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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert Purcell, Didon & Enée Les Arts Florissants, dir. William Christie
La mort de Didon © Elisabeth Carecchio Henry PURCELL
Didon & Enée (Dido & Aeneas)
Fiona Shaw
(Prologue) 3 décembre 2008, Opéra Comique, Paris. "Fortune smiles and so should you" (I,1) Il y avait la foule des grands jours pour la première de ce Didon & Enée très attendu, car il est rare que le seul véritable opéra de Purcell bénéficie d'une grande mise en scène en raison de sa courte durée. Et dans l'attente de l'ouverture, à travers le rideau déjà levé, on admire les boiseries du décor de fond très Régence, en se demandant ce qu'une adorable bande de marmots en uniforme de collégien britannique fait sur le plateau avec leur monitrice (allusion aux représentations de 1689 à la Boarding School for Girls, à Chelsea ?). L'ouverture s'élève, d'abord uniquement au son de la flûte puis avec un tapis langoureux de cordes amoureusement déposé par les Arts Florissants. L'on attend les prochaines mesures mille fois entendues quand soudain l'actrice irlandaise Fiona Shaw fait irruption en jean et déclame avec délectation et verve des poèmes de Hughes, Eliot et Yeats. Nous avouerons que nous n'avons pas vraiment saisi le lien de la fable d'Echo et de Narcisse et le drame qui suivait, mais Deborah Warner choisit de surprendre le spectateur, et ce dès l'orée de la représentation grâce à une mise en scène inventive, cumulant les lectures et les interprétations possibles. Les personnages principaux Enée, Didon et Belinda sont vêtus de costumes opulents dus à Chloe Obolensky d'un XVIIIème mâtiné d'ère Tudor dont la richesse moirée est amplifiée par les éclairages contrastés de Jean Kalman. Les chœurs, en revanche, sont habillés de manière sobre et contemporaine. Présents tout au long de l'opéra, à côté de projecteurs, les choristes font penser une équipe de la BBC sur le tournage d'une série historique, opinant du chef, souriant, bavardant entre eux (sans le son naturellement). Enfin, les sorcières ressemblent plus à de jeunes filles délurées déguisées, adeptes de nicotine et autres substances illicites, qu'à de réelles menaces. Il faut ajouter à cela la fameuse classe de collège qui s'invite de temps à autre sur scène dans un tourbillon de cris et de chorégraphies qui paraissent laisser les autres protagonistes interdits par ces turbulents compagnons. L'originalité de Deborah Warner se perçoit non dans chacun de ses éléments, mais dans la manière de les faire interagir sans cesse, brouillant les frontières et les messages, alternant les atmosphères. Entre la noblesse majestueuse de la Didon de Malena Ernman et ce marin en jean qui montre furtivement son postérieur, il y a en effet un fossé gigantesque que la metteuse en scène nous fait traverser à plusieurs reprises. On admirera également les références picturales, avec des clairs-obscurs travaillés, et un déjeuner sur l'herbe, très... "Déjeuner sur l'Herbe" justement. Les décors sont suggérés : l'épure de quelques arbres cache la forêt, quelques voiles font office du port et des navires. Plus généralement, il y a ici matière à cent Didon devant un bouillonnement constant qui transforme l'œuvre en expérimentation téméraire et jouissive, dépoussiérée de son arrière-plan mythologique (on ne croît guère à l'Hermès imposteur).
La Reine et les enfants © Elisabeth Carecchio Sur scène, la Didon de Malena Ernman campe une Reine solide et décidée. Le timbre est cuivré, stable, un peu sourd, ne laissant jamais s'échapper les aigus, totalement à l'opposé des sopranos angéliques auxquelles on est accoutumé. Il y a une force contenue - presque obstinée - derrière ces phrasés carrés, bien assis, francs et directs. Jusqu'au Lamento final où la carapace se fissure, révélant une âme exsangue, et un souffle tragique et saccadé. Face à elle, l'Enée de Christopher Maltman est aussi brut que son incarnation du traître Achillas dans le Giulio Cesare de Haendel à Glyndebourne en 2005 (Opus Arte). Le chant est puissant, grainé, sombre et autoritaire, presque dédaigneux dans les ornements parfois esquissés à la louche, là encore prenant les habitudes musicales à rebours. Le baryton possède en outre une présence scénique certaine qui renforce l'impression de rude violence qui émane du personnage. La brève scène de séduction entre les amants, suivie de leur orageuse rupture acquièrent dès lors une dimension très humaine, presque quotidienne, en dépit de leurs costumes. Et il faut préciser que la tenue d'Enée avec ses bottes de cuir, sa chemise ouverte et son pourpoint délacé contraste fortement avec la richesse élégante des robes de la Reine et de ses suivantes. Judith van Wanroij apporte une fraîcheur mutine à Belinda, grâce à sa voix innocente, claire, presque dénuée de vibrato avec des aigus ronds. Son "Fear no danger to ensue" s'avère charmant, et la soprano fait montre d'une grande fluidité dans les récitatifs. On ne peut en dire autant des trois sorcières dont l'investissement scénique ébouriffant, volontairement excessif, entraine en contrepartie des pertes de musicalité : les lignes mélodiques sont erratiques, le phrasé raccourci, le contrepoint des duos malmené. On admire parallèlement la prestance survoltée d'Hilary Summers, à la voix épaisse tirée dans les graves (pour le rôle ?), et l'enthousiasme communicatif de ses deux comparses Céline Ricci et Ana Quintans qui semblent se réjouir follement de leur rôle de "junkies" égarées parmi les ors de l'Opéra Comique. Sous la baguette - ou plutôt le clavecin - de William Christie, le chœur des Arts Flo s'est révélé compacts et précis, assez différencié selon les situations avec des pupitres assez denses ("come away"). Le continuo était de premier ordre avec un théorbe sensible et un violoncelle léger, et le chef a su insuffler ça et là de belles couleurs orchestrales, profitant d'un orchestre sonnant remarquablement ample par rapport à ses effectifs. En définitive, on gardera le souvenir d'un Didon et Enée visuellement étonnant par ses multiples facettes, très dramatique sur scène et dans la fosse, et enveloppé d'une sorte de distance ironique par la mise en scène ingénieuse de Deborah Warner.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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