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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Antoine Dauvergne, La Vénitienne, Choeur de chambre de Namur, Les Agrémens, dir. Guy van Waas
Guy van Waas © Jacques Verrees Antoine Dauvergne (1713-1797)
La Vénitienne, comédie lyrique en trois actes sur un livret d’Antoine Houdard de La Motte
Chantal Santon, soprano (Isabelle) Katia Vellétaz, soprano (Léonore) Kareen Durand, soprano (Spinette) Isabelle Cals, soprano (Isménide) Mathias Vidal, ténor (Octave) Alain Buet, baryton (Zerbin)
Chœur de Chambre de Namur
Les Agrémens Direction Guy van Waas
Partition réalisée par le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV). Coproduction CMBV / Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne (CAV &MA) / Salle Philharmonique de Liège /Opéra Royal de Wallonie (ORW)
8 novembre 2011, Opéra Royal du Château de Versailles, dans le cadre des Grandes Journées Dauvergne du CMBV. "Que le sort des mortels est peu digne d'envie" (Zerbin, Acte II, scène 2) Il est aujourd'hui commun de se répandre en éloges sur l'exhumation de compositeurs injustement déchus, poussières des oubliettes de l'Histoire de la musique. Il est tout aussi habituel, et nous nous en sommes souvent fait l'écho, de célébrer l'exhumation d'œuvres rares, dont les encres patinent doucement entre les rayonnages d'archives naphtalinées. Enfin, une sorte de socialisme musical, d'égalitarisme de bon ton, pousserait les critiques, à l'image d'une Europe qu'on ne souhaite concevoir à plusieurs vitesses, à ne plus oser différencier les grands compositeurs des artistes mineurs, dans un nivellement démocratique appelant les circonlocutions diplomatiques dans le jugement du talent des musiciens. Pourtant, il faut bien se rendre à l'évidence, à l'écoute de cette Vénitienne, de l'incroyable déclin de l'empire musical versaillais qui attribua à ce Dauvergne la charge de Surintendant de la Musique du Roi jadis occupée par le Florentin. Notre allons ainsi nous livrer, remisant nos scrupules et les usages d'une déontologie de bon ton, à un exercice ignoble et bas, celui qui consiste à tirer sur l'ambulance, à vilipender les morts, à assassiner la postérité. Car, en dépit des compte-rendus précédents enthousiastes de notre ami sur la Coquette, les Troqueurs ou la Polyxène, nous n'avons découvert ce soir-là sous les dorures de l'Opéra Royal que l'immensité nacrée d'une superficialité curiale, au livret à l'indigence indescriptible dû à la plume inégale d'Houdar de la Motte, à qui l'on doit les beaux Alcyone et Sémélé mis en musique par Marais, la divertissante Europe Galante de Campra, et… une traduction très remaniée et abrégée de L'Iliade qui ne l'empêcha pas de siéger à l'Académie. Ce livret datait de 1705 et fut d'abord mis en musique par Michel de La Barre. Il eut mieux valu qu'il ne fut point réemployé… Car il faut bien avouer que cette Vénitienne, "comédie-lyrique" en trois actes, constitue une œuvre mineure, d'une joliesse décorative, mais qui peine à franchir le cap de l'allusif et du commun. La faute tout d'abord à un rythme morcelé, à une inspiration au souffle court, à une juxtaposition trop rapide d'ébauches d'airs et de récitatifs distraits qui jamais ne parviennent à instaurer une atmosphère, à trouver l'équilibre qui fait déjà défaut au livret. Haendel savait faire d'un mauvais livret un bel opéra, on ne peut en dire autant de Dauvergne, dont la plume paresseuse et facile ne laisse pas le soin à la musique de s'épanouir. Quelques cordes bougonnes, ça et là des cors, une mélodie classique d'une légèreté onctueuse campent un tableau mignard et bourgeois, aquarelle futile, colorée, dont chaque note, certes agréable, s'évanouit dans une moue enfantine. Seul l'acte II se hisse un peu au-dessus de la médiocrité, avec son Antre er sa Devineresse, bref hommage aux scènes infernales des tragédies lyriques de ces prestigieux prédécesseurs.
La Vénitienne... pendant le Carnaval © Muse Baroque, 2010
Peut-être un Marc Minkowski aurait-il pu malmener la partition et la pousser frénétiquement dans ses retranchements afin d'en extraire l'essence, et faire de cette gangue ornementale une pépite originale et vive. Guy van Waas, à la tête des Agrémens, en livre une lecture respectueuse, sereine, ronde et équilibrée, aux tempi allègres peu contrastés, distillant avec une grâce souriante les mesures de ce confetti musical, faisant montre de belles danses bien carénées. Les solistes assemblés, tous excellents, s'évertuent à ranimer le corps exsangue d'une monarchie autant à bout de souffle que l'optimisme forcé et mondain qui se dégage de ces saynètes. On distinguera ainsi l'Isabelle claire de Chantal Santon et son "Non l'Amour ne veut pas qu'on goûte à la fois / Le doux plaisir d'aimer & d'être aimée" à qui revient l'air de fureur de l'acte III scène 3, le soprano mutin de Kareen Durand ("De mille amants en vain nous recevons les vœux"), la truculence verte d'Alain Buet en Zerbin capable aussi de délivrer une douce berceuse ("Livrons-nous au sommeil"), et l'Octave héroïque de Mathias Vidal, très égal sur la tessiture et à la projection forte, particulièrement convaincant et théâtral dans les récitatifs. Le Chœur de Chambre de Namur, également de très haute tenue, n'est que peu apparu, avec des interventions trop brèves et souvent homophoniques. Est-il dès lors raisonnable, en période de crise, de mobiliser les institutions publiques de deux pays, les talents d'un orchestre et d'un chœur renommés, des solistes confirmés pour recréer de telles pâtisseries, quand tant de chefs-d'œuvre attendent patiemment un coup d'archet salvateur ? Demande t-on au Caravage de peindre un dessus-de-porte ? Le public de l'époque ne s'y trompa point, et la première du 6 mai 1768 fut un "échec fracassant" comme le rappelle Benoît Dratwicki. Le public en jugera, puisque l'œuvre sera prochainement diffusée sur France Musique, et qu'un enregistrement paraîtra à l'automne 2012 chez Ricercar. En ce qui nous concerne, en dépit des transports du CMBV qui rappelle qu'"en tant que compositeur, on voyait en [Dauvergne] le successeur de Rameau pour l’opéra et celui de Mondonville pour la musique sacrée" , nous n'avons perçu de cette Vénitienne que les reflets trompeurs de palais aux joues roses dont les pilotis se rongeaient d'ennui. [Note : en raison des grèves de transport, le concert a eu lieu sans entracte. En outre, on notera qu'un passage de Zerbin a été supprimé de la dernière scène, et que 2 pièces ont été déplacées afin que l'œuvre se conclue de manière plus naturelle par un duo amoureux puis un chœur.]
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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