« Venise, du Carnaval à l’Opéra, un sommet de lyrisme »
Journée du dimanche 26 juin 2022 au Festival de Musique Ancienne et Baroque de l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache
Le saviez-vous, Venise n’est pas en Italie ! Telle l’Ile Saint-Louis de Léo Ferré rompant son attachement à la Cité pour partir voguer de par le monde, la Sérénissime a délaissé sa lagune le temps d’un week-end pour s’en aller flirter en Thiérache, trouvant charmant refuge et hôtes accueillants au sein de l’abbaye de Saint-Michel.
Que ceux qui en douteraient ne soient pas rebutés par le voyage dans ce bout de France abritant au cœur d’un vallon en bocage cette imposante abbaye de Saint-Michel, d’obédience bénédictine et qui depuis le XIIème siècle ne cesse de renaître et de se réinventer. La Hellfest s’y tiendrait que nous serions encore certains de trouver en son cloître un lieu propice au recueillement, comme une halte, un repos dans le tumulte de l’existence. Il est des marges qu’il faut savoir franchir et si les plus téméraires et assoiffés seront tentés de franchir la frontière vers le renommé petit village belge de Chimay, c’est bien à Saint-Michel en Thiérache que quelques mélodieuses notes nous firent faire escale en ce dimanche de juin.
Après une année annulée et une autre engoncée dans le carcan des jauges, le Festival de Musique Ancienne et Baroque de Saint-Michel en Thiérache propose en ce moment sa trente-septième édition, une longévité pas si courante pour un festival tout entier consacré aux pans les plus anciens du répertoire. Et le moins que l’on puisse dire est que longévité rime avec vitalité tant les cinq dimanches que dure le festival voient défiler le meilleur de la scène baroque contemporaine avec notamment Paul Agnew et les Arts Florissants (à venir le dimanche 3 juillet) et Philippe Jaroussky en clôture le 10 juillet. La permanence d’une programmation de qualité pour un festival qui vit par le passé déjà se produire Jordi Savall ou encore Nathalie Stutzmann, offrant régulièrement un écrin propice aux enregistrements.
Nuovo Stile
Œuvres de Barbara Strozzi (Serenata Hor che Apollo è a Teti in seno, pour soprano, deux violons et basse continue),
Dario Castello (Sonata a due violini, pour deux violons et basse continue), Claudio MONTEVERDI (Ardo e scoprir, ahi lasso, io non ardisco, pour deux ténors),
Agostino Steffani (Dolce è per voi, pour soprano et tenor),
Biaggio Marini (Sonata sopra la Monicha, pour deux violons et basse continue),
Claudio Monteverdi (Il Combattimento di Tancredi e Clorinda)
Emmanuela Galli, soprano
Raffaelle Giordani, ténor
Iason Marmaras, baryton
Ensemble La Risonanza
Fabio Bonizzoni, Clavecin et Direction
Suivant une ouverture de festival le 12 juin déjà toute consacrée à la musique italienne (et en particulier à Alessandro Scarlatti), c’est donc Venise qui est à l’honneur de la programmation de ce troisième dimanche. Habitué d’un festival où il se produit régulièrement, le milanais Fabio Bonizzoni ouvre la journée avec son ensemble La Risonanza, explorant la césure entre une polyphonie palestrinienne et la rupture paradigmatique que va constituer l’émergence de la monodie accompagnée, l’essor naissant de l’opéra, encore tout influencé du souvenir de la cantate et du madrigal. Cette rupture d’avec les codes de la musique de la Renaissance est l’occasion de découvrir quelques airs peu souvent joués signés de la compositrice Barbara Strozzi (1619-1677) ou d’Agostino Steffani (1654-1728), permettant d’apprécier d’emblée les qualités de vocales de Emmanuela Galli, voix ample et posée, maturité de la diction et s’employant pour notre plus grand ravissement à rendre palpable les émotions intériorisées transcrites par la partition.
Mais tout ce ceci n’est finalement que hors d’œuvre, tant l’acmé de ce premier concert de la journée sera atteinte avec le célèbre Combattimento di Tancredi e di Clorinda, tiré du huitième livre des madrigaux de Monteverdi. Ce dernier n’aurait-il écrit que ce chant, qu’il n’en mériterait pas moins l’éternité écrit en substance Fabio Bonizzoni dans sa présentation de l’œuvre ! Et nous sommes tout enclin à le suivre dans cette affirmation tant cette conversation à trois dont nous ne dévoilerons pas tout ce que peuvent avoir d’universel les différents ressorts, est un sommet d’émotion, une composition d’une efficacité époustouflante, dans laquelle chaque voix est portée, accompagnée par une partition discrète, efficace, comme un soulignement, une accentuation. Dans cet exercice, dont l’aspect à l’époque très novateur ne doit pas nous échapper et donné pour la première fois en marge du carnaval de Venise en 1624. Dans le rôle de Testo, Raffaele Giordani, ténor à la voix assurée et à la présence avérée remporte tous les suffrages, déclenchant en fin de représentation une ovation amplement méritée.
Mezzos Triomphantes
Antonio Vivaldi (1678-1741) : L’Olimpiade (Ouverture, Allegro), Juditha Triumphans (Agitata infido flatu), Andromeda Liberata (Sovvente il sole), Concerto pour violon en ré majeur (Allegro), Farnace (duo Io sento nel petto si grande), Concerto pour violon en Ré majeur RV 226(Largo et Allegro), La Fida ninfa (Alma oppressa), Il Giustino (Vedro con moi diletto), Il Giustino (duo In braccio a te la calma), Argippo (Se lento ancora il fulmine), Fanace (Gelido in ogni vena), Concerto en sol majeur (Allegro), L’Olimpiade (duo Ne giorni tuoi felici), Concerto pour violon en Ré majeur RV 225 (Allegro, Largo, Allegro), Andromeda Liberata (duo Sposo amato)
Adèle Charvet, Mezzo-Soprano
Eva Zaïcik, Mezzo-Soprano
Le Concert de la Loge
Julien Chauvin, violon et direction
C’est à la rencontre d’un tout autre spectre du répertoire baroque que nous invite le concert de l’après-midi, tout entier consacré aux œuvres, flamboyantes et exacerbées de Antonio Vivaldi (1678-1741). Au sommet de la musique baroque italienne, d’une exubérance vocale qui n’a d’égale que la virtuosité instrumentale, Vivaldi impressionne et s’il est une vertu supplémentaire à cette programmation, c’est bien de souligner les évolutions connues par la musique au cours des quelques décennies séparant les œuvres du matin et celles de l’après-midi. Prenant un plaisir visible et communicatif à embrasser les partitions vivaldiennes avec doute la dextérité et la virtuosité de jeu qu’elles imposent, Julien Chauvin à la tête du Concert de la Loge excelle, nous ravit et nous amuse, jusque dans les quelques (rares) moments où il flirte avec l’emballement, semblant parfois laisser ses compagnons d’orchestre un peu étourdis. Ne nous attardons pas et soulignons le plaisir pris à l’écoute d’un ensemble auquel rend totalement justice l’ample sonorité de l’église de l’abbaye, tout à fait appropriée pour magnifier ces ensembles de moyenne taille. Dans un programme tout entier composé autour d’airs d’opéras vivaldiens et d’extraits de concertos (avec une appétence particulière pour les allegros permettant à Julien Chauvin de faire la démonstration de sa très réelle virtuosité), émerge le talent des deux mezzos Eva Zaïcik et Adèle Charvet, qui, seules ou en duo, plongeront les spectateurs à plusieurs reprises dans des abymes d’émotions. Faut-il que nous nous lancions dans une étude comparée et forcement verbeuse les qualités vocales de l’une et de l’autre ? Répondons d’emblée par la négative en soulignant au contraire que les meilleurs moments du concert sont assurément constitués des airs en duo, où les deux interprètes offre un bel exemple de complémentarité, comme dans cet « In braccio a te la calma », tiré d’ Il Giustino, sommet qui trouve son pendant en fin de programme dans le « Sposo amato » de l’Andromeda Liberata. Deux interprètes dont la carrière, déjà éloquente, ne demande qu’à être suivie.
Venise fut donc en Thiérache la durée de ces deux concerts, le temps d’un dimanche de juin. Pour autant, tout festivalier en conviendra (et même ceux adeptes des très rauques sons, évoqués plus haut et dont le pèlerinage annuel à Clisson se clôturait ce dimanche), un festival réussi ne tient pas qu’à la qualité intrinsèque de sa programmation, différant en cela d’une simple salle de concert. Un festival réussi, c’est aussi une ambiance, un art de la rencontre, la capacité de tisser des liens entre artistes et spectateurs. St-Michel en Thiérache possède en ces domaines bien des atouts, proposant chacun des cinq dimanches un concert du matin, suivi d’un possible déjeuner entre festivaliers et artistes, avant de se poursuivre l’après midi par un ou deux concerts, et d’une rencontre avec les musiciens dans le cloître de l’abbaye. Un lieu, une intimité propice à la discussion, aux échanges et aux confidences. Une simplicité et une chaleur de l’accueil qui font l’âme durable des grands évènements. Et avant de partir, retournez-vous et regardez-les murs du cloître. Ils sont peints, comme ceux de San Stefano dans la Sérénissime, comme ceux de nombre de cloîtres de la Péninsule. On vous l’avait dit, Venise n’est pas en Italie !
Pierre-Damien HOUVILLE
- En savoir plus sur le festival qui se poursuit jusqu’au 10 juillet : http://www.festival-saint-michel.fr
Étiquettes : Chauvin Julien, Claudio Monteverdi, festival, Italie, La Risonanza, Le Concert de la Loge, Pierre-Damien Houville, Vivaldi Dernière modification: 13 octobre 2022