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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert
Antoine Dauvergne, La Coquette Trompée - Les Troqueurs, Ensemble Amarillis, dir. Héloïse Gaillard, chef de chant Violaine Cochard
Violaine Cochard & Héloïse Gaillard © V. Dupart-Mandel Antoine Dauvergne (1713 – 1797)
La Coquette Trompée Les Troqueurs (extraits)
Isabelle Poulenard – Soprano Jaël Azzaretti – Soprano Robert Getchell – Ténor Alain Buet – Basse Benoît Arnoult – Basse
Ensemble Amarillis Chef de chant Violaine Cochard
Direction Héloïse Gaillard
Samedi 8 octobre 2011 – Opéra Royal de Versailles, dans le cadre des Grandes Journées Dauvergne du Centre de Musique Baroque de Versailles
Les fantômes de Versailles
Samedi soir, il y eut opéra chez le Roi. Entre les rues endormies, le dos rond des pavés de la Place d'Armes courbait son échine centenaire sous les pas pressés des spectateurs endimanchés. Le talon écarlate avait cédé au richelieu à glands et à l'escarpin Jimmy Choo ou Manolo Blahnik, mais l'élégance de l'assistance tenait de l'habit de cour pour un lieu si prestigieux, comme si la cérémonie opératique pouvait ramener en un clin d'œil le bruissement frêle de la soie des paniers, le parfum moiré de la poudre à perruque et les éventails à jamais surannés.
La salle, illuminée du double jeu des miroirs et des dorures convexes, éclatait des feux anciens sur le velours bleu de ciel des banquettes et des fauteuils du parterre. La scène s'ouvrait telle un âtre lumineux avec une toile pavoisée des armes du roi. Quelque chose comme une brume flottait entre les châles de cashmere et les vestes anthracites des versaillais qui causaient en toute liberté. Nulle fanfare, nulle canne de cérémonie ne battit l'entrée des artistes qui fit couler comme une manne, des colonnes de Gabriel jusqu'aux feux de la rampe, l'enthousiaste et curieuse politesse de l'applaudissement.
Château de Versailles, Opéra royal © Muse Baroque, 2011
Parurent les membres de l'Ensemble Amarillis, à l'onomastique arcadienne qui s'attaquèrent, avec la présence élégante et superbe d'Isabelle Poulenard, une des plus grandes voix baroques, à la recréation de la Coquette Trompée, comédie morale d'Antoine Dauvergne et de Charles-Simon Favart. La célébration en 2010 du tricentenaire de Favart, l’un des plus grands librettistes et dramaturges du XVIIIème siècle, a oublié ses sublimes livrets parodiques. La Coquette Trompée est en l'occurrence une parodie des Sybarites de Rameau. Créée devant la cour à Fontainebleau le 13 novembre 1753 avec une distribution unique : le délicieux Pierre Jélyotte dans le rôle désopilant de Damon, la tragédienne Marie Fel en coquette Clarice et la trop célèbre Marie-Justine Benoît Duronçay dite Madame Favart pour incarner Florise. Ce qui est curieux dans cette comédie lyrique, c’est qu'elle épouse dans sa narration maints livrets baroques d'opera seria et notamment la situation du travestissement pour confondre un amant coupable. Nous trouvons cette situation notamment dans les livrets du Serse de Nicolò Minato et toutes les adaptations de l'Arioste dans le personnage de Bradamante, notamment dans celui d'Alcina que Händel met en musique en 1735. Et ce fut sans doute le même délice que celui que décrivit le Mercure de France en janvier 1754, une succession d'airs riches en ornements gracieux, en situations cocasses et surtout des moments de théâtre splendides. On distingue notamment les airs sublimes de Florise, interprétés avec l'intelligence et la sensibilité qu'on lui connait par Isabelle Poulenard. Et que dire de la Clarice de Jaël Azzaretti, épousant avec un sens comique incroyable le texte et le caractère de Favart et d'une musicalité parfaite ! Le Damon de Robert Getchell nous a porté aux nues avec un air de bravoure à la virtuosité digne des plus grandes voix qui peuplent le firmament baroque. En somme, les trois chanteurs ont réveillé en un éclair les ombres qui dorment à Versailles pour nous restituer ce bijou que Favart et Dauvergne ont ciselé pour parer le diadème dramatique de la couronne de Thalie. Et parurent à nouveau les membres de l'évocatrice Amarillis, cette fois-ci pour nous régaler des facéties des Troqueurs. Contrairement à la précédente comédie lyrique, à des égards moins brillants, Les Troqueurs ont fait l'objet d'un enregistrement ancien chez Harmonia Mundi avec William Christie à la tête de la Cappella Coloniensis et en plus d'avoir été l'objet d'étude d'une des académies baroques d'Ambronay.
Château de Versailles, détail de boiserie de l'ancien cabinet intérieur de Madame Adélaïde © Muse Baroque, 2011
Cet intermède ou opéra bouffon fut créé dans un contexte particulier et avec une ruse du commanditaire. Donnée pour la première fois au Théâtre de la Foire Saint-Laurent le 30 juillet 1753, au plus fort de la tourmente de la Querelle des Bouffons, le livret de Jean-Joseph Vadé, inspiré d'un conte de La Fontaine, reçut commande de Jean Monnet, directeur du théâtre qui voulait soutenir en douce le parti Français en faisant passer la musique de Dauvergne comme l'œuvre d'un musicien italien. La ruse porta ses fruits et le succès se confirma jusqu'en 1797, année de la mort du pétulant compositeur. L'histoire est légère et gracieuse, dans le goût sentimental et touchant piqué d'humour de l'époque. Deux amants quelque peu bourrus, Lubin et Lucas, s'accordent pour échanger leurs promesses de mariage pour deux filles au caractère bien défini, la taciturne Fanchon et l'énergique Margot. Mais les amants se rendent vite compte que l'échange est contreproductif et reviennent sur leur marché, tout cela commenté et provoqué par une contre-ruse des amantes. La musique est un ravissement sans cesse renouvelé, parfois d'une délicatesse étonnante pour une histoire sise dans les champs et aussi des moments de vivacité toute italianisante, jumelle des meilleurs morceaux d'un Galuppi, d'un Latilla ou d'un Orlandini. Le quatuor amoureux se révèle d'une brillance hors pair. Le Lucas d'Alain Buet est parfait dans la virtuosité et le rythme riche de ses airs, offrant une nuance toute particulière à chaque mot et chaque inflexion de la voix, chaque mot est du théâtre et caractérise son excellent jeu. Par ailleurs, le Lubin de Benoît Arnoult, avec des belles nuances dans le grave, est parfait dans les désopilants ensembles et les duos, livrant des moments rares de prosodie et de restitution. Côté cantatrices, celle qui par le livret s'offre les meilleurs moments est l'excellente Jaël Azzaretti dans le rôle volcanique de Margot, comédienne d'exception passant d'un air de furie au duo d'échos avec le Lucas d'Alain Buet. Malheureusement, Isabelle Poulenard dans le rôle de Fanchon ne chante que pendant les ensembles, mais rayonne dans la mimique et l'incarnation de la nonchalance du personnage. En ordonnatrices de ces deux heures de délices, rendant à merveille la diversité et la grandeur du génie comique de Dauvergne, Héloïse Gaillard au hautbois et au chalumeau, et Violaine Cochard au clavecin nous transportent de joie par leur enthousiasme. Nous avons été également été totalement conquis par la cohérence et la complicité théâtrale de l'Ensemble Amarillis, qu’il s’agisse du violon énergique et alerte d’Alice Piérot, secondée de Gilone Gaubert-Jacques, ou bien par le violoncelle percutant et raffiné d’Annabelle Luis. Et nous attendons donc avec impatience l'enregistrement de ces bijoux qu’Héloïse Gaillard, Violaine Cochard et leur joyeuse équipe nous ont interprétés avec tant de générosité et de franchise. En sortant de la magie qui dépasse le temps, les éléments jaloux se mirent à faire un concert de pluie sur les pavés séculaires qui virent les silhouettes de tant de grands esprits. Sur leur dos cétacé, noir et luisant comme un lac de jais, se reflétaient les ors flammigères du Palais des rêves que Versailles devient chaque soir, quand le sommeil apaise la ville et laisse la place aux échos de l'Histoire.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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