« Ah ! mes pauvres amis, murmura d’Artagnan, où êtes-vous? et que vous me faites faute ! » (Dumas, Les Trois Mousquetaires)
Les Trois Mousquetaires, première partie : d’Artagnan,
film hispano-franco-allemand réalisé par Martin Bourboulon
avec
Vincent Cassel, Romain Duris, Eva Green, Louis Garrel, Dominique Valadié, Nicolas Vaude, Marc Barbé, Patrick Mille, Thibault Vinçon, Éric Ruf, Pio Marmaï, François Civil, Julien Frison, Ralph Amoussou, Vicky Krieps, Lyna Khoudri, Alexis Michalik
Distributeur : Pathé Distribution
Durée : 2h01mn
Sortie le 5 avril 2023
L’on aurait dû se méfier. Le Cardinal est de toutes les parties, et a sans nul doute saboté la mission. Pourtant il y avait un budget énorme, de superbes décors naturels, une brochette de stars du moment. Trop d’outils, pas assez d’art sans doute… La presse entonnait ses louanges avant même que la première bobine – numérique – ne se déroule. Et patatras, la déception n’en est que plus grande et le résultat, quoique plaisant, s’avère inégal. Il faut dire qu’en dépit des innombrables adaptations des Trois Mousquetaires, l’opus original fut bien mal servi et les plus belles réussites, réussissant à conserver la verve et l’ironie de Dumas, proviennent d’adaptations connexes savoureuses et un tantinet théâtrales : la virevoltante Fille de d’Artagnan de Bertrand Tavernier (1992) avec rien moins que Philippe Noiret, Sami Frey ou Claude Rich si fidèle à l’esprit caustique et brillant de l’auteur, le d’Artagnan Amoureux ou Cinq ans avant [Vingt ans après] d’après le pastiche respectueux de Roger Nimier adapté pour le petit écran en 1977 avec le sémillant Nicolas Silberg (inoubliable également dans la Dame de Monsoreau toujours mis en scène par Yannick Andréi). Les deux volets de Richard Lester (1973) conservent nos suffrages pour leur fidélité à l’intrigue, malgré les décors espagnols et certaines bouffonneries excessives, tandis que l’innocente truculence de Bernard Borderie (1961), quoique badine et franchement sans prétention, ravit surtout dans son premier volet.
Revenons à cette nouvelle adaptation, qui, si elle nous dispense de kung-fu, de sorcellerie ou de dirigeable volant, choses déjà vues et honnies, ne s’égare pas moins un peu de son propos et de son matériau. Martin Bourboulon – tâcheron inégal auquel on doit la culture de plusieurs navets – a décidé de remplir les mirettes des spectateurs et tente un revival du film de cap et d’épée à la française (que le Bossu de Philippe de Broca avait incarné avec verve avec rien moins que Lucchini en détestable mais touchant Gonzague et des duels au cordeau), mais le rythme et l’esthétique de jeu vidéo et les affreux costumes, croisement contre-nature entre un western poussiéreux (la récente série de la BBC fit de même, une désinvolture de second degré en plus) et les pitreries infantilisantes de Pirates des Caraïbes plombe l’atmosphère tandis que l’intrigue de Dumas est élaguée (exit les valets, Monsieur Bonacieux, ou bien des « scènes de vie » mais des complots à gogo et un attentat de protestants extrémistes justifiant le siège de La Rochelle).
Ce d’Artagnan habillé comme un esquimau à son arrivée à Paris, ces cow-boys mousquetaires crasseux (les chapeaux et manteaux sont détestables), ces coupes de cheveux de punk (Monsieur, frère du Roi, le Capitaine de Tréville, l’on se demande si la production économise les postiches ?) jurent terriblement avec l’époque, et avec les personnages qui tirent mieux leur épingle, notamment l’excellent Louis XIII de Louis Garrel au profil bourbonien, aux hésitations maladroites et à la jalousie froide (qui ne peut éclipser celui de Jacques Rosny mais se hisse aisément au-dessus du reste de ses concurrents). Après avoir campé une Sissi si bien mal dans sa peau, Vicky Krieps se retrouve en reine tourmentée et triste, fidèle malgré elle à un mari glacial et insuffle un peu de touchante humanité à ce film trop superficiel. On s’amuse toutefois des talents de séducteurs du d’Artagnan hâbleur de François Civil, et l’on se laisse prendre au spleen de l’Atos fatigué mais noble de Vincent Cassel avec ses grosses valises sous les yeux, et une acadabrantesque accusation de féminicide. Le Porthos de Pio Marmaï prend de la place mais peu de pellicule (juste assez pour une séquence où on le découvre bisexuel !). En revanche, le pauvre Aramis de Romain Duris, surmaquillé façon Johnny Depp grosse lampée de rimmel sous les yeux et 10 colliers autour du cou, est à mille lieues du délicat Abbé d’Herblay, amant de Mme de Chevreuse, doux conspirateur de Dumas. Ici, ce même Aramis taille un crucifix en épieu et en torture un obscur aubergiste pour récupérer trois chevalières [attention spoiler obscur, et bien éloigné de l’intrigue originelle]. La Milady d’Eva Green passe juste son temps à se déguiser et à passer de l’une ou l’autre de tenues de soirée gothique, en susurrant des vacheries d’une voix grave de conspiratrice en se pavanant dans un hôtel particulier franchement XIXème (mais Bourboulon n’a que faire de l’histoire de l’art). On la reverra sans doute davantage dans la suite. L’éminence écarlate d’Eric Ruf s’ennuie (et malgré son talent, il ne ressemble guère à l’original qu’ont incarné avec délices le machiavélique Daniel Sorano ou le grand Pierre Vernier). On se réjouit tout de même de le voir vers la fin arborer enfin sa barrette et son collier du Saint-Esprit… Malgré quelques traits d’esprit bien sentis, les dialogues sont bien trop brefs, virent à la punchline digne d’OSS 117, si bien que les personnages ne sont ni profonds, ni attachants, même la gentillette Constance de Lyna Khoudri.
On a déjà dit tout le mal d’une photographie contrastée et lisse qui vire à l’esthétique de jeu vidéo maronnasse à la Assassin’s Creed (et que certains tentent de rattraper en citant la shakespearienne Reine Margot ou le crépusculaire Capitaine Alatriste, deux long-métrage d’un tout autre calibre) Le réalisateur surjoue les filtres flous et abuse du plan séquence (pas celui, élégant et aristocratique à la manière du prologue de la Soif du Mal (Orson Welles, 1958) ou de la sublime Poupée (Wojciech Has, 1968), mais celui grossier de l’adolescent habitué au « point of view » de sa Playstation à mitrailler des nazis). Ajoutez à cela une bande-son envahissante et qui se prend affreusement au sérieux, grandiloquente à souhait, imitant celle des Batmen de Christopher Nolan, et vous obtiendrez un produit indigeste, dont la compacité de rythme n’a d’égale que l’illisibilité narrative. Heureusement il nous a semblé qu’il y avait un peu de Purcell lors de la scène du bal masqué.
Pire et palsambleu, pour un film de cape et d’épée, il n’y a presque pas de capes, ni d’épées. Du moins celles que l’on voit sont rarement mises à l’épreuve lors de véritables duels. L’incontournable maître d’armes Claude Carliez n’est plus (mais l’on doit à son fils Michel les combats du Bossu de Philippe de Broca et d’un honnête Lagardère pour le petit écran), et l’on se retrouve avec des combats incompréhensibles et mal chorégraphiés, où les grosses détonations des pistolets et fusils (et à une cadence de tir infernale) remplacent le dialogue des rapières. Que les duels virtuoses mais légers du second Bossu précité, ceux brefs et très réalistes des Duellistes de Scott, ou rugueux et sanglants du Capitaine Alatriste d’Agustín Díaz Yanes sont loin de ce magma informe, tourné au ralenti et réaccéléré, totalement indigne de l’art de l’escrime artistique à la française !
Et puis si Dumas violait l’Histoire pour lui faire de beaux enfants, le réalisateur viole Dumas sans résultat : comme si l’intrigue des ferrets (véridique, et relatée dans les Mémoires de Monsieur de Brienne) ne suffisait pas, on jette pêle-mêle des conspirations et des guerres de religion, un frère d’Atos et son passé remanié, soupoudrés à la hâte entre deux rames de bastonnades. Ce grand n’importe quoi culmine lors du mariage de Gaston d’Orléans au lieu du Ballet de la Merlaison (au moins ils se déroulèrent tous deux en 1626), lorsque cela sulfate à plein régime avec de faux moines encapuchonnés au milieu de la cathédrale de Meaux. Dans cette confusion constante, l’excellente idée de tourner dans des lieux historiques tourne parfois au vinaigre du fait de l’absence du moindre respect des connaissances en histoire de l’art des spectateurs réputés incultes : l’aile Louis XIV du Louvre resplendit quant il aurait été si facile d’ajouter quelques trucages numériques, le château de Chantilly passe pour les jardins du Louvre, l’Abbaye du Val-de-Grâce était en construction et celle du film est manifestement Royaumont, le château du Duc de Buckingham est en réalité le Château Vieux de Saint-Germain-en-Laye… Il est naturel d’utiliser des monuments composites réunis par la magie du cinéma, mais le talent du choix des lieux est d’éviter justement de les reconnaître si aisément quand ils sont des imposteurs comme Ridicule ou Les Liaisons Dangereuses ont si bien réussi. Et pourquoi pas une vue du Mont Saint-Michel pour la Sainte Chapelle, ou Carcassonne pour La Rochelle ? En revanche, l’idée de tourner à l’Hôtel de Lauzun (tout de même postérieur et il aurait fallu masquer les grandes glaces de dessus de cheminée) ou dans la Grande Galerie, le petit escalier ovale et la Salle de Bal de Fontainebleau sont bienvenus, de même que des lieux moins célèbres telles certaines cours du château de Compiègne ou des Invalides pour la caserne des mousquetaires, l’Abbaye de Longpont (mais bon encore une fois cela n’a rien à voir avec le Val-de-Grâce !) et la Cathédrale de Meaux. on ne mentionnera pas même des erreurs plus pointues, telles les crémones voire espagnolettes des fenêtres non encore inventées, mais si l’on en vient à ce niveau de détail, bien peu de longs métrages serait éligibles au label du spectateur Muse Baroque…
Bref, l’on passe un agréable moment, certes oubliable, et l’on reprendra bien un verre de vin d’Anjou en écoutant les musiques au temps de Richelieu sous la baguette d’Hugo Reyne (Musiques à la Chabotterie) ou des airs de cour des Plaisirs du Louvre par Sébastien Daucé (Harmonia Mundi) en attendant la suite de ce divertissement surgonflé mais dont la baudruche se laisse regarder.
Viet-Linh Nguyen
PS : il était inutile d’inventer un « Calvaire Saint-Sulpice » pour se battre en forêt, plutôt que d’aller tout simplement au couvent des Carmes Déchaux (« Il [d’Artagnan] vola donc plutôt qu’il ne marcha vers le couvent des Carmes Déchaussés, ou plutôt Deschaux, comme on disait à cette époque, sorte de bâtiment sans fenêtres, bordé de prés arides, succursale du Pré-aux-Clercs, et qui servait d’ordinaire aux rencontres des gens qui n’avaient pas de temps à perdre. ». Le monastère des Carmes Déchaux, inauguré en 1611, subsiste toujours en partie, aux numéros 70 à 74 de la rue de Vaugirard)
Étiquettes : Alexandre Dumas, cinéma, Louis XIII, Richelieu Dernière modification: 31 août 2023