Une
scène en particulier a eu plus de succès que les autres : il s’agit de
la scène des adieux, dans Cadmus
et Hermione (que vous pouvez relire
en suivant ce lien, en attendant la production à venir de Vincent Dumestre et
Benjamin Lazar). Je vais m’appliquer à vous en citer une seule, mais en procédant
avant tout à une petite mise en contexte…
Une parodie
Le texte
Ce que cette parodie a de remarquable, c’est qu’elle
colle presque partout sur la musique de Lully – je vous épargne cependant le
détail des décomptes… Vous pouvez néanmoins regarder la partition avec les
paroles de la parodie : j’ai laissé les notes pour lesquelles il n’y a
plus de paroles sans rien (il ne faut bien sûr pas considérer le bref prélude !),
de sorte que vous pourrez remarquer que ça
se tient, comme on dit.
Elle se trouve aussi dans le Manuscrit 673, aux folios 167r à 168r.
Il faut noter, enfin,
qu’il semble que cette parodie ait été représenté. En effet, Tallemant des
Réaux note en marque que « Cette pièce s’est faite en l’Hostel de
Seneterre. Les deux sœurs y ont travaillé. »
Les personnages
Cette scène comporte deux personnages : Dangeau et
Ninon. Vous ne connaissez sans doute pas ces gens, aussi allons nous les présenter
un peu.
Honneur aux Dames ! Ninon de l’Enclos est une
femme d’une relative notoriété. Elle a, au cours de sa vie, quelque peu
collectionné les amants : d’abord Charles-Claude de Beaumont, sieur de
Saint-Estienne,, puis Henri de Lancy, chevalier de Raray, puis Jean Coulon ;
elle fut amoureuse de Gaspard de Coligny, duc de Châtillon, puis M. de Sévigné
et Antoine ou Pierre Rambouillet, alternativement ; elle eut des enfants
d’un certain Méret (qui n’est pas clairement identifié), de César-Phoebus
d’Albret, comte de Miossens, le Cardinal de Lyon, etc. Femme de caractère,
elle était plutôt d’humeur à quitter qu’à être quittée… Elle écrivit
à l’un des ses amants (M. de Sévigné) : « Je croy que je
t’aimeray trois mois ; c’est l’infiny pour moy. »
Elle était aussi plutôt malicieuse. En effet, une
anecdote raconte qu’ayant une fois amené un homme à sa chambre en lui
faisant dire qu’il « aurait bientôt compagnie », elle le trouva
endormi en arrivant ; elle lui prit ses vêtements, et le lendemain matin
paru devant lui habillée en homme, l’épée à la main comme pour le tuer ;
le pauvre homme prit peur, et elle se contenta de rire.
Autre anecdote. Il faut savoir qu’un proverbe latin, en
vogue à l’époque, disait qu’un homme poilu est soit courageux, soit
luxurieux (Vir pilosus, aut fortis, aut luxuriosus). Après une nuit passé
avec le duc d’Enghien, qui justement était poilu, elle n’hésita pas à lui
dire « Ah ! Monseigneur, que vous êtes courageux ! ».
C’est le duc lui-même qui raconte cela dans ces mémoires… Or ce Monseigneur est ensuite, comme c’est l’usage dans cette famille, devenu Prince de Condé,
le Grand Condé !
Il faut savoir enfin qu’elle
aimait passionnément. Pour prouver un jour à l’un de ses galants, qui,
voyant chez elle une bougie allumée, se croyait trompé et en était tombé
malade, qu’elle ne recevait personne sinon lui, elle se coupa les cheveux,
tous, qui étaient, paraît-il, très beaux, et les lui envoya. Son amant,
convaincu et bientôt guéri, lui pardonna, elle aussi, et l’on dit qu’ils
passèrent huit jours dans le lit du Monsieur.
Il y aura moins à dire sur Philippe de Courcillon, marquis
de Dangeau. Saint-Simon le dit sot et fat, et Tallemant des Réaux lui
trouve « la mine fort niaise. » Ce dernier raconte à son propos une
anecdote qui montre qu’il était plutôt irritable :
« Je ne sçay quel esveillé luy vint dire :
“Monsieur, pensez que vous avez estudié en philosophie ? – Ouy”
respondit-il naïfvement, “j’ay fait mon cours. – Hé bien !”
adjousta l’autre, “vous respondrez donc bien à cet argument : Tout
homme est animal, etc. [Vous estes homme, donc vous estes animal.] – Voyons si vous respondrez bien à celuy-cy,” repris Dangeau : “Tout
homme est menteur ; vous estes homme, donc vous estes menteur.” Et luy
donne un grand soufflet. »
Dangeau devait être aussi soit fâcheux, soit ennuyeux,
car une chanson sur son compte, qui circulait alors qu’il aurait dû partir
pour l’ambassade du Danemark mais qu’il était resté, avait pour refrain :
« Mais
il demeure dans Paris
Pour ennuyer grands et petits. »
Le contexte
Dangeau, qui était joueur professionnel, avait gagné au jeu contre Lord
Petersborough en Angleterre. La somme étant très importante, ce dernier avait
demandé un délai pour la réunir, mais une fois Dangeau rentré en France,
Lord Petersborough ne manifestait plus guère l’intention de payer sa dette.
Dangeau allait donc repartir en Angleterre pour essayer de récupérer son bien.
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sur le lien pour ouvrir la partition en .pdf
La « Scène des adieux » de
Cadmus et Hermione
(II, 4)
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Adieu de Dangeau et Ninon 
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CADMUS
Je vais partir,
belle Hermione,
Je vais exécuter
ce que l'Amour m'ordonne,
Malgré le péril
qui m'attend:
Je veux vous délivrer,
ou me perdre moi-même ;
Je vous vois, je
vous dit enfin que je vous aime,
C'est assez pour
mourir content.
HERMIONE
Pourquoi vouloir
chercher une mort trop certaine?
Eh! que peut la
valeur humaine
Contre le dieu
Mars en courroux?
Voyez en quels périls
vostre Amour nous entraîne!
J'aurois mieux
aimer vostre haine:
Ah! Cadmus;
pourquoi m'aimez-vous?
CADMUS
Vous m'aimez, il
suffit, ne soyez point en peine?
Mon destin, tel
qu'il soit ne peut être que doux.
HERMIONE
Vivons pour nous
aimer, et cesser de poursuivre
Le funeste
dessein que vous avez formé:
il doit être
bien doux de vivre,
Lorsqu'on aime,
et qu'on est aimé.
CADMUS
Sous une injuste
loi je vous voie asservie,
Seroit-ce vous
aimer que le pouvoir souffrir?
Lorsque pour ce
qu'on aime on s'expose à périr,
La plus affreuse
mort a de quoi faire envie.
HERMIONE
Mais vous ne
songez pas qu'il y va de la vie:
Faut-il que pour
mes jours vous soyez sans effroi:
Je vivrais sous
l'injuste loi
où mon cruel
destin me livre.
Mais si vous périssez
pour moi,
Je ne pourrai
pas vous suivre.
CADMUS
J'ai besoin de
secours, voulez-vous m'accabler?
Ah! Princesse,
est-il temps de me faire trembler?
HERMIONE
Soyez sensible
à mes alarmes!
CADMUS
Je ne sens que
trop vos douleurs.
HERMIONE
Partirez-vous
malgré mes pleurs?
CADMUS
Il faut aller
tarir la source de vos larmes.
HERMIONE
Quoi, vous
m'allez quitter?
CADMUS
Je vais vous
secourir.
HERMIONE
Ah! vous allez périr!
Vous cherchez
une mort horrible;
mon amour me dit
trop que vous perdrez le jour.
CADMUS
L'Amour que j'ai
pour vous ne croit rien d'impossible:
Il me flatte en
partant d'un bienheureux retour.
HERMIONE et CADMUS
(ensemble)
Croyez en mon
amour,
Vous n'écoutez
point ma tendresse,
Rien ne vous
retient?
CADMUS
Le temps presse.
Ensemble
Au nom des plus
beaux nœuds que l'Amour ait formés,
Vivez, si vous
m'aimez.
CADMUS
Espérons.
HERMIONE
Tout me désespère.
Que je me veux
de mal d'avoir trop sçû vous plaire!
Ensemble
Qu'un tendre
amour coûte d'ennuis!
HERMIONE
Vous fuyez?
CADMUS
Il le faut.
HERMIONE
Demeurez?
CADMUS
Je ne puis,
Je m'affaiblis
plus je diffère;
Il faut
m'arracher de ce lieu.
HERMIONE
Ah!
Cadmus!
CADMUS et HERMIONE
(ensemble)
Adieu.
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DANGEAU
Je vais passer
en Angleterre,
Je vais pour me
vanger dans cette ingrate terre
D’un Milord
qui fait l’insolent.
Je me feray
payer ou je perdray la vie.
Je scay que je
m’expose a quelque raillerie,
Mais je veux
avoir mon argent.
NINON
Ah !
Dangeau, pourquoy partez-vous ?
Vous prenez donc
l’espée et quittez la houlette.
Ostez vous cela
de la teste,
Et moderez
vostre courroux.
Voyez en quel
peril l’avarice vous jette.
J’aimerois
mieux perdre ma debte.
Ah !
Dangeau, pourquoy partez-vous ?
DANGEAU
Je l’avoüe,
entre nous, un combat m’inquiète ;
Mais après cet
esclat puis-je encore filer doux ?
NINON
Songez a
demeurer et cessez de poursuivre
Le funeste
dessein que vous avez formé.
Hélas !
vous aymez tant a vivre,
Et vous allez
estre assommé
DANGEAU
On ne perd pas ainsy quatre mille pistolles !
Outre tous les brocards qu’il me faudroit
souffrir,
Je fais de la depense et la veux soustenir :
Il faut cinq cents louis a mon second Briolles
NINON
Oh ! le plaisant second : c’est un
maistre d’Escole !
Mon cher Dangeau, ce choix est bien impertinent :
Cet homme n’est bon seulement
Que pour parler et pour escrire.
Quand on choisit pour son argent
Pourquoy, diable ! choisir le pire ?
DANGEAU
Par ces cruels discours vous voulez
m’accabler.
Il n’en faut pas beaucoup pour me faire
trembler.
NINON
Vous allez faire une sottise.
DANGEAU
Il est vray je le connois bien.
NINON
Je ne vous diray donc plus rien
DANGEAU
Je me repends desja d’une telle entreprise.
NINON
Ne la suyvez donc plus.
DANGEAU
Ah ! je serois perdu.
NINON
Mais vous serez battu.
Il n’est rien de sy ridicule
Que de s’en revenir honteux a Saint-Germain.
DANGEAU
Tout le monde n’a pas le don d’estre un
Hercule,
Et mesmes sur cela je ne fais pas le vain.
Il faut partir demain.
NINON
Sy vous ne voulez pas me croire,
Je vous laisse aller.
DANGEAU
Sotte gloire !
NINON
Malgré tous les conseils que l’on vous a
donnez,
Croyez-moy, Dangeau, rengaisnez !
DANGEAU
On m’attend.
NINON
Que j’ay de colère !
Vrayment c’est bien a vous d’estre sy
temeraire.
DANGEAU
Ah ! que le jeu cause de mal.
NINON
Vous partez ?
DANGEAU
Il le faut.
NINON
Demeurez !
DANGEAU
Mon cheval,
Mes pistolets et ma rapiere !
Il faut m’arracher à ce lieu.
NINON
Ah, Dangeau !
DANGEAU
Ah ! Ninon, adieu.
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L’auteur de cet article
Ah ! Lecteur, adieu.
Loïc CHAHINE
Discographie sélective
Jean-Joseph MOURET, Les Amours de Ragonde, La
Veillée de Village (1714), Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski,
Erato, . Une paroie hilarante des plus grandes pages du Surintendant
florentin avec l'inimitable accent villageois de Michel Verschaeve.