Rédigé par 23 h 50 min CDs & DVDs, Critiques

Stradella, Il Trespolo tutore, Mare Nostrum, De Carlo – Arcana)

Antonio Alessandro Boncompagno Stradella (dit Alessandro Stradella)
Il trespolo Tutore
comédie en 3 actes sur un livret de Giovanni Cosimo Villifranchi d’après Amore è veleno e medicina degl’intelletti overo il Trespolo tutore de Giovanni Battista Ricciardi, créée en janvier 1679 au Théâtre Falcone de Gênes

Riccardo Novaro – Trespolo
Roberta Mameli – Artemisia
Rafał Tomkiewicz – Nino
Silvia Frigato – Ciro
Luca Cervoni – Simona
Paola Valentina Molinari – Despina

Orchestre Mare Nostrum
Direction Andrea De Carlo

3 CD Arcana 2020, enregistrés en août 2019 aux Scuderie Farnese de Viterbe, 46’40 + 45’10 + 65’44.

L’avantage du journaliste sur le musicologue est qu’il peut écrire avec son cœur, et oublier les notes de bas de page. Dans le cadre de l’audacieux et remarquable Stradella Project, Andrea De Carlo et sa phalange Mare Nostrum ont commencé à explorer les oratorios d’Alessandro Stradella (1643-1682), compositeur qui vécut dans cette 2nde moitié du XVIIème siècle si fertile en expérimentation, entre les opéras montéverdiens et de Cavalli, et les tâtonnements qui aboutirent au seria. Tout comme les essais d’Alessandro Scarlatti, ou les étranges tentatives de Conradi, Stradella va tenter de mettre sa pierre à l’ouvrage, avec plusieurs opéras romains puis génois dont cette comédie en musique créée en 1679 sur un livret de Villafranchi avec une intrigue “ridicule mais belle” selon le compositeur, et encore très marquée par les plaisanteries et situations réjouissantes mais pas forcément fines de la commedia dell’arte. C’est d’ailleurs à Gênes que Stradella trouvera une mort tragique, poignardé en pleine rue en février 1682 (une histoire de cœur probablement).

On avoue à l’écoute que nos oreilles davantage rompues au répertoire de cette époque, et avec des comparaisons géographiquement impossibles aux Génois de 1979 ou au Modénais de 1686 (où l’œuvre fur reprise), ne sont pas bousculées par cette comédie “toute nouvelle et différente du style habituel des théâtres italiens” mais il s’agit d’un des premiers opera buffa. Le livret vaut son pesant d’or : la jeune pupille est éprise de son vieux tuteur (et non l’inverse) et Artemisia cherche des moyens détournés pour lui déclarer sa flamme : elle lui dicter des lettres d’amour dont il est le destinataire, lui tendre le portrait de l’élu de son cœur (un miroir), mais Trespolo croit que la jeune fille s’intéresse au fou Ciro (Arlequin) ou à son frère Nino (le clown blanc)… 

La variété de ton, les cavatines et ariettes, les rôles bouffons ou travestis, la place au dialogues pétillants, ne sont pas sans rappeler le Monteverdi du Couronnement de Poppée ou des opéras de Cavalli. C’est dans une sorte d’épure mélodique ourlée ou parmi les accords de violons (qu’on retrouve dans les superbes motets de Stradella) que la patte de Stradella est la plus perceptible. Le chef avait donné en concert l’œuvre et elle avait même été captée en DVD chez Dux mais avec une distribution polonaise moins convaincante, notamment dans les nombreux récitatifs, et des sous-titres uniquement en anglais ou polonais. 

Ici tout respire l’Italie (sauf le Nino de Rafał Tomkiewicz rescapé des représentations polonaises). A défaut de rassembler de grandes voix, le chef a su constituer un plateau homogène, et imprimer une direction d’une fluidité lumineuse refusant sagement de sombrer dans le burlesque fantasque, ce que certains regretteront un peu car cela adoucit les péripéties du livret. Les Trespolo et Artemisia de Riccardo Novaro et Roberta Mameli se détachent du reste du plateau par leur implication dramatique et la souple bonhomie de leurs interventions (la scène de la dictée est hilarante).  La vieille nourrice Simona campé par le ténor Luca Cervoni est bien discrète pour un tel rôle travesti, tandis que Silvia Frigato malgré un timbre un peu vert et acide parvient à dépeindre un Arlequin fantasque.  Le joli contre-ténor de Rafał Tomkiewicz prouve sa valeur dans la scène de folie, et enfin la Despina de Paola Valentina Molinari, quoique vive dans les récitatifs, est assez transparente au chant.

L’orchestre est modeste : 2 violons grainés, déséquilibrés face à un continuo bien fourni et aux cordes pincées soyeuses. C’est un peu chiche en couleurs, et capté trop loin, mais l’essentiel se concentre sur la scène, et sur une interprétation pétillante et aérée refusant la surenchère et qui ne sombre jamais dans le pur burlesque malgré le livret. Les beautés musicales et la finesse de la réalisation confèrent à l’œuvre une noblesse inattendue, mais on aurait goûté que le chef nous gratifie d’un gros grain de folie. 

 

Viet-Linh NGUYEN

 

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 7 février 2021
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