Rédigé par 10 h 58 min CDs & DVDs, Critiques

Le voyage fantastique (Buxtehude, Sonates, Les Timbres – Flora)

Dietrich BUXTEHUDE (c. 1637 – 1707)
Sonate a doi, violine & viola da gamba con cembalo opus 1 et 2

Ensemble Les Timbres :
Yoko Kawakubo, violon
Myriam Rignol, viole de gambe
Julien Wolfs, clavecin

2 CDs, Flora, 2020, 60’29 + 70’35.

Pour leur quatrième enregistrement discographique, les Timbres ont décidé de révéler une facette un tantinet méconnue de Buxtehude. Trop longtemps réduit à son œuvre pour orgue ou affublé d’un masque d’austérité, redécouvert par l’Opera Omnia en 30 CDs colorés de Ton Koopman regroupant les magnifiques cantates, œuvres de chambre et pour clavier (Antoine Marchand), Buxtehude prend ainsi le chemin de la liberté avec 2 opus hambourgeois de 7 sonates chacun, publiés vers 1694 par le compositeur, puis à compte d’éditeur 2 ans plus tard ce qui semble confirmer le succès du précédent Opus I. Ces partitions originales, à la structure très libre, à la virtuosité fluide, ont tenté bien des musiciens, et l’on citera notamment la lecture plus dansante et légère de Ton Koopman avec un continuo très rebondi de Paolo Pandolfo à la viole (Antoine Marchand) ou la parution très poétique de l’Ensemble Arcangelo et un Thomas Dunford au luth très inspiré (Alpha). 

Les Timbres s’e délectent de ce « stylus phantasticus » germanique, et les compositions de Buxtehude par leur mélodieuse spontanéité, leur complexité contrapuntique, leur vont comme un gant. On retrouve des accents proches des compositions d’Antonio Bertali en moins abstrait, de Schmelzer ou Mealli en plus rond, il y a de tout dans ce petit monde en terme de composition : des pièces proches du prélude hypertrophié d’orgue, des sonates en trio mais sans les doubles violons à l’italienne, des traits presque orchestraux, des trouées solistes…

Le violon de Yoko Kawabuko au souffle grainé, mâtiné de nostalgie, incisif et direct, à l’éloquence ciselée, dresse une image de Buxtehude paradoxalement à la fois épanouie et variée, mais aussi d’une étonnante dignité, voire – osons le contresens – sobriété. A la boulimie jouissive de Koopman répond une vision très animée, à la vivacité plus contenue, plus intérieure, parfois intellectuelle (superbe contrepoint), extrêmement contrastée dans sa rhétorique et ses affects. On regrette simplement que le continuo n’ait pas fait le choix de l’édredon perlé d’un luth (s’en tenant strictement aux instructions figurant dans la partition imprimée de l’opus I), et que la viole de Myriam Rignol soit captée de trop loin, accordant une primauté forte au pupitre de dessus ; c’est aussi parce que la partie de viole descend rarement dans les graves qu’on la sent moins présente. Le clavecin de Julien Wolfs (copie d’un Ruckers), très articulé, au medium riche, apporte texture et soutien à la ligne.

Parmi les moments de grâce, l’on citera l’Adagio de la Sonata III du Premier Opus, ample, belle, à l’abandon à fleur de peau, la scansion respirante pleine d’espoir du Lento de la Sonata VII du même opus. Le 2nd Opus est très similaire stylistiquement, avec une diversité de climat et un optimisme renouvelé. On sent les Timbres joueurs et amusés dans les arcanes de la Sonate I, l’une de nos favorites, forçant un peu les temps forts, insistant sur des fin de phrases carrées, avant de laisser s’épancher en murmure la ligne du violon en arabesque. La Sonate II dispose d’un superbe Arietta à dix Variations sur basse obstinée qu’on se repasserait bien en boucle. Enfin, comment ne pas citer la Sonate V et les deux longs passages solo pour violon (solo et concitato) d’une intensité déclamatoire tout à fait hypnotique ?

Baignade dans des eaux sans cesse changeantes, nimbée de l’imagination au pouvoir, plaisir des sens et d’une apparente improvisation, cette nouvelle réalisation des Timbres se rangera sans rougir au côté des Biber et princes consorts. Et ce n’est pas peu dire. 

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : captation fidèle aux timbres et bien texturée, mais avec la viole trop en retrait.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 13 avril 2021
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