« Pour que l’amour soit durable et charmant, il faut au sentiment joindre le badinage »
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772)
Daphnis & Alcimadure
Pastorale languedocienne en un prologue et trois actes, sur un livret du compositeur d’après une fable de La Fontaine.
Créé au château de Fontainebleau le 29 octobre 1754.
Élodie Fonnard, dessus : Alcimadure
François-Nicolas Geslot, haute-contre : Daphnis
Fabien Hyon, taille : Jeanet
Hélène Le Corre, dessus : Clémence Isaure, prologue
Les Passions, orchestre baroque de Montauban
Chœur de chambre Les Éléments (dir. Joël Suhubiette)
Direction Jean-Marc Andrieu
2 CDs enregistrés du 30 septembre au 1er octobre 2022 au Théâtre Olympe de Gouge de Montauban. Ligia Digital, 126′
Enfin la voilà la résurrection de cette pastorale de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, l’unique opéra baroque en occitan, que Jean-Marc Andrieu et ses Passions envisageaient depuis une vingtaine d’années ! Nous l’attendions en été 2020 à Narbonne dans le cadre du festival Radio France Montpellier Occitanie, mais l’épidémie de Covid avait eu raison d’innombrables productions et de festivals entiers. La re création avait eu lieu en version de concert le 1er octobre 2022 au Théâtre Olympe de Gouges à Montauban, puis par deux fois les 12 et 13 octobre au théâtre du Capitole à Toulouse. Le présent coffret en est l’heureuse captation et le chef avait accepté d’échanger avec nous sur cette œuvre rare.
L’événement est d’importance car l’ouvrage n’avait pas été entendu tel quel depuis sa création en 1754 au château de Fontainebleau, bien qu’il fut repris avec succès à Versailles une dizaine d’années plus tard, avant une reprise parisienne, traduite en français, de 1768, qui fut un échec, puis à nouveau « en dialecte » à Montpellier en 1788, avant d’être converti en ballet en 1789.
En dépit d’un Prologue en français, sur un texte de l’abbé Claude Henri de Fusée de Voisenon, qui met en scène Clémence Isaure, la mythique créatrice de jeux floraux à Toulouse à la fin du XIVe siècle, superbement chanté par Hélène Le Corre, les trois actes de la pastorale, dont Mondonville a signé le livret, sont chantés en occitan. Dans son avertissement, il expliquait ainsi sa démarche à la cour : « Notre langue Toulousaine est à quelques changements près la même que l’ancien Provençal. On y trouve cette douceur & cette naïveté tendre qui se prête si bien à l’expression du sentiment. Je l’ai crue pour ces raisons, favorable à la Musique… ». Et plus loin : « J’ay crû nécessaire d’insérer dans mon ouvrage un Air du Pays que j’ay ajusté. On le trouvera au Divertissement du Premier Acte Poulido pastourello ». Mondonville est ainsi l’un des premiers à citer des mélodies populaires occitanes.
En pleine Querelle des Bouffons, Mondonville se fait adepte des goûts réunis, tentant après Campra de « mêler la délicatesse de la musique française à la vivacité de la musique italienne ». Dans cette querelle (déjà) parisienne, Mondonville avait pris le parti de la musique française et en 1753, sa pastorale héroïque Titon & l’Aurore avait triomphé des « bouffons » à l’Académie Royale de Musique. Le choix des goûts réunis et la chantante langue toulousaine de Daphnis & Alcimadure peuvent être considérés comme une réponse aux inepties de Rousseau dans sa pitoyable Lettre sur la musique française, ainsi qu’aux détracteurs de cette même musique.
L’argument de cette pastorale est tiré d’une fable de La Fontaine (n° 26 du Livre XII) où un berger meurt d’amour pour une jeune bergère qui l’ignore et préfère sa liberté. Selon le goût du XVIIIe siècle, Mondonville change la fin tragique en un dénouement heureux. Alors que Daphnis se désespère d’avoir échoué à séduire la belle lors d’une fête de village, Jeanet, le frère d’icelle, joue le rival et déguisé en soldat, lui vante les joies de la vie militaire et de la guerre. Il décrit également le courage de Daphnis, qui avec les chasseurs, aurait débarrassé la contrée d’un loup féroce qui la terrorisait. Tant d’effusion et de courage achèvent de conquérir Alcimadure, qui rend enfin les armes dans les bras de Daphnis. Cette intrigue des plus légères, bien dans l’air du temps, qui illustre avec esprit l’art du badinage, est prétexte à une musique savoureuse selon une suite ininterrompue d’airs courts avec reprise et da capo, qui s’enchaînent avec des danses et des chœurs, selon des rythmiques d’une grande variété.
L’orchestre réjouissant des Passions est à son affaire dans ce répertoire, avec des vents largement sollicités, flûtes, hautbois, bassons, cors, trompettes, timbales, qui s’ajoutent aux quatre parties de cordes à l’italienne et varient les scènes selon des tempi enlevés.
La distribution est louable à tous les égards. Selon un style exemplaire et une prononciation impeccable, Hélène Le Corre donne une belle présence au personnage mythique de Clémence Isaure dans le prologue en français. Le rôle principal (et écrasant) de Daphnis est magnifiquement tenu par le haute-contre François-Nicolas Geslot, authentique ténor à la française. On apprécie par-dessus tout la beauté de son timbre et son sens du théâtre. L’Alcimadure d’Élodie Fonnard nous ravit par sa fraîcheur, sa légèreté, la clarté et la virtuosité de sa voix, ainsi que son sens dramatique. Enfin, Fabien Hyon, donne avec art du caractère au personnage bouffe de Jeanet, qui tire les ficelles de l’intrigue. Sa présence et le débit de ses airs rapides impressionnent l’auditeur.
Dans les opéras français, et surtout les pastorales, il est rare d’entendre des chœurs d’aussi vaste proportion. Plus qu’à son affaire, le chœur de chambre Les Éléments s’en tire à merveille dans une belle démonstration de sa souplesse et ses facultés d’adaptation.
Il faut louer le travail de la conseillère linguistique Muriel Batbie-Castell, qui tout au long de la production a accompagné les solistes et le chœur dans la prononciation languedocienne « authentique » du texte occitan.
Fidèle à sa méthodologie musicologique, le chef et flutiste Jean-Marc Andrieu a restitué les parties manquantes des seconds violons et des altos, ainsi que les parties intermédiaires de la plupart des chœurs, qui étaient rarement notées à l’époque, tandis que l’orchestration était rarement précisée. Il s’est basé sur une partition et plusieurs copies manuscrites de parties séparées du prologue et de quelques danses, figurant dans la fameuse Bibliothèque Musicale des Ducs d’Aiguillon conservée aux Archives Départementales de Lot et Garonne (cote 520/1-12) à Agen. Pour les airs, il a proposé des doublures des parties de cordes ou des parties vocales par les flûtes ou les hautbois pour colorer les séquences en fonction du caractère ou de la structure. Enfin, pour les pièces de danses, il a rajouté des percussions en accord avec l’usage du temps. Il a choisi le diapason bas à 392 Hz (un ton plus bas que le 440), qui était en usage en France jusque dans les années 1770. Il permet aux voix d’évoluer dans un registre naturellement expressif, précise-t-il dans la riche et passionnante notice du livret, dont la partie musicologique est signée par Bernadette Lespinard. L’ensemble est admirable et l’on sent un bonheur absolu de tous les protagonistes à jouer cette musique vivifiante. Il ne fait aucun doute de cette réalisation fera date !
Évariste de Monségou
Étiquettes : Andrieu Jean-Marc, Evariste de Monségou, Fonnard Elodie, Geslot François-Nicolas, Hyon Fabien, Le Corre Hélène, Les Eléments, Les Passions, Mondonville, Muse : or, pastorale, Suhubiette Joël Dernière modification: 1 février 2024