Rechercher Newsletter  - Qui sommes-nous ? - Espace Presse - FAQ - Contacts - Liens -   - Bookmark and Share

 

mise à jour

6 janvier 2014

Editorial

Brèves

Numéro du mois

Agenda

Critiques CDs

Critiques concerts

Interviews

Chroniques 

Tribune

Articles & Essais

Documents

Partitions

Bibliographie

Glossaire

Quizz

 

 

 

Lully & Parodies :

l'exemple de Cadmus & Hermione (suite)

 

Une scène en particulier a eu plus de succès que les autres : il s’agit de la scène des adieux, dans Cadmus et Hermione (que vous pouvez relire en suivant ce lien, en attendant la production à venir de Vincent Dumestre et Benjamin Lazar). Je vais m’appliquer à vous en citer une seule, mais en procédant avant tout à une petite mise en contexte…

Une parodie

Le texte

Ce que cette parodie a de remarquable, c’est qu’elle colle presque partout sur la musique de Lully – je vous épargne cependant le détail des décomptes… Vous pouvez néanmoins regarder la partition avec les paroles de la parodie : j’ai laissé les notes pour lesquelles il n’y a plus de paroles sans rien (il ne faut bien sûr pas considérer le bref prélude !), de sorte que vous pourrez remarquer que ça se tient, comme on dit.

Elle se trouve aussi dans le Manuscrit 673, aux folios 167r à 168r.

Il faut noter, enfin, qu’il semble que cette parodie ait été représenté. En effet, Tallemant des Réaux note en marque que « Cette pièce s’est faite en l’Hostel de Seneterre. Les deux sœurs y ont travaillé. »

Les personnages

Cette scène comporte deux personnages : Dangeau et Ninon. Vous ne connaissez sans doute pas ces gens, aussi allons nous les présenter un peu.

Honneur aux Dames ! Ninon de l’Enclos est une femme d’une relative notoriété. Elle a, au cours de sa vie, quelque peu collectionné les amants : d’abord Charles-Claude de Beaumont, sieur de Saint-Estienne,, puis Henri de Lancy, chevalier de Raray, puis Jean Coulon ; elle fut amoureuse de Gaspard de Coligny, duc de Châtillon, puis M. de Sévigné et Antoine ou Pierre Rambouillet, alternativement ; elle eut des enfants d’un certain Méret (qui n’est pas clairement identifié), de César-Phoebus d’Albret, comte de Miossens, le Cardinal de Lyon, etc. Femme de caractère, elle était plutôt d’humeur à quitter qu’à être quittée… Elle écrivit à l’un des ses amants (M. de Sévigné) : « Je croy que je t’aimeray trois mois ; c’est l’infiny pour moy. »

Elle était aussi plutôt malicieuse. En effet, une anecdote raconte qu’ayant une fois amené un homme à sa chambre en lui faisant dire qu’il « aurait bientôt compagnie », elle le trouva endormi en arrivant ; elle lui prit ses vêtements, et le lendemain matin paru devant lui habillée en homme, l’épée à la main comme pour le tuer ; le pauvre homme prit peur, et elle se contenta de rire.

Autre anecdote. Il faut savoir qu’un proverbe latin, en vogue à l’époque, disait qu’un homme poilu est soit courageux, soit luxurieux (Vir pilosus, aut fortis, aut luxuriosus). Après une nuit passé avec le duc d’Enghien, qui justement était poilu, elle n’hésita pas à lui dire « Ah ! Monseigneur, que vous êtes courageux ! ». C’est le duc lui-même qui raconte cela dans ces mémoires… Or ce Monseigneur est ensuite, comme c’est l’usage dans cette famille, devenu Prince de Condé, le Grand Condé !

Il faut savoir enfin qu’elle aimait passionnément. Pour prouver un jour à l’un de ses galants, qui, voyant chez elle une bougie allumée, se croyait trompé et en était tombé malade, qu’elle ne recevait personne sinon lui, elle se coupa les cheveux, tous, qui étaient, paraît-il, très beaux, et les lui envoya. Son amant, convaincu et bientôt guéri, lui pardonna, elle aussi, et l’on dit qu’ils passèrent huit jours dans le lit du Monsieur.

Il y aura moins à dire sur Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau. Saint-Simon le dit sot et fat, et Tallemant des Réaux lui trouve « la mine fort niaise. » Ce dernier raconte à son propos une anecdote qui montre qu’il était plutôt irritable :

« Je ne sçay quel esveillé luy vint dire : “Monsieur, pensez que vous avez estudié en philosophie ? – Ouy” respondit-il naïfvement, “j’ay fait mon cours. – Hé bien !” adjousta l’autre, “vous respondrez donc bien à cet argument : Tout homme est animal, etc. [Vous estes homme, donc vous estes animal.][8] – Voyons si vous respondrez bien à celuy-cy,” repris Dangeau : “Tout homme est menteur ; vous estes homme, donc vous estes menteur.” Et luy donne un grand soufflet. »

Dangeau devait être aussi soit fâcheux, soit ennuyeux, car une chanson sur son compte, qui circulait alors qu’il aurait dû partir pour l’ambassade du Danemark mais qu’il était resté, avait pour refrain :

« Mais il demeure dans Paris

Pour ennuyer grands et petits. »

Le contexte

Dangeau, qui était joueur professionnel, avait gagné au jeu contre Lord Petersborough en Angleterre. La somme étant très importante, ce dernier avait demandé un délai pour la réunir, mais une fois Dangeau rentré en France, Lord Petersborough ne manifestait plus guère l’intention de payer sa dette. Dangeau allait donc repartir en Angleterre pour essayer de récupérer son bien.

Cliquez sur le lien pour ouvrir la partition en .pdf

 

  La « Scène des adieux »
de
Cadmus et Hermione (II, 4)

  Adieu de Dangeau et Ninon

 

 

CADMUS

Je vais partir, belle Hermione,

Je vais exécuter ce que l'Amour m'ordonne,

Malgré le péril qui m'attend:

Je veux vous délivrer, ou me perdre moi-même ;

Je vous vois, je vous dit enfin que je vous aime,

C'est assez pour mourir content.

 

HERMIONE 

Pourquoi vouloir chercher une mort trop certaine?

Eh! que peut la valeur humaine

Contre le dieu Mars en courroux?

Voyez en quels périls vostre Amour nous entraîne!

J'aurois mieux aimer vostre haine:

Ah! Cadmus; pourquoi m'aimez-vous?

 

CADMUS

Vous m'aimez, il suffit, ne soyez point en peine?

Mon destin, tel qu'il soit ne peut être que doux.

 

HERMIONE

Vivons pour nous aimer, et cesser de poursuivre

Le funeste dessein que vous avez formé:

il doit être bien doux de vivre,

Lorsqu'on aime, et qu'on est aimé.

 

CADMUS

Sous une injuste loi je vous voie asservie,

Seroit-ce vous aimer que le pouvoir souffrir?

Lorsque pour ce qu'on aime on s'expose à périr,

La plus affreuse mort a de quoi faire envie.

 

HERMIONE

Mais vous ne songez pas qu'il y va de la vie:

Faut-il que pour mes jours vous soyez sans effroi:

Je vivrais sous l'injuste loi

où mon cruel destin me livre.

Mais si vous périssez pour moi,

Je ne pourrai pas vous suivre.

 

CADMUS

J'ai besoin de secours, voulez-vous m'accabler?

Ah! Princesse, est-il temps de me faire trembler?

 

HERMIONE

Soyez sensible à mes alarmes!

 

CADMUS

Je ne sens que trop vos douleurs.

 

HERMIONE 

Partirez-vous malgré mes pleurs?

 

CADMUS

Il faut aller tarir la source de vos larmes.

 

HERMIONE 

Quoi, vous m'allez quitter?

 

CADMUS

Je vais vous secourir.

 

HERMIONE 

Ah! vous allez périr!

Vous cherchez une mort horrible;

mon amour me dit trop que vous perdrez le jour.

 

CADMUS

L'Amour que j'ai pour vous ne croit rien d'impossible:

Il me flatte en partant d'un bienheureux retour.

 

HERMIONE  et CADMUS

(ensemble)

Croyez en mon amour,

Vous n'écoutez point ma tendresse,

Rien ne vous retient?

 

CADMUS

Le temps presse.

Ensemble

Au nom des plus beaux nœuds que l'Amour ait formés,

Vivez, si vous m'aimez.

 

CADMUS

Espérons.

 

HERMIONE 

Tout me désespère.

Que je me veux de mal d'avoir trop sçû vous plaire!

 

Ensemble

Qu'un tendre amour coûte d'ennuis!

 

HERMIONE 

Vous fuyez?

CADMUS

Il le faut.

 

HERMIONE 

Demeurez?

 

CADMUS

Je ne puis,

Je m'affaiblis plus je diffère;

Il faut m'arracher de ce lieu.

 

HERMIONE

Ah! Cadmus!

 

CADMUS et HERMIONE

 

(ensemble)

Adieu.

 

 

DANGEAU

Je vais passer en Angleterre,

Je vais pour me vanger dans cette ingrate terre

D’un Milord qui fait l’insolent.

Je me feray payer ou je perdray la vie.

Je scay que je m’expose a quelque raillerie,

Mais je veux avoir mon argent.

 

NINON

Ah ! Dangeau, pourquoy partez-vous ?

Vous prenez donc l’espée et quittez la houlette[1].

Ostez vous cela de la teste,

Et moderez vostre courroux.

Voyez en quel peril l’avarice vous jette.

J’aimerois mieux perdre ma debte.

Ah ! Dangeau, pourquoy partez-vous ?

 

DANGEAU

Je l’avoüe, entre nous, un combat m’inquiète ;

Mais après cet esclat puis-je encore filer doux ?

 

NINON

Songez a demeurer et cessez de poursuivre

Le funeste dessein que vous avez formé.

Hélas ! vous aymez tant a vivre,

Et vous allez estre assommé

 

DANGEAU

On ne perd pas ainsy quatre mille pistolles !

Outre tous les brocards qu’il me faudroit souffrir,

Je fais de la depense et la veux soustenir :

Il faut cinq cents louis a mon second Briolles

 

NINON

Oh ! le plaisant second : c’est un maistre d’Escole !

Mon cher Dangeau, ce choix est bien impertinent :

Cet homme n’est bon seulement

Que pour parler et pour escrire.

Quand on choisit pour son argent

Pourquoy, diable ! choisir le pire ?

 

DANGEAU

Par ces cruels discours vous voulez m’accabler.

Il n’en faut pas beaucoup pour me faire trembler.

 

NINON

Vous allez faire une sottise.

 

DANGEAU

Il est vray je le connois bien.

 

NINON

Je ne vous diray donc plus rien

 

DANGEAU

Je me repends desja d’une telle entreprise.

 

NINON

Ne la suyvez donc plus.

 

DANGEAU

Ah ! je serois perdu.

 

NINON

Mais vous serez battu.

Il n’est rien de sy ridicule

Que de s’en revenir honteux a Saint-Germain.

 

DANGEAU

Tout le monde n’a pas le don d’estre un Hercule,

Et mesmes sur cela je ne fais pas le vain.

Il faut partir demain.

 

NINON

Sy vous ne voulez pas me croire,

Je vous laisse aller.

 

DANGEAU

Sotte gloire !

 

NINON

Malgré tous les conseils que l’on vous a donnez,

Croyez-moy, Dangeau, rengaisnez !

 

DANGEAU

On m’attend.

 

NINON

Que j’ay de colère !

Vrayment c’est bien a vous d’estre sy temeraire.

 

DANGEAU

Ah ! que le jeu cause de mal.

 

NINON

Vous partez ?

 

DANGEAU

Il le faut.

 

NINON

Demeurez !

 

DANGEAU

Mon cheval,

Mes pistolets et ma rapiere !

Il faut m’arracher à ce lieu.

 

NINON

 

Ah, Dangeau !

 

DANGEAU

Ah ! Ninon, adieu.

 

 

L’auteur de cet article

Ah ! Lecteur, adieu.

                                                                                                                                            Loïc CHAHINE

Discographie sélective

Jean-Joseph MOURET, Les Amours de Ragonde, La Veillée de Village (1714), Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski, Erato, . Une paroie hilarante des plus grandes pages du Surintendant florentin avec l'inimitable accent villageois de Michel Verschaeve.

 

horizontal rule

[1] On lit dans la marge de gauche : « On l’a appelé en ryant le berger Dangeau. »

 

Retour aux Articles

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

Muse Baroque, le magazine de la musique baroque

tous droits réservés, 2003-2014