Rédigé par 12 h 32 min CDs & DVDs, Critiques

Menus Plaisirs (L’Aimable, une journée avec Louis XV, Céline Frisch)

“L’Aimable, une journée avec Louis XV”

François COUPERIN:
Le Réveil-Matin, Le Gazouillement, Le Rossignol-en-Amour, Les Amusements.


François D’AGINCOURT :
Allemande La Couronne, Courante, Sarabande La Magnifique, le Colin-Maillard.


Pierre DANDRIEU : Carillon ou cloches

Louis-Claude DAQUIN : Les Plaisirs de la Chasse
Joseph-Nicolas PANCRACE ROYER : Les tendres sentiments, l’Aimable.

Claude-Bénigne BALBASTRE : Suite de Pygmalion par Monsieur Rameau : Ouverture, Gavotte gracieuse, Pantomime, Gigue.
Michel CORRETTE :  Les Etoiles.

Céline Frisch, Clavecin
1 CD digipack, Alpha Classic / Outhere, 2022, 72′.

 

“J’étais partie ce matin, au bois
Pour toi, mon amour, pour toi
Cueillir les premières fraises des bois
Pour toi, mon amour, pour toi

Je t’avais laissé encore endormi
Au creux du petit jour
Je t’avais laissé encore endormi
Au lit de notre amour”

Barbara, ce Matin-Là (1963)

A l’ère des albums-concept plus ou moins pertinents, saluons la maligne audace de Céline Frisch qui a décidé d’agencer dans le programme de cet enregistrement des pièces de styles parfois assez éloignés, du Grand Siècle au clavecin galant, comme autant de notes venant ponctuer le fil d’une journée du Bien-Aimé, souverain monarque régnant à l’heure de la composition de presque toutes les partitions présentées. L’exercice de style, dont la subjectivité aurait pu confiner à l’artificialité, se révèle au final aussi plaisant que distrayant, tant les morceaux, leur imagerie et leur musicalité, sont évocateurs des moments et sentiments quotidiens. Du Réveil Matin de Couperin le Grand aux Etoiles de Michel Corrette, ce sont une vingtaine d’heures condensées en une, à l’exemple de la non moins évocatrice journée de la Symphonie Alpestre de Richard Strauss. Oui lecteurs, vous avez bien lu, nous aimons aussi Richard Strauss, au point de lui rendre hommage quand l’occasion nous en souffle l’étrange idée.

Céline Frisch ose détours et explorations, se détournant de pièces attendues ou dont la virtuosité flirterait avec l’apparat pour s’aventurer sans s’égarer dans des chemins de traverse, rehaussant une œuvre délaissée d’un compositeur consacré, redorant le tableau d’un confrère à la postérité malheureuse et trop vite taxé de mignardise. Tout est curiosité dans ce disque, dans lequel on se plaît à se perdre, l’oreille aux aguets, comme pour quelques plaisirs de chasse.

Les Plaisirs de la chasse, tel est justement le titre des pièces composées par Daquin (1694-1772), tirées de son premier recueil d’œuvres clavecin (1735), dans lequel il s’exerce tout au déploiement de l’imagerie permise par l’instrument (son Coucou est devenu un classique). D’un Appel des chasseurs sautillant toute en efficace simplicité, précédent une Marche virevoltante elle-même prélude à un Appel des chiens dans lequel s’exprime toute la capacité de Louis-Claude Daquin à convoquer derrière une mélodie évidente toute l’imagerie musicale de la chasse, le clavecin s’avérant virevoltant et tonitruant par moments, avant de revenir en quelques notes à une intimité réconfortante. Une suite de pièces toutes en malice, agréables et dont la réjouissance s’inscrit bien dans l’air des compositions de leur auteur. Peut-être à découvrir en lisant les Récits d’un Chasseur de Tourgueniev (1858). Un joli moment que ces plaisirs de la chasse, faisant suite à un programme débuté par le Réveil-Matin de François Couperin, classique joliment interprété et poursuivi par un premier exposé de morceaux de François d’Agincourt, ou après une Allemande La Couronne (1733) un peu convenue, nous nous plaisons à découvrir une sarabande La Magnifique excellant à jouer des différents registres permis par le clavecin.

Car pour exécuter un panel d’œuvres aux dimensions fort diverses, il fallait un instrument capable de donner de l’ampleur aux différents registres, d’exprimer la simplicité la plus humble comme de, sans sombrer dans le tintamarre, se jouer de quelques envolées exaltées. En cela le choix d’un instrument sorti des ateliers du milanais Andréa Restelli, copie d’un clavecin du facteur Jean-Claude Goujon (actif vers la mi dix-huitième) s’avère totalement judicieux, offrant notamment dans le Gazouillement de Couperin, une pureté et un relief, un déliement des notes tout à fait charmant.

A la suite de Rameau et Couperin, qui avaient lancé en France le goût du clavecin, nombreux furent les compositeurs à creuser le sillon avec plus ou moins de réussite. La postérité ne fut pas souvent tendre avec eux, les reléguant souvent au rang de suiveurs opportunistes, et s’évertuant à souligner leurs redites, leur académisme et leur manque d’audace. C’est souvent le procès qui fut fait notamment à Joseph-Nicolas-Pancrace Royer (1703-1755), taxé de mièvrerie et rejeté au rang de compositeur secondaire. S’il est vrai que Les Tendres sentiments souffre de quelques facilités et tendrait à faire sortir de son veston un mouchoir de Cholet, très en vogue au milieu du dix-huitième, son Aimable est à redécouvrir, mélodieuse, élégante, ici interprétée toute en retenues et en nuances, jouant habilement du contrepoint. La véritable découverte de la mi- programme, juste avant que François Couperin n’enchante une fois de plus de son Rossignol-en-amour et de ses Amusements, révélant une vitalité et une complexité dans la rythmique qui font la marque des maîtres de l’instrument. Notons enfin un malicieux Colin-Maillard de François d’Agincourt (1684-1758) et quelques transcriptions d’airs tirées du Pygmalion de Rameau par Claude Bénigne Balbastre (1724-1799), curiosités replaçant au salon les plus grands airs de cet opéra, avec la fougue et le brio convenu.

Au final une journée aussi aimable que réjouissante, Céline Frisch prenant un plaisir sans prétention à sculpter ce parcours souriant et tendre, dont la variété est un enchantement et auquel il ne manque que la profondeur, la gravité ou la complexité d’un Louis Couperin ou d’un Chambonnières. Mais vive la rocaille !

 

                                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 1 août 2022
Fermer