La publication du « Livre Noir des destructions haussmaniennes » commenté par Pierre Pinon (Parigramme, 2012) a permis de tordre le coup à de nombreuses idées reçues. Parmi celles-ci, l’hypothèse communément admise que les coupes franches du Baron Haussmann ont eu raison de quartiers médiévaux entiers, et massacré leur maisons à pans de bois. Or, la publication du Livre noir a permis d’en savoir davantage : il contient tous les relevés des maisons alors appelées à être démolies. En effet, durant 3 ans, de 1852 à 1854, une équipe d’architectes menés par le jeune Gabriel Davioud (1824-1881) a ainsi croqué le visage du Paris qu’ils allaient percer et repercer. Si les relevés dessinés ont été perdus dans l’incendie des archives de la Ville de Paris lors de la Commune, subsistent les relevés de terrain déposés à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris qui comportent les élévations. Et, surprise et damnation, l’on y découvre que la très grande majorité des destructions ont concerné des immeubles aux façades typiques des XVIIe et XVIIIe siècles !
Toutefois, nuançons ce constat, car sous ces apparences se cachent parfois des maisons plus anciennes, remaniées au fil du temps. Ainsi, outre le fait que l’édit d’Henri IV de décembre 1607 recommande d’enduire les pans de bois pour limiter les risques d’incendie (ce qui rend la structure constructive difficilement discernable), les croisées et demi-croisées médiévales qui forment des baies irrégulières sur la façade ne disparaissent qu’au début du XVIIème, tandis que les allèges des baies sont souvent alors rabaissées pour gagner de la lumière et ajouter des garde-corps de ferronnerie qui font fureur à compter des années 1660 (cf. infra sur la réglementation visant à faire face à la prolifération des balcons du même coup). Un indice plus ou moins sûr de datation des bâtiments (médiévaux ou baroques) réside dans la présence du pignon en façade, typique des maisons médiévales, et non du mur gouttereau sur rue. Mais là encore bien des altérations ont pu survenir avant les destructions XIXème : surélévations faisant disparaître les pignons, enduits, lucarnes modifiées ou ajoutées… Et l’on construit parfois encore en plein Grand Siècle de manière archaïque comme le montre la méprise sur « la plus vieille maison de Paris » du 3 rue Volta (3ème arrondissement), à pans de bois, mais bâtie en réalité entre 1644 et 1654 (cf. l’article de Youri Carbonnier, Le bois contre la pierre dans la construction parisienne au XVIIIème siècle qui démontre brillamment l’inanité de la dichotomie médiévale / moderne sur les maisons à pans de bois). On conclura donc partiellement qu’on ne saura jamais réellement de quand dataient originellement les immeubles détruits massivement par les percées haussmanniennes ou la lutte contre l’insalubrité, mais que l’apparence de ces bâtiments était majoritairement représentatifs des constructions du Grand Siècle et de celui des Lumières, et d’une simplicité souvent comparable aux préceptes de Le Muet dans sa Manière de bâtir pour toute sorte de personnes (1623) d’une efficace sobriété.
Et puisque nous parlons du Baron, ajoutons en guise d’appendice qu’il serait bien erroné de penser qu’avant les corsets du XIXème le développement urbanistique parisien était relativement anarchique. Plusieurs textes structurant avaient ainsi tenté de rationnaliser les constructions :
- en décembre 1607, un édit d’Henri IV adressé à Sully en sa qualité de Grand Voyer de France réglemente l’alignement et les saillies, interdisant les plis ou coudes lors des reconstructions, ainsi que les surplombs si typiques des maisons médiévales, et recommande d’enduire les façades à pans de bois pour limiter les risques d’incendie :
« Voulons aussi et nous plaist que lorsque les rues et chemins seront encombrez ou incombrez, nostre dit grand-voyer ou ses commis enjoignent aux particuliers de faire oster lesdits empeschements. Défendons à nostre dit grand-voyer ou ses commis de permettre qu’il soit fait aucunes saillies, avances et pands de bois, aux bâtiments neufs, et même à ceux où il y en a à présent de contraindre les réédifier, n’y faire ouvrage qui les puisse conforter, conserver et soutenir, n’y faire aucun encorbellement en avance, pour porter aucun mur, pands de bois ou autre chose en saillie et porter à faux sur les dites rues : ainsi faire le tout continuer à plomb, depuis le rez-de-chaussée tout contremont et pourvueoir à ce que les rues s’embellissent et élargissent au mieux que faire se pourra et en baillant par luy les alignements redressera les murs où il y aura ply ou coude… »
- en août 1667, une ordonnance du 18 août interdit les encorbellements (y compris les balcons) sauf autorisation spéciale et fixe la hauteur maximale des corniches parisiennes à 8 toises (environ 16 mètres), et réitère l’interdiction des encorbellements (pour limiter les risques d’incendies, le Londres de 1666 n’est pas loin). De même, l’ordonnance demande à ce que les façades à pans de bois soient recouvertes de plâtre à la chaux,
- enfin, en 1783-1784 (déclaration royale du 10 avril 1783 et lettres patentes du 25 août 1784 ) fixent un rapport de proportion entre la largeur des rues et la hauteur des immeubles : 54 pieds de corniche maximum pour des rues larges de 30 pieds, des combles de 10 pieds de haut pour des immeubles à corps simples et 15 pour ceux à corps double (règle simplifiée en 1785 pour un comble faisant au maximum de la moitié de la hauteur de la façade). Les combles doivent également s’inscrire sous une diagonale à 45 degrés partant de l’égout de toiture. [M.B.]
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