Rédigé par 12 h 12 min Concerts, Critiques

J’y suis, j’Oreste ! (Haendel, Fagioli, Lezhneva, Il Pomo d’Oro – TCE, 14 juin 2021)

Georg-Frederic Haendel 
Oreste, opéra en trois actes sur un livret anonyme (1734)

Franco Fagioli : Oreste
Siobhan Stagg : Ifigenia
Julia Lezhneva : Ermione
Krystian Adam : Pilade
Biagio Pizzuti : Toante
Margherita Maria Sala : Filotete

Maxim Emelyanychev, direction et clavecin
Orchestre Il Pomo d’Oro

Représentation du 14 juin 2021, version de concert, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. [Version écourtée à 1h40 en raison des circonstances sanitaires]

 

Plaisirs coupables
Certains plaisirs coupables ne se refusent pas. Il en va ainsi du « petit Haendel italien de routine », et tant pis si c’est un pasticcio, c’est-à-dire un ragoût d’aria da capo réchauffés d’autres opéras agrémentés avec soin tout de même, et adaptés comme il se doit. Il faut savoir se faire du bien de temps à autre, et écouter les Abendsmusiken de Buxtehude à longueur de confinement peut nuire à la santé. On connaît peu cet Oreste, qui a eu les honneurs d’un disque inégal (sous la baguette de George Petrou mais sans sa phalange habituelle, chez MDG). 1734, l’entreprise handélienne tangue entre deux théâtres et la concurrence avec l’Opera of the Nobility est féroce. Certains de ses chanteurs le trahissent et passent dans le camp de Porpora : il perd Il Senesino, la basse Montagnana ou encore la chanteuse Margherita Durastanti. Face à ce coup dur, Haendel occupe le terrain, et entre les chefs d’oeuvre d’Ariodante et d’Alcina, monte cet Oreste, donc on n’appréciera que peu la construction dramatique lors de cette représentation, en raison des multiples coupes infligées pour prendre en compte les contraintes liées à la crise sanitaire (et notamment les musiciens masqués). Les trois ballets, et nombres de reprises ou d’airs vont passer aux oubliettes.

Mais ce qu’il en reste est magnifique. Le jeune chef prodige Maxim Emelyanychev, dirigeant à partir du clavecin, moule l’œuvre à son image : un concentré survitaminé, à la sève multicolore, aux contours abrupts et excitants, spontané et jouissif. L’orchestre d’Il Pomo d’Oro fait valoir des attaques carrées, une nervosité tendue de tous les instants, qui ne se relâche que dans quelques trouées élégiaques au contraste d’autant plus flagrant. On goûte l’excellence du continuo (un peu bavard), et un son généreux, violent, viscéral, qui saisit la musique et les tripes et les portent de bout en bout avec une conviction communicatrice. 

Face à ce chef monstre, une autre bête de scène  : Franco Fagioli. Plaisir de la sortie de confinement ? De la reprise du spectacle vivant ? Son Oreste explose et vibre littéralement, s’adonnant aux acrobaties les plus périlleuses, jonglant des doubles croches, improvisant des da capos stellaires d’une inventivité et virtuosité débordantes, stupéfiant la salle et les musiciens en apesanteur et attendant le retour à la cadence. Le timbre est certes un peu acide parfois, mais la projection, la tenue de la ligne, l’assurance solaire font de Fagioli un descendant crédible des Senesino et autres Farinelli. Le reste du plateau ne démérite pas, mais paraît un peu plus en retrait tant le chef et son chanteur vedette occupent l’espace. On louera le Toante mafieux de Biagio Pizzuti, au chant volontairement lubrique et gras, mais aux graves stables et résonnants, lorgnant sur la belle Hermione de Julia Lezhneva, autre grande artiste de la soirée. La projection droite, le timbre minéral perçant, l’intensité de la ligne sont remarquables ; le phrasé cependant trahit une âme plus mozartienne ou dix-neuvièmiste que baroque, et on regrettera des problèmes de justesse, très audible dans le duo avec Oreste. On saluera également l’Iphigénie très élégante et souple de Siobhan Stagg, un peu trop legato dans les airs, mais au soprano velouté. L’on passera enfin plus rapidement sur un Pylade bien tempéré de Krystian Adam, et un capitaine des gardes que le mezzo équilibré de Margherita Maria Sala (en robe) ne parvient pas à incarner de manière suffisamment martiale.

A l’issue de cette soirée éblouissante de virtuosité et d’énergie, une seule question se pose : à quand une reprise intégrale et un enregistrement ?

 

Viet-Linh NGUYEN

 

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 29 juin 2021
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