Rédigé par 12 h 07 min Concerts, Critiques

Portraits et miniatures (Fêtes Galantes, La Rêveuse, Bolton, Perrot, Lazar – Les Invalides, 8 novembre 2021)

La Rêveuse : Florence Bolton & Benjamin Perrot, septembre 2018 © David Girard

Fêtes galantes

Louis de Caix d’Hervelois (1677-1759) : Suite en sol mineur, Plainte
François Couperin (1668-1733) : Prélude – Les Bergeries
Jean-François Dandrieu (1682-1738) : Les Caractères de la guerre
Jean-Marie Leclair (1697-1764) : Musette
Marin Marais (1656-1728) : Le Petit badinage, Fête champêtre, La Biscayenne

Ensemble la Rêveuse
Florence Bolton, Viole de gambe
Benjamin Perrot, Théorbe et guitare baroque
Clément Geoffroy, Clavecin
Benjamin Lazar, Récitant

 Lundi 8 novembre 2021, Salle Turenne (ancien réfectoire), Musée de l’Armée, Hôtel des Invalides, Paris, dans le cadre du cycle marquant le tricentenaire de la mort de Watteau.

L’art de l’équilibre et la saveur d’un mélange émanent souvent moins d’une mixologie de cocktail que des ponts bâtis et des liens tissés entre disciplines artistiques, révélant un cousinage de la forme, une parenté d’inspiration ou encore une filiation de pensée. L’écheveau proposé ce soir par l’ensemble La Rêveuse, assemblant lectures poétiques, romanesques et de traités, ponctuées de pièces pour viole ou de clavecin se montre, au-delà d’un constant plaisir d’écoute, une jouissive émulation de l’esprit, une stimulation de la curiosité pour le moins vivifiante.

Antoine Watteau (1684-1721) s’est éteint il y a exactement trois siècles, à quelques encablures de Paris, sur les si champêtres rives de la Marne à Nogent. Ce tricentenaire se devait d’être l’occasion de ressusciter pour quelques instants l’esprit de ces fêtes galantes, dont le peintre su déposer sur la toile les multiples variations colorées et nous léguer un esprit de liberté où les charmes discrets de la galanteries n’éludent en rien la quête – fut elle un peu badine – de l’érudition, et la pudique nostalgie feutrée et lancinante qu’on distingue parfois au creux d’un pli ou d’un regard dérobé.

On ne présente pas non plus Benjamin Lazar, et son infatigable travail de redécouverte de quelques-uns des plus beaux textes des XVIIème et XVIIIème siècle, son étude du français restitué, des éclairages à la bougie, de toute la gestuelle et rhétorique baroque tout simplement. Le Récitant (quel beau rôle que celui là, qui sonne comme la Messagère, le Verbe, l’Evangéliste…) ouvre ce programme par une lecture d’extraits du Songe de Vaux (1659) dans lequel Jean de La Fontaine rend un allégorique hommage  aux muses modernes ayant contribué à la splendeur du château de Vaux-le-Vicomte. L’art du maniement de la langue du Grand Siècle, dont Benjamin Lazar soulignait en ces pages, il y a de cela dix ans au cours de l’un des entretiens qu’il nous avait accordé, toute l’importance pour ressentir l’esprit de ces textes plonge d’emblée dans un état de ravissement extatique que vient prolonger quelques gracieuses pièces de Louis de Caix d’Hervelois, dans une interprétation aussi tempérée que respectueuse de Florence Bolton (viole de gambe) et Benjamin Perrot (théorbe et guitare baroque), sensibles et pudiques, presque couperiniens, prolongent ainsi l’hommage rendu à ce compositeur dans leur dernier disque (Harmonia Mundi), l’un des derniers serviteurs français de la viole de gambe et brillant élève de Marais.

Antoine Watteau, La Partie carrée, vers 1713, musée des beaux-arts de San Francisco – Source : Wikimedia Commons

La suite sera plaisir de l’évocation, celle directe de Watteau, par la lecture d’extraits de l’Abrégé de la Vie d’Antoine Watteau, d’Edme-François Gersaint (1694-1750), rare texte contemporain sur la vie du peintre, ou du plus récent Watteau de Théophile Gautier (1811-1872), ou plus détournée, avec des textes reflétant l’esprit de ses toiles, du Spectre fiancé de Hoffman (1776-1822) aux Fêtes Galantes de Paul Verlaine (1844-1896). Musicalement s’entremêlent aux lectures un fluide Prélude des Bergeries de Couperin Le Grand, ou ces Caractères de la guerre de  Dandrieu, courte pièce pour clavecin, où de la Marche au Triomphe en passant par la Charge et les Plaintes, sont évoquées toutes les phases d’une bataille, en ce lieu plus que propice de la salle Turenne, ornée des superbes fresques de Joseph Parrocel, et qui constitue l’ancien réfectoire. L’occasion pour Clément Geoffroy de révéler toute l’expressivité de son instrument sous l’œil des spectres des vétérans des campagnes de Louis XIV. Une courte mais fort appropriée Fête Champêtre de Marin Marais conclut l’évocation par son optimisme lumineux. 

Complémentarité des arts, diversité des affects, bien loin de se résumer à une superficielle fête galante échevelée et vaine, La Rêveuse a su puiser son inspiration à la fois des profondeurs plus mythologiques où l’Arcadie affleure, de l’évocation d’un art curial ciselé dont François Bluche soulignait à juste titre qu’il constituait aussi le repos du guerrier, et où l’intimité frémissante et tendre propice aux confidences est favorisée plutôt que les badineries frivoles. Saluons donc cette belle alchimie entre répertoire musical et littéraire entrepris depuis déjà de nombreuses années tant par l’Ensemble La Rêveuse que par Benjamin Lazar, et souhaitons leur de poursuivre cette collaboration déjà tant auréolée de succès. On regrettera seulement que la durée du concert et la nécessaire sélection des textes laisse un parfum d’inachevé et de florilège éparpillé malgré le talents des interprètes à changer d’atmosphère. Et n’oublions pas que derrière la guerre en dentelles, les ors et couleurs des vues de Parrocel, Van der Meulen ou Van Blarenberghe, la fête guerrière se muait bien vite en pompe funèbre, à chaque printemps…

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

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