Et le Grand Hall est bondé, des dames aux manteaux de fourrure, des messieurs endimanchés, des jeunes à la mèche tendance et quelques sosies de Chopin et George Sand dans le vent des Marc Jacobs et d'autres Zadig & Voltaire, bien loin des commandes Worth et encore plus des Rose Campan de notre baroque adoré. Mais le chroniqueur est prêt, , les tympans reposés, pour entendre le premier concert. L'affiche commence par Hugo Reyne et sa joyeuse Simphonie du Marais pour un concert autour de la Polonaise. Mais attention, l'heure tourne, les minutes défilent comme des doigts agiles sur les claviers des Steinway, les portes de la Salle Mickiewicz s'ouvrent déjà, nous entrons.

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12h45 : “Autour de Chopin et la polonaise”, Hugo Reyne et La Simphonie du Marais

Les musiciens s'installent sur la scène de l'intime salle Mickiewicz, Hugo Reyne est sur la gauche armé de sa flûte à bec, il dirige la Simphonie du Marais, avec trois violons, une contrebasse et un violoncelle. Et c'est par la charmante et bucolique Polonaise du Concerto Grosso opus 6 n°3 de Georg Friedrich Haendel que le concert commence. Cette version chambriste de la Polonaise est agréable et reposante. Nous enchaînons avec la fière et majestueuse Polonaire de la Suite pour orchestre  n°2 en si mineur BWV 1067 de Johann Sebastian Bach, aux allures de danse virile d'un peuple racé. Puis, c'est au divin Wolfgang Gottlieb Mozart de nous faire danser avec sa Polonaise et duo pour violon et alto K. 487, aux aménités mondaines dignes du rococo.

Mais Hugo Reyne nous instruit, avec ce talent communicatif des vrais pédagogues, sur la polonaise, le goût de Chopin pour les trois musiciens qui l'ont décliné précédemment et aussi nous fait-il découvrir un nouvel instrument : le csakan  - qui avait fait l'objet de son dernier enregistrement - sorte de mélange de bâton de berger et de flûte dans sa forme primitive, puis un mélange de flûte à bec et de clarinette dans sa forme au XIXème siècle. Hugo Reyne nous joue incontinent les deux concerts “Polonaise” du très rare compositeur Krähmer, écrits pour le csakan aux sonorités viennoises et à la difficulté virtuose digne des suites de Bach. La surprise survient à la fin,  avec une transcription des deux premières polonaises du jeune Chopin, qui à 7 ans montrait déjà la maitrise de son art. Grâce à la bonne humeur et la passion d’Hugo Reyne, la polonaise n'est plus un mystère de partition pour nous. Vivement un récital de ce concert au disque.

Peu de temps avant la fin du concert, les portes de la salle s'ouvrent doucement et c'est le baroque personnifié qui fait sa discrète entrée, M. Philippe Beaussant s'installe dans un coin de la pièce pour écouter les polonaises tribulations de Hugo Reyne. Mais les dernières notes marquent la fin du concert et en annoncent bien d'autres, la journée n'est point finie. 

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14h00

Après des divagations et un saut au stand d'Arte pour acquérir un sac orange, marque de distinction Folle Journée 2010, les pas baroques franchissent le seuil du grand  Auditorium dit Fontana pour s'abreuver de Mendelssohn. Jour des groupes scolaires oblige, le chroniqueur s'étant trouvé près des écoliers, il perdit espoir d'entendre une seule note correctement. Las ! Aux premiers accords de l'ouverture Les Hébrides, rocailleuses et sombres, les petits élèves étaient hypnotisés et silencieux. Mendelssohn décliné avec force par Dmitri Liss et l'Orchestre Philharmonique de l'Oural a réussi à créer des vocations, car des petites mains malicieuses imitaient presque mimétiquement les gestes du chef d'orchestre. Et puis ce fut la catastrophe, en sus d'un public indécis sur les applaudissements et de la manie de certains spectateurs qui vérifiaient leur messagerie sur leur portable. L'énergique et fascinant Concerto pour violon de Mendelssohn fut lourdement assassiné sur scène. La violoniste Ye-Eun Choi, perclue dans ses doigts des plus vieilles manies de conservatoires poussiéreux, n'arriva pas à nous faire vibrer malgré le chef Dmitri Liss. Et autant pour nous que pour ceux qui prêtaient trop d'attention à leur téléphone portable, il eut mieux valu écouter chez soi l'enregistrement de ce Concerto par Hillary Hahn...

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15h30

Mais dans cet intermède romantique, le hasard nous mena, encore dans l'Auditorium Fontana, à être témoin d'un triomphal et splendide Concerto pour piano et orchestre en la mineur opus 54 de Schumann par Eric Le Sage, l'Ensemble Orchestral de Paris et Joseph Swensen. Ciselé et aux couleurs vives, le jeu d'Eric Le Sage nous a tellement enthousiasmé que nous avons été pris en flagrant délit en train de crier “bravo”, comble du transport, pour célébrer une œuvre non baroque !

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Abdel Rahman El-Bacha - D.R.

17h15

L'après-midi se corsait et nous arrivâmes aux limbes du baroque et si Chopin nous accueillait pourquoi ne pas aller entendre sa délicate musique sous les doigts experts d'Abdel Rahman El-Bacha, la jeunesse d'Iddo Bar-Shaï, la fraîcheur de Jean-Frédéric Neuburger et la sensibilité de Philippe Giusiano ? Cet élan nous porta jusqu'à la salle Franchomme aux confortables 450 places. 

Les portes s'ouvrirent et Abdel Rahman El Bacha parut élégamment, tel un roi de la Belle Epoque, s'assit et nous égrena un majestueux Rondo en mi bémol majeur opus 16 et la Valse en sol bémol majeur opus 70 n°1. Ses doigts semblaient simplement effleurer le clavier et faire paraître par un enchantement sobre et mystérieux la musique de Frédéric Chopin.

Lui succéda la vedette israélienne Iddo Bar-Shaï, aux augures éditoriaux pléthoriques. Il sortit de sa poche un mouchoir pavarottiesque et le posa sur le piano, régla avec minutie le siège et avec un geste étudié s'attaqua à la Mazurka en si bémol majeur, aux Quatre Mazurkas opus 17, la Mazurka en ré majeur et enfin à la Valse brillante en mi bémol majeur opus 18. L'affectation de M. Bar-Shaï se traduit à la fois dans ses gestes et son interprétation, et l'on en serait presque à penser qu'il confond trop souvent passion et gesticulation, dénaturant le caractère premier de ce qu'il interprète. Ainsi, sous ses doigts se transmutent  ces danses populaires que sont les Mazurkas, de même que la fière Valse brillante, d'une lourdeur pathétique digne de nocturnes ratés. Toute la poésie contemplative de Chopin disparait sous la panoplie d'un narcissisme avide d'applaudissements.

Nous nous attarderons pas sur Jean-Frédéric Neuburger qui nous a donné un Allegro de concert en la majeur opus 46, qui manquait d'engagement. Par contre, Philippe Giusiano nous a charmé avec sa maitrise et la conviction de son jeu dans la très belle et délicate Ballade n°1 en sol mineur opus 23, nous saluons ce jeune talent et espérons qu'il poursuive dans cette lancée et qu'il ne soit pas contaminé par les tics du virtuose torturé.

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18h30

Après une pause dans la salle de presse, auprès des journalistes japonais aux accents musicaux de la langue nipponne, Loïc Chahine et moi nous trouvions autour d'un verre de jus d'orange à commenter nos impressions avant de nous rendre ensemble à l'Auditorium Fontana pour la passionnante Symphonie Fantastique d'Hector Berlioz sur les instruments anciens d'Anima Aeterna Brugge et sous la baguette de Jos van Immerseel. Nous quittons la salle quand les dédicaces de Brigitte Engerer commencent, à ses pieds repose un sac aux mille couleurs des tropiques, dehors le ciel est blanc, un journaliste de France 3 commente à son collègue “des averses de neige prévues pour demain.”

Jos van Immerseel © Annemie Augutijns

19h00

L'agitation des groupes scolaires n'est plus. Ils se sont envolés avec les derniers rayons de soleil. Dans la corbeille du grand Auditorium Fontana, se succèdent un groupe d'entreprise aux vestons bien coupés, des vieilles dames aux blancs brushings et un mexicain qui guette l'entrée des musiciens de l'orchestre Anima Aeterna Brugge et de leur chef Jos van Immerseel. Mais l'orchestre berliozien est déjà sur place, on remarque les deux harpes et les pupitres fournis des percussions, mais, énigmatique le piano à queue qui couvre de sa silhouette un coté de la scène. Et le silence se fait, la baguette alerte de Jos van Immerseel se tient horizontale et prête à percuter. Hélas, la fantastique inventivité novatrice de Berlioz est condamnée bien avant la Marche au Supplice du 4ème mouvement.

Dès les premiers accords ni Jos van Immerseel, ni son orchestre ne réussissent à s'imprégner de l'esprit grandiose de Berlioz et de La Symphonie Fantastique qui marqua d'un coup de tonnerre l'univers musical du XIXème siècle, manifeste aux notes insufflées d'énergie et de passion. Le premier mouvement, Rêveries-Passions, n'était qu'une suite de notes et d'harmonies, rien de la narration éloquente et émotive qu'un John Eliot Gardiner ou un Colin Davis ont enregistré, beaucoup plus proche des volontés du fougueux Berlioz.

Du deuxième mouvement, Un Bal, qui aurait du traduire un tourbillon enflammé et un raffiné mouvement de crinolines devient, avec Anima Aeterna, une pâte musicale lourde où les cordes se trainent. Ce mouvement évoquerait en temps normal une soirée dansante des jeunes génies qui ont fait le Romantisme, à la conversation brillante, aux œillades brûlantes et la musique passionnée, dans cette version, ce n'est plus qu'un salon en demi-teinte habité par l'ennui petit-bourgeois.

Ne parlons pas plus de la Scène aux champs qui nous a bercé au lieu de nous initier à la contemplation, au drame qui se corse et à l'égotisme poétique. Et c'est à l'écoute de la Marche au Supplice, morceau célèbre de cette Symphonie, que nous remarquons que Jos van Immerseel n'a peut-être pas lu les indications de Berlioz, tant cette marche devient un lourd ascenseur pour l'échafaud. La fierté, le courage et même la peur sont absentes, le condamné devient l'auditeur qui espère que la fin sera proche.

Le cinquième et dernier mouvement “Songe d'une Nuit de Sabbat”, aux terribles ombres qui se trainent, les pas terribles de Satan sur scène, le cauchemar de l'esprit torturé est celui qui est un peu plus proche de l'audible, malgré l'absence malheureuse des cloches qui marquent d'une façon spectrale l'arrivée du Démon au milieu des sorcières. Malgré toutes les réserves, nous devons reconnaître le talent des percussionnistes qui ont été parfaits, pour une fois que ces pupitres sont remarqués au détriment de tous les autres.

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Epilogue

À la sortie, la Folle Journée continue, jusqu'à minuit, une heure du matin. Nous prenons satisfaits la navette vers le Centre-ville de Nantes, nous enfilons notre casque et appuyons sur play, c'est un air du Mitridate Eupatore d'Alessandro Scarlatti qui nous accueille de retour dans le baroque. Il est 22h15, la nuit est claire, la pleine lune luit parmi les astres dont la musique résonne dans le calme du soir.

Pedro-Octavio Diaz

 

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Site officiel de la Folle Journée de Nantes : www.follejournee.fr

 

 

 

 

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