Rédigé par 8 h 02 min CDs & DVDs, Critiques

Tournet triomphal ! (Bach, Motets, Tournet, La Chapelle Harmonique – Château de Versailles Spectacles)

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
Motets

Johan Sebastian Bach
Singet dem Herrn ein neues Lied. BWV 225
Komm, Jesu, komn. BWV 229
Jesu, meine Freude. BWV 227
Fürchte dich nicht, ich bin bei dir. BWV 228

Johan Christoph Bach (1642-1703)
Lieber Herr Gott, wecke uns auf

 Johan Sebastian Bach
Der Geist hilft unser Schwachheit auf. BWV 226
O Jesu Christ, meins Lebens licht. BWV 118

Sebastian Knüpfer (1633-1676)
Erforsche mich Gott

Johann Sebastian Bach
Lobet den Herrn, alle Heiden. BWV 230

Hélène Walter, soprano
Anna-Lena Elbert, soprano
William Shelton, alto
Benjamin Glaubitz, ténor
Christian Immler, basse

La Chapelle Harmonique
Valentin Tournet, Direction

 1 CD digipack, Château de Versailles Spectacles, 2022, 77′

Certains vous diront qu’il est des œuvres qui s’abordent avec la maturité. D’autres vous rétorqueront que cette dernière n’infuse pas dans le sillon des rides. Et si la témérité peut être un élan aveugle, saluons l’audace quand elle s’avère prélude à la grâce. De l’audace, de l’assurance et indéniablement du talent, il en fallait au jeune chef Valentin Tournet, qui vient à peine de franchir le quart de siècle, pour s’attaquer aux Motets de Bach, œuvres phares du genre et l’un des (nombreux) sommets démontrant la maîtrise et la virtuosité de composition du Maître de Leipzig.

Sur l’importance de ces Motets dans l’œuvre de Bach, ne digressons pas et renvoyons le lecteur aux écrits de l’exégète Gilles Cantagrel (J-S Bach, Passions Messes et Motets, Fayard, 2011) ou à la biographie intime du compositeur écrite par John Eliot Gardiner (Bach, Alfred A. Knopf, 2013), qui lui-même grava les Motets pour son label ODD en 2011. S’y retrouvent notamment les discussions autour de la manière d’exécuter les motets, à savoir a cappella, avec un continuo ou bien colla parte, avec instruments doublant chaque partie vocale. Valentin Tournet et les membres de La Chapelle Harmonique, suite à un travail de recherche sur partitions anciennes manuscrites optent pour cette dernière option, avec l’adjonction de consorts de violons et/ou de hautbois en colla parte avec les chanteurs, cette tournure répondant aux ambitions artistiques de donner à ces compositions une esthétique mariant la chorale aux timbres instrumentaux pour atteindre une couleur de son particulière plus dense et plus riche.

Christophe Coin, Jordi Savall et Philippe Herreweghe, collectivement professeurs, maîtres et inspirateurs de Valentin Tournet peuvent être fiers de leur élève qui semble pour ce second enregistrement consacré à Bach (après un Magnificat et Cantates de Bach pour Château de Versailles Spectacles en 2019, où l’on retrouve notamment en interprètes Marie Perbost et Eva Zaïcik) avoir parfaitement intégré à la fois leur sens du rythme instrumental et de la musicalité vocale pour délivrer un enregistrement touché par la grâce de bout en bout, aidé en cela par une qualité d’enregistrement rendant ces œuvres dans la plénitude de leur clarté, de leur amplitude et de leur relief.

L’émotion surgit dès l’entame du premier motet de cet enregistrement, peut-être le plus célèbre, Singet dem Herrn ein neues Lied (Chantez-au Seigneur un chant nouveau), composé entre 1726 et 1727. Débarrassé de toute tonalité sacrificielle, l’œuvre émerveille par des élans à la fois vibrants et virtuoses, magnifiant le double chœur (4 voix à chaque chœur) dans la partie fuguée tirée du Psaume 149 (Die Kinder Zion sei’n fröhlich über ihrem königue). La polyphonie ample et solennelle s’accompagne ici d’une précision rythmique et d’une scansion rendant à l’œuvre une majesté intemporelle. L’entrée progressive des solistes, permettant à chaque chanteur d’affirmer une identité qui se fond bientôt dans l’ensemble en une parfaite symbiose, est aussi l’occasion pour nous de souligner la très grande qualité des voix solistes, Hélène Walter notamment (soprano I), voix cristalline et posée, majestueuse et solennelle, s’accordant dans une belle liaison avec un chœur aux attaques franches, aux aigus féminins gracieux et d’où se dégage une vitalité haletante contribuant à faire de ce motet une entrée en matière marquée par la perfection, dont le final à deux chœurs (Lobet den Herrn in seinen Taten) tout en résonnances et réverbérations subtilement maîtrisées donne une idée de l’extase, avant une conclusion à l’unisson du plus bel effet.

Cette majesté du chœur de la Chapelle Harmonique se retrouve dans le court motet Komm, Jesu, komm (Viens, Jésus, viens) à la structure plus originale (sans entrer dans les détails, soulignons qu’il a peut-être été composé à l’occasion des funérailles de la veuve de Johan Schelle qui avait déjà mis en musique le texte de Paul Thymich en 1684) et qui subjugue par le jeu entre les deux chœurs, à la fois confiant, intime et tendre, comme une émouvante plainte aux délicieux soutiens des cordes. Un jeu presque mutin entre les chœurs, dans lequel se répondent chœurs masculins et féminins, en équilibre et en mesure, et dans ce jeu, remarquons la parfaite assise du chœur masculin, d’un équilibre à souligner.

La qualité des chœurs et des solistes masculins est indéniablement un autre des atouts de la distribution de cet enregistrement, leurs voix s’accordant et s’alliant avec une élégance rare. Si tous contribuent à la puissante déclaration de ferveur que sont ces motets de Bach, notons la très belle singularité et sensibilité de timbre de William Shelton (ici en alto) particulièrement émouvant dans le So aber Christus in euch ist, composant le motet Jesu, meine Freunde. Une voix à l’encore jeune carrière, bien que déjà émaillée de collaborations prestigieuses (Raphaël Pichon, Thomas Hengelbrock, Paul Agnew…) dont la suite de parcours sera à suivre.

Un motet Jesu, Meine Freunde constituant par ailleurs dans son entièreté l’un des autres moments incontournables de cet enregistrement. Peut-être car le plus long des motets du compositeur, mais assurément plus du fait de la complexité et de la variété de sa composition, étant en lui-même une pièce maîtresse, un Himalaya choral sur lequel de longs développements ont déjà été écrits. Débutant sur un solennel, émouvant mais finalement assez simple Jesu, meine freunde en chœur homophone à quatre voix, il atteint dès le second mouvement (Es ist nun nichts verdammliches) une maîtrise rythmique parfaitement rendue par les musiciens de l’ensemble, avec notamment une superbe superposition et juxtaposition des voix féminines, et ce martèlement du dernier mot avant l’hémistiche dont se rappellera plus tard Johannes Brahms dans la composition de son Requiem allemand (dont nous recommandons a minima l’écoute du Denn alles Fleisch, es ist wie Gras pour se rendre compte de l’héritage). Alternant parties de chœur et airs pour solistes, le Denn das Gesetz des Geistes sera l’occasion de divins échanges entre la déjà remarquée et citée Hélène Walter et Anna-Lena Elbert (soprano II), jeune soprano munichoise à la voix légère, transparente et céleste dont les engagements encore assez rares de ce côté des Vosges mériteraient d’être plus nombreux. Citons encore le ténor Benjamin Glaubitz, lui aussi d’origine allemande qui notamment sur le Gute nacht, o Wessen, sait apporter toute la personnalité et la puissance de sa voix en appui de ses comparses (Hélène Walter, Anna-Lena Elbert et William Shelton). Nous serions injustes en ne citant pas la plus discrète mais fort appropriée voix grave et réconfortante de Christian Immler (ici en basse) sur le motet Der Geist hilft unser Schwachheit auf.

A ces motets Valentin Tournet a souhaité intégrer le Erforsche mich gott de Sebastian Knüpfer (1633-1676), prédécesseur de Bach comme Thomaskantor et influence avouée du grand Jean-Sébastien qui adapta ses compositions. D’une tonalité plus funèbre, le motet de Knüpfer mis en reflet de ceux de Bach souligne la majesté des compostions de ce dernier et l’influence durable qu’il impulsa aux compositions sacrées bien après sa disparition.

Alors, vous l’aurez compris, cet enregistrement des Motets de Jean-Sébastien Bach par Valentin Tournet et la Chapelle Harmonique a fait plus que nous plaire. Il nous a enchanté, transporté et époustouflé. La qualité, le choix individuellement juste de chaque soliste n’a d’égale que la qualité collective des chœurs. Précis dans ses intentions, dompteur des complexités rythmiques de la partition, Valentin Tournet s’avère dans ses choix d’accompagnement et d’interprétation d’une pertinence rare, arrivant à réapprécier une œuvre aussi connue que piégeuse. Il y aurait tant à ajouter sur cette vision optimiste et festive, presque latine des motets avant de conclure, mais pourtant arrêtons nous devant une discographie des Motets de Bach dont ce disque constitue déjà l’un des jalons essentiels.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : très bonne captation, équilibrée et fine.

Étiquettes : , , Dernière modification: 1 mai 2023
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