Rédigé par 13 h 10 min Portraits, Rencontres

« On la refait… Prise 34 ! »

30 octobre 2009, première séance d’enregistrement en l’église Saint-Pierre des Chartreux, Toulouse. Le lendemain du concert en la cathédrale Saint-Etienne, nous revoici avec la même équipe dans le très beau chœur de Saint-Pierre-des-Chartreux, la paroisse étudiante de Toulouse. L’édifice datant des XVIIème et XVIIIème siècles, au portail richement sculpté, possède un charmant petit cloître et une nef double, respectivement pour séparer les fidèles et les Chartreux.

Dans la forêt des micros d’un enregistrement de grands motets avec Les Passions et Jean-Marc Andrieu

L’Eglise Saint-Pierre des Chartreux, Toulouse © Muse Baroque, 30/10/2009.

Jean GILLES (1668-1705)
Trois Lamentations pour la Semaine Sainte
Motet « Diligam te, Domine »
Anne Magouët (dessus)
Vincent Lièvre-Picard (haute-contre)
Bruno Boterf (taille)
Alain Buet (basse)
Chœur de chambre Les Eléments (dir. Joël Suhubiette)
Les Passions, Orchestre Baroque de Montauban
Direction Jean-Marc Andrieu
Aline Blondiau, directrice artistique
Eric Baratin, ingénieur du son, fondateur et directeur artistique de Ligia Digital

 

30 octobre 2009, première séance d’enregistrement en l’église Saint-Pierre des Chartreux, Toulouse

Le lendemain du concert en la cathédrale Saint-Etienne, nous revoici avec la même équipe dans le très beau chœur de Saint-Pierre-des-Chartreux, la paroisse étudiante de Toulouse. L’édifice datant des XVIIème et XVIIIème siècles, au portail richement sculpté, possède un charmant petit cloître et une nef double, respectivement pour séparer les fidèles et les Chartreux. C’est dans le chœur des Chartreux, avec ses stalles sculptées, ses fresques et ses bas-reliefs, que nous avons retrouvé Jean-Marc Andrieu et ses musiciens, en tenue plus décontractée que la veille, au milieu des micros habilement disposés par Eric Baratin et Aline Blondiau.

Jean-Marc Andrieu et les Passions dans l’Eglise Saint-Pierre des Chartreux © Muse Baroque, 30/10/2009.

Les auditeurs, habitués à la déconcertante facilité de l’écoute des CDs s’imaginent-ils vraiment le phénoménal travail de ces ouvriers de l’ombre, dont l’alchimie précieuse transforme la musique réelle en bribes numériques, recrée un mouvement qui n’a jamais été joué en tant que tel, montage talentueux de centaines de prises ?

Aline Blondiau en train d’écouter les prises © Muse Baroque, 30/10/2009.

Pour cela, il faut imaginer une belle après-midi encore nimbée d’un soleil blond, caressant les grisailles, soulignant les courbes des stalles, des artistes plaisantant dans une ambiance de colonie musicale un brin potache et complice. Eric Baratin vêtu de son polo rose surgit de la petite pièce attenante où il a disposé sa table d’enregistrement, fait jouer un à un les différents instruments, les cordes, les bois, le chœur… Et bien entendu, en raison des timbres, des fréquences, de la puissance de chaque instruments, des soucis apparaissent, notamment pour les traversos, trop peu audibles pour le fragile micro. On ajuste, on tâtonne, on s’escrime – en repositionnant les musiciens ou la bestiole électronique – à obtenir un équilibre dont le naturel sera le fruit d’un mélange de pragmatisme et d’expérience. Et puis, enfin, du talkie-walkie surgit le top départ, et les Passions, les Éléments et les solistes se lancent dans la prise n°1 du Diligam Te Domine, favorisé par une acoustique nettement plus intime et chaleureuse que la veille.

Cette prise sera suivie par bien d’autres, puisque pendant 2 heures se succéderont 34 essais jusqu’au « Comota est ». A chaque fois, tel un diablotin propulsé de sa boîte, Aline ou Eric surviennent, soulignant ci-un ronflement, là-un fa dièse un peu haut, quelques mesures trop précipitées, des basses insuffisamment articulées. Avec une patience bienveillante mais épuisée, toute l’équipe reprend encore et toujours les mêmes groupes de mesures, les usant jusqu’à la trame avec un succès inégal mais un enthousiasme intact. On tente une note finale avec ou sans tremblement, on remet cent fois le métier sur l’ouvrage, Bruno Boterf et Vincent Lièvre-Picard se voient même privés de chant lors des passages choraux en raison de leur trop grande présence. Anne Magouët s’amuse, gamine espiègle, on surprend Alain Buet en grande discussion, se reposant dans une stalle.

Nous profitons d’un instant de répit pour échanger quelques mots avec le chef, qui nous confie la suite des évènements : un plan de montage à échafauder avec Aline pendant un mois qui comprendra une centaine de points de montage, en principe invisibles, un pré-montage avec E. Baratin, puis le montage final enfin, à Vichy. Vincent Lièvre-Picard, satisfait, se joue de notre overdose du chœur initial. « Cela avance plutôt vite, la moyenne est plutôt de 3h d’enregistrement pour 7 minutes utiles » confie t-il, imperturbable et souriant.

Prise 27. Le violon est trop court, la sentence d’Aline sévère mais juste, bien plus critique que le critique, un peu las de ce début de Diligam Te, mais ravi. Prise 28 : trop de hâte, un texte trop peu compréhensible. Prise 34, l’alti est en retard… L’intransigeance de nos deux preneurs de son est exemplaire.

Prise 35. Nous nous sommes éclipsés à l’anglaise. Dehors, le soleil décline déjà, la rue est déserte, le cliquetis du pêne de la lourde porte de bois résonne comme une cloche. La soirée sera longue pour nos artistes, et le lendemain encore bien chargé avec la session d’enregistrement suivante. Pour la plus grande gloire de Dieu, du Roi, de Gilles, de la Musique, &c… Et l’on attend désormais avec impatience le CD de chez Ligia Digital.

La pause bien méritée © Muse Baroque, 30/10/2009.

Viet-Linh Nguyen

 Site Internet de l’Ensemble Les Passions : http://www.les-passions.fr

Étiquettes : , , Dernière modification: 14 juin 2020
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