Rédigé par 13 h 00 min Concerts, Critiques

La constance de l’Amour (Rameau, Zaïs, Les Talens lyriques, Rousset – Versailles, 18/11/2014)

Pour nous présenter l’oeuvre, Christophe Rousset a choisi la version d’avril 1748. Comme à l’habitude il anime avec une précision minutieuse un orchestre des Talents Lyriques aux sonorités moëlleuses et aux attaques bien ajustées. Les percussions qui évoquent le chaos lors de l’ouverture du prologue offrent un effet saisissant particulièrement réussi ; elles semblent préfigurer les déconcertants accords syncopés du prélude du cinquième acte des Boréades.

Rameau, Zaïs

Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset,

Opéra Royal de Versailles, 18 novembre 2014

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Jean-Philippe Rameau (1683 – 1764)
Zaïs

Ballet héroïque en un prologue et quatre actes, sur un livret de Louis de Cahusac
Créé le 29 février 1748 à l’Académie Royale de Musique (version d’avril 1748)

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Solistes :
Julian Prégardien (Zaïs), Sandrine Piau (Zélidie), Aimery Lefèvre (Oromazès), Benoît Arnould (Cindor), Amel Brahim-Djelloul (Sylphide/ La grande Prêtresse de l’Amour), Hasnaa Bennani (Amour), Zachary Wilder (un Sylphe)

Choeur de Chambre de Namur :
Dessus I : Julie Calbète, Caroline Weynants, Mathilde Sevrin, Elke Janssens
Dessus II : Nicole Dubrovitch, Marie Jennes, Brigitte Pelote, Marie Poskin
Hautes-contres : Camillo Angarita, Dominique Bonnetain, Stephen Collardelle, Mathieu Peyrègne, Bruno Renhold
Tailles : Nicolas Bauchau, Jacques Deconinck, Thibault Lenaerts, Thierry Lequenne, Pascal Richardin
Basses : Jean Ballereau, Pierre Boudeville, Anicet Castel, Philippe Favette, Alejandro Gabor
Chefs de Choeur : Thibault Lenaerts

Orchestre Les Talens Lyriques

Violons I : Gilone Gaubert-Jacques, Yuki Koike, Karine Crocquenoy, Gabriel Grosbard, Jean-Marc Haddad
Violons II : Charlotte Grattard, Bérengère Maillard, Yannis Roger, Josépha Jégard, Christophe Robert
Altos Hautes-contres :  Laurent Gaspar, Pierre-Eric Nimylowycz, Marta Paramo 
Altos Tailles : Lucia Peralta, Céline Cavagnac, Joana Cambon
Violoncelles : Mathurin Matharel, Marjolaine Cambon, Jérôme Huille, Ariane Lallemand
Contrebasse : Ludek Brany
Flûtes : Jocelyn Daubigney, Stefanie Troffaes 
Hautbois : Vincent Blanchard, Laura Duthuillé
Bassons : Catherine Pépin, Alexandre Salles
Timbales : Marie-Ange Petit

Continuo :
Violoncelles : Mathurin Matharel, Marjolaine Cambon
Clavecin : Stéphane Fuget

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Direction et clavecin : Christophe Rousset

Représentation (version de concert) du 18 novembre 2014 à l’Opéra Royal de Versailles

“Ballet héroïque”, Zaïs s’inscrit résolument dans la longue série des opéras-ballets du génial Dijonnais. Mais si le délicat équilibre entre chant et pages orchestrales est respecté, l’intrigue y est particulièrement ténue. A part une originale allusion au chaos lors du prologue, cette pastorale galante repose sur l’amour de Zélidie pour Zaïs, qui va en éprouver la constance avant d’en être totalement assuré au dernier acte ; la providentielle intervention d’Oromazès leur permettra alors en récompense le partage de l’immortalité. A l’inverse de Da Ponte dans Cosi fan tutte, Cahusac ne nous livre point ici de rebondissements entretenant le suspense : Cindor, que Zaïs utilise pour tenter de séduire sa belle, s’acquitte de sa mission avec une conviction limitée, conseillant à son ami de ne prendre que ce qu’il y a d’aimable, et de conserver son immortalité. L’action est donc assez linéaire, et l’intervention divine finale assez prévisible. Au plan musical on peut noter que les choeurs, habituellement très présents chez Rameau et traités comme un véritable protagoniste de l’intrigue, sont ici réduits à quelques interventions.

Lors du prologue, Oromazès, roi des génies élémentaires, leur annonce la fin du chaos. Les génies louent les beautés que la nature offrent à leurs yeux, tandis que l’Amour vient répandre la passion dans les coeurs. Au premier acte Zaïs, génie des airs, confie à Cindor, son confident, son amour pour la jeune bergère Zélidie. Celle-ci paraît, et les deux amants se rendent au Temple de l’Amour. Ce dernier rend un oracle que Zaïs tient pour favorable à ses voeux. Au second acte Zaïs déclare vouloir éprouver l’amour de Zélidie. Il demande à Cindor de l’enlever et de tenter de la séduire. Ce dernier la fait alors transporter par les Zéphyrs jusqu’à sa cour. Il lui déclare prétendûment son amour, puis tente de l’impressionner en déchaînant les Aquilons et en faisant gronder le tonnerre. Zélidie exprime alors ses craintes, non pour elle-même, mais pour Zaïs resté sur terre. Cindor lui propose ensuite l’immortalité, elle la refuse en renouvelant son amour pour Zaïs. Cindor lui offre enfin un bouquet qui réalisera ses voeux : elle le respire et Zaïs lui apparaît. Elle lui donne le bouquet, et lui confie qu’il a en Cindor un rival dangereux et puissant. Au troisième acte Cindor rend compte à Zaïs de l’échec de ses tentatives. Mais Zélidie, qui ne voit plus ce dernier, craint sa trahison. Zaïs reparaît, mais sous les traits de Cindor : il lui propose de se venger du traître. Zélidie ne peut imaginer son amant infidèle, elle refuse et fuit. Au quatrième acte, Zaïs se fait reconnaître sous ses traits, et annonce à Zélidie qu’il renonce à l’immortalité pour pouvoir l’épouser, répétant les mots de l’oracle “Le véritable amour se suffit à lui-même”. C’est alors qu’Oromazès paraît, rendant à Zaïs son immortalité et l’étendant à Zélidie pour la récompenser de sa constance.

Zaïs connut au total 41 représentations à l’Académie Royale de Musique, du 29 février 1748 au 22 mars 1770. Rameau le remania trois fois : dès avril 1748, puis lors des reprises de 1761 – avec la transformation du prologue en ouverture, enfin en 1769. Les dernières représentations n’attirèrent qu’un maigre public, et la pièce sombra dans l’oubli. En 1977, Gustav Leonhardt en réalisa un enregistrement, malheureusement incomplet et qui n’est plus disponible. 

Pour nous présenter l’oeuvre, Christophe Rousset a choisi la version d’avril 1748. Comme à l’habitude il anime avec une précision minutieuse un orchestre des Talens Lyriques aux sonorités moëlleuses et aux attaques bien ajustées. Les percussions qui évoquent le chaos lors de l’ouverture du Prologue offrent un effet saisissant particulièrement réussi ; elles semblent préfigurer les déconcertants accords syncopés du prélude du cinquième acte des Boréades. L’orchestre traduit avec un égal bonheur la vigueur des déchaînements (notamment au second acte) et les atmosphères intimes et élégiaques (deuxième partie du second acte, airs du troisième acte), ajustant avec sensibilité ses effets au contexte de l’action. Les pages purement orchestrales, en particulier la conclusion du prologue et celle du troisième acte, sont animées d’une vigoureuse dynamique, où les différentes parties demeurent claires et précises.

S’imposant sans peine sur cette précieuse pâte orchestrale, le ténor Julian Prégardien incarne avec brio le rôle-titre. Son timbre chaleureux empli de séduction est démultiplié par son ample projection ; il est magnifié par une diction suavemment fluide et une diction irréprochable. On retiendra en particulier les airs du second acte (“Charme des coeurs ambitieux”, et surtout l’enchanteur “A mes désirs que votre ardeur réponde”), les superbes “Vole, enchante mon coeur” et “Naissez, par mes enchantements” au début du troisième acte, et les belles attaques du “Règne Amour” final. Face à lui, Sandrine Piau compose avec une belle expressivité une Zélidie fragile mais déterminée. Sa sincérité déconcertante triomphe sans peine des objurgations puis des menaces de Cindor au second acte, s’achevant sur un “Ah, que ne peux-tu voir” plein de conviction. Son timbre légèrement mat, relevé d’une pointe d’acidité, traduit à merveille l’émotion du “Coulez mes pleurs”, puis fera preuve de belles attaques dans l’air final “Pour les coeurs tendres et constants”. 

Dans le rôle de Cindor, Benoît Arnould nous gratifie de son timbre puissant à la projection assurée, dominant sans peine les choeurs au second acte (“De ma puissance souveraine”). Malgré une bonne présence scénique appuyée sur sa haute stature, nous avons connu le jeune baryton plus convaincant dans les rôles plus légers où nous l’avions croisé il y a quelques mois. Pour sa première incursion dans un emploi de haute-contre, Zachary Wilder a choisi l’air du Sylphe, passage d’une redoutable difficulté, comme l’avaient déjà noté les contemporains de Rameau. Son timbre conserve un beau naturel, les aigus demeurent bien ronds, mais on attendait davantage de fluidité et de brio dans le final “Volons de belle en belle”. Le jeune ténor ne se départit toutefois à aucun moment de sa malicieuse complicité avec le public, que nous avons tant appréciée dans ses précédentes prestations. Dans le rôle d’Oromazès, Aimery Lefèvre témoigne d’une projection assurée aux attaques résolues dès le premier acte (“Eveillez-vous, troupe immortelle”, et “Astre éclatant”, où il s’impose sans peine face aux choeurs). C’est cependant dans ses interventions au dernier acte que son timbre révèle tous ses atouts et son brio. Hasnaa Bennani campe un Amour dont la voix cristalline se pare de beaux éclats dans les ornements (“Volez, plaisirs, suivez mes pas”), tandis qu’Amel Brahim-Djelloul incarne de sa voix nacrée une Sylphide et la Grande Prêtresse de l’Amour. On retiendra aussi les courtes mais énergiques apparitions des choeurs, aux voix féminines aériennes dans le Prologue.  

Cette représentation ayant fait l’objet d’un enregistrement, nos fidèles internautes qui n’ont pu se rendre à Versailles pourront juger dans quelques mois des mérites de cette version, et de l’intérêt de la faire figurer, aux côtés d’oeuvres plus connues, dans leur discographie du génial Dijonnais.

Bruno Maury

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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