Rédigé par 11 h 09 min Concerts, Critiques

On the beach (Haendel, Ariodante, Arts Florissants, Desandre, Christie – Philharmonie, 2 octobre 2023)

Moritz Kallenberg, Lea Desandre, William Christie, Hugh Cutting (de gauche à droite) © Muse Baroque, 2023

Georg-Frederic Haendel,
Ariodante
dramma per musica en trois actes sur un livret d’Antonio Salvi d’après l’Arioste, créé le 8 janvier 1735 au théâtre de Covent Garden de Londres

Lea Desandre, Ariodante
Ana Maria Labin, Ginevra
Ana Vieira Leite , Dalinda
Hugh Cutting, Polinesso
Krešimir Špicer, Lurcanio
Moritz Kallenberg, Odoardo
Renato Dolcini, le roi d’Écosse

Les Arts Florissants


Direction William Christie
Nicolas Briançon, mise en espace
Version mise en espace, Philharmonie de Paris, Salle Pierre Boulez, Paris, 2 octobre 2023

 

On ne reviendra guère sur l’intrigue toute shakespearienne de cet Ariodante, du « Beaucoup de bruit pour rien » enrobé d’un peu de croisades, un paladin héritier du trône qui s’effondre bien vite face aux premiers soupçons d’infidélité de sa belle : une intrigue diablement directe et efficace, sans circonlocutions, un bref travestissement, un duel, pim, pam, boum. Lieto fine. C’est un Haendel viscéral, concentré, où beaucoup de caractérisation psychologique et d’ambiance passe uniquement par l’écriture musicale, comme ce vil Polinesso, perfide et libidineux à souhait et dont les airs hachés ne sont pas sans rappeler ceux du Tolomeo de Giulio Cesare. La mise en espace est basique, pratiquement aucun placement ni jeu théâtral, pas de costumes, juste un long manteau noir et un chapeau pour qu’Ariodante le survivant ne ressorte méconnu des flots. La représentation s’apparente donc presque à une version de concert, sans les pupitres et les partitions. Les Arts Florissants dévoilent une pâte sonore d’une beauté subtile, avec en particulier un continuo très présent, notamment le théorbe survolté de Thomas Dunford et le violoncelle bondissant et aux articulations très marquées de David Simpson, parfois au détriment du reste du noyau de cordes pourtant menées avec grâce par Hiro Kurosaki, même si l’on regrette un peu la poésie italianisante plus lyrique de Myriam Gevers (présente mais non Konzertmeisterin). Voilà donc un Ariodante coloré et optimiste, gorgé de textures et de beauté instrumentale. Alors quand on tient une telle phalange, pourquoi diable William Christie a t-il été chercher sa scie de chirurgien pour en amputer les Ballets (ce qui encore peut se comprendre car ils furent omis de la piètre reprise de1736 qui tint deux représentations, même si cela est bien dommage), et surtout le deuxième mouvement de l’ouverture, et certains da capo (« Il primo ardor », « Se l’inganno sortisce felice » ce qui est bien plus criminel car Haendel quand il omet les reprises le fait sciemment comme dans duo « Prendi questa mano ») ? 

Ceci étant dit, dans cette Ecosse, pas si froide et pas si sombre, s’ébattent donc nos personnages. Pendant les deux premiers actes, la succession de vignettes ornées et ciselées confine à l’art du miniaturiste, et l’urgence dramatique est étrangement absente de ces rivages équilibrés, même lors du fameux air de désespoir du « Scherza infida » hédoniste et bien ourlé, mais bien loin de l’émotion tremblante insufflée par une Von Otter ou une Lorraine Hunt. Il faut dire que la ravissante Lea Desandre était davantage taillée pour un rôle féminin clair que pour ce paladin bien peu viril, pas du tout androgyne et à la projection moyenne : le « Con l’ali di constanza » jubilatoire se heurte aux cascades de doubles croches, obligeant la soprane à reprendre son souffle en pleine phrase, tandis que le « Scherza infida » si attendu s’avère trop lisse et manque de relief et du hurlement de l’amant trahi, blessé et prêt à mettre fin à ses jours. Une Ginevra bien timbrée et touchante dès le 2nde acte échoit à Ana Maria Labin, un Lurcanio puissant et chaleureux à Krešimir Špicer un peu en roues libres au départ (« Del mio sol vezzosi rai » à l’émission trop large et très geignard) puis magnifique en frère attristé et revanchard. le Polinesso de Hugh Cutting s’avère un peu trop caricatural dans le genre doucereux et manque de graves. Notons un Roi d’Ecosse très digne et un peu plat (Renato Dolcini) et enfin, last ut not least, Ana Vieira Leite en soubrette, nymphe, pardon suivante, pétillante et un brin écervelée à la spontanéité rafraichissante. 

Lea Desandre © site officiel de l’artiste

Il faut attendre le 3ème acte pour que ce petit monde soudainement retrouve de la gravitas, et que je marivaudage léger et babillard, charmant mais trop Fragonardien, ne se réconcilie avec les brumes médiévales, et la vie d’une future Reine prête à être sacrifiée à la calomnie. Imperceptiblement, l’étau se resserre, l’air se raréfie, et l’on se retrouve plongé dans ce jeu cruel et avide de ce Game of Thrones dévastateur. Une urgence et une pesanteur passent sur la scène (superbe Ginevra et Odoardo dans leurs derniers échanges avant l’ordalie), avant les facéties d’un « Dopo notte » dansant et cathartique, quoique les vocalises laissent toujours à désirer de même que la projection. Les deux duetti finaux sont infiniment doux et pastoraux, et l’on regrette que cette force, cette fluidité, cette lisibilité du dernier acte ne se soit pas glissée plus tôt dans le concert, mais ce sont les aléas du spectacle vivant et le public conquis n’en a pas tenu rigueur aux « Arts Flo » !

 

Viet-Linh Nguyen

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 19 octobre 2023
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