Rédigé par 16 h 38 min Concerts, Critiques

Bach en diptyque dionysien (Cantates profanes, Capella Mediterranea, Leonardo Garcia-Alarcon, Festival de Saint-Denis – 16 juin 2022)

© Festival de Saint-Denis / Christophe Fillieule, juin 2022.

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)

Cantate BWV 201 : “Geschwinde, ihr wirbelnden Winde”
Cantate BWV 205 : “Zerreißet, zersprenget, zertrümmert die Gruft”

Sophie Junker, soprano
Kacper Szelazek, alto
Fabio Trümpy, ténor
Mark Milhofer, ténor
Alejandro Meerapfel, baryton
Thomas Dolié, baryton

Chœur de chambre de Namur
Thibaut Lenaerts, chef de chœur

Cappela Mediterranea,
Léonardo Garcia Alarcon, direction

Jeudi 16 juin 2022
Basilique Cathédrale de Saint-Denis, dans le cadre du Festival de Saint-Denis 2022

Punk Bach ? Si l’assertion est assurément exagérée, que ceux qui garderaient du compositeur allemand l’image d’une solennité un peu austère se précipitent sur ces deux cantates profanes pour découvrir ce que les œuvres du génial allemand peuvent receler d’humour un brin iconoclaste et se montrer subtilement subversives sans rien renier des qualités musicales et de compositions propres au maître de Leipzig. Quand Bach s’amuse à nous divertir il le fait avec une élégance moqueuse, sans jamais sombrer dans la facilité et donc finalement pour notre plus grand plaisir.

C’est tout à l’honneur du Festival de Saint-Denis, où se croisent dans un éclectisme du meilleur aloi Ibrahim Maalouf et Simon Rattle, Myung-Whun Chung et MC Solaar, que de mettre à l’honneur Leonardo Garcia Alarcon et sa Cappella Mediterranea bien connus de nos lecteurs. Après le Bach d’avant Bach (Alpha), la tragédie lyrique, ou les opéras montéverdiens, le chef a choisi de mettre en relief un pan de la musique du Cantor finalement pas si souvent interprétée, un tel déploiement de musiciens étant souvent réservé à la plus connue Messe en si, et les fastes éphémères de ces pièces étant parfois dédaignées face à la spiritualité fervente des cantates religieuses. Et pourtant, que de belles pages dans ces pièces qui constituent ce que Bach a écrit de plus proche de l’opéra, lui qui n’eut pas l’opportunité d’un Keiser ou d’un Telemann…

© Festival de Saint-Denis / Christophe Fillieule, juin 2022.

Est-ce parce que ces œuvres sont mal aimées que le public afficha initialement une relative froideur au sein de la basilique, que Leonardo Garcia Alarcon dissipa prestement par une présentation de la première cantate au programme, Geschwinde, ihr wirbelnden Winde (Vite, vents tournoyants, BWV 201), prompte à en annoncer les richesses. Soit Apollon (Thomas Dolié) rivalisant avec Pan (Alejandro Meerapfel) sur la noblesse de l’art. Appolon (Phébus), incarnation de l’art noble, raffiné et classique, toise avec une condescendance non feinte un Pan plus fruste, partisan d’airs plus populaires, gouailleurs, dérivant sur de cabotines danses. Le goût est affaire sociale nous susurre déjà Bach et au lieu de choisir, il préfère embrasser les deux avec le même talent. En effet, tout fuse et se répond dans cette cantate, resserrée comme une courte pièce de théâtre, ciselée comme une démonstration. Bach, sur de la palette de son talent joue à enchainer les contrastes, capable de subjuguer avec un air de Phébus (Thomas Dolié, absolument parfait pour le rôle, voix aussi émouvante qu’extatique) qui semble indépassable avant de nous plonger, comme la réponse à une joute, dans un non moins charmant air de Pan, dans lequel Alejandro Meerapfel, très expressif, compose avec la large palettes des riches sonorités de l’orchestre, qui dans une même fluidité déploie flûtes, cors et cordes, révélant l’imagination aussi débordante que talentueuse du grand Bach. Si entre Apollon et Pan il n’est question que de différence de style et de rivalité, Bach démontre lui qu’en ce début de dix-huitième siècle allemand et malgré une production musicale foisonnante, il impose son art de la composition, se jouant des styles, des ambitions et des écoles. D’ailleurs, nous ne révèlerons pas les conclusions de la joute, habile pirouette du librettiste de Bach (Christian Friedrich Henrici, dit Picander, collaborateur récurrent du compositeur), tout en soulignant que les deux principaux protagonistes de cette cantate à six voix sont agréablement secondés, en particulier par Sophie Junker dans le rôle de Momus, dont la voix posée et limpide enchante de nombreuses productions depuis déjà une dizaines d’années, ainsi que par Fabio Trumpy (Tmolus, un des juges de cette joute divine), dont la belle voix de ténor s’impose dans le principal air lui étant dévolu et ne dépareillant aucunement dans une distribution de haut vol.

© Festival de Saint-Denis / Christophe Fillieule, juin 2022.

Arrivé à Leipzig Jean-Sébastien Bach fréquenta assidument le café Zimmermann (rue Sainte-Catherine, établissement détruit depuis 1943) dans lequel il participa très vraisemblablement à la programmation des concerts hebdomadaires placés sous l’égide notamment de Telemann et de son  Collegium Musicum que Bach dirigea de 1729 à 1739. Faut-il attribuer à la chaleur conviviale de l’établissement et à quelques effluves de boissons fermentées la vitalité presque débridée dont fait preuve Jean-Sébastien Bach dans les cantates profanes de cette époque, que ce soit la BWV 201 ou la BWV 205 Zerreißet, zersprenget, zertrümmert die Gruft (Rompez, pulvérisez, fracassez la caverne) qui compose la seconde partie du concert ? Nous laissons sous un demi-sourire le mélomane y répondre. Tout semble dit dans le titre de cette seconde cantate, moins théâtrale mais plus démonstrative dans laquelle Bach laisse complètement s’exprimer le déferlement de l’orchestre, et son goût festif de partitions arrondies où cuivres divers font étalage de leur puissance. Si cette seconde cantate s’avère plus orchestrale et débridée, soulignons qu’elle réserve aux chanteurs elle aussi quelques airs de premiers plans, en premier lieu les airs d’Eole (Thomas Dolié, toujours convainquant dans son rôle) et Mark Milhofer (Zéphyr) auxquels nous associerons Kacper Szelazek (Pomone), jeune contre-ténor dont c’est la première prestation au festival de Saint-Denis et qui réserve quelques moments de grâce. Emportés par la direction joyeuse, haletante et dynamique de Leonardo Garcia Alarcon cette seconde cantate est un ravissement que vient clore le déploiement des chœurs le long de la nef, au plus près des spectateurs pour un final aussi éblouissant qu’émouvant.

C’est donc à un Bach vivant, flamboyant voire taquin que nous a convié ce soir là le chef argentin, rendant un hommage appuyé et mérité à la diversité de style d’un compositeur qui fut aux racines de son engagement musical. Leonardo Garcia Alarcon et la Cappella Mediterranea sont à retrouver durant toute la période estivale, notamment dans l’Incoronazione di Poppea de Monteverdi au Festival d’Aix en Provence.

 

                                               Pierre-Damien HOUVILLE

 

 

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