Rédigé par 14 h 32 min CDs & DVDs, Critiques

"Ich habe genug"

La ravissante Hilary Hahn s’était déjà illustrée chez Bach dans quelques périlleuses Sonates et Partitas (Sony), qui bien que stylistiquement hors-ton pour nos baroqueuses exigences, s’étaient avérées tout à fait convaincantes. Hélas, cette nouvelle parution, récital d’airs issus de cantates sacrées et profanes, de la Messe en si et de la Passion selon Saint-Mathieu se révèle de ces enregistrements sur lesquels l’on préfèrera ne pas s’attarder.

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)

“Violin and Voice”

[TG name=”Liste des morceaux”]

St. Matthew Passion BWV 244 : “Gebt mir meinen Jesum wieder”
Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140 : “Wann kommst du, mein Heil?”
Ich bin vergnügt BWV 204 :  “Die Schätzbarkeit der weiten Erde”
Liebster Jesu, mein Verlangen BWV 32 :  “Hier, in meines Vaters Stätte”
Zerreißet, zersprenget, zertrümmert die Gruft BWV 205 : “Angenehmer Zephyrus”
Mass in B minor BWV 232 : “Laudamus te”
Ich lasse dich nicht, du segnest mich denn BWV 157 : “Ja, ja, ich halte Jesum fest”
Wer mich liebet, der wird mein Wort halten BWV 59 : “Die Welt mit allen Königreichen”
Ach Gott, wie manches Herzeleid BWV 58: “Ich bin vergnügt in meinem Leiden” (Soprano)
Sei Lob und Ehr dem höchsen Gut BWV117 : “Wenn Trost und Hülf’ ermangeln muß”
Der Friede sei mit dir BWV 158 : “Welt, ade, ich bin dein müde”
St. Matthew Passion BWV 244 : “Erbarme dich” (transposé pour soprano par Mendelssohn)
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Christine Schäfer (soprano)
Matthias Goerne (baryton)
Hilary Hahn (violon solo)
Münchener Kammerorchester 
Rosario Conte (théorbe)
Kristin von der Goltz (violoncelle)
Naoki Kitaya (clavecin et orgue) 

Direction Alexander Liebreich

56’54, Deutsche Grammophon, 2010.

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La ravissante Hilary Hahn s’était déjà illustrée chez Bach dans quelques périlleuses Sonates et Partitas (Sony), qui bien que stylistiquement hors-ton pour nos baroqueuses exigences, s’étaient avérées tout à fait convaincantes. Hélas, cette nouvelle parution, récital d’airs issus de cantates sacrées et profanes, de la Messe en si et de la Passion selon Saint-Mathieu se révèle de ces enregistrements sur lesquels l’on préfèrera ne pas s’attarder. L’entreprise n’était pourtant pas dénuée d’intérêt, puisqu’il s’agissait de rassembler des airs de Bach où le violon obligé joue un rôle primordial, selon la logique un peu fragmentée du récital opératique. Mais ce “Violin and Voice” pêche malheureusement à la fois par les voix et l’orchestre, si bien que le chroniqueur à ce moment hésite à poursuivre dans sa prose juste mais potentiellement ravageuse qu’il couche à contrecœur en contemplant la photo charmeuse de la violoniste dont la présence virtuose ne parvient pas à sauver ce Titanic de la  fatale collision avec l’inébranlable roc bacchien.

© Olaf Heine / DG

Premier écueil, le récital et sa vision interprétative extrêmement réductrice qui transforme ici Bach en compositeur pré-galant, à l’écriture hyper-mélodique, maniérée, d’une insoutenable légèreté. Le “Ja, ja ich halte Jesum feste” en devient méconnaissable, le “Laudamus Te” de la Messe en si mineur s’approche de l’hyperglycémie, le “Der Welt mit allen Königreichen” étiré, digne d’une meringue viennoise alla André Rieu ne demande qu’à fondre sous l’oreille. Car il faut avouer qu’ Alexander Liebreich mène son Münchener Kammerorchester tel des royalistes de 1815 brûlant des 33 tours Telefunken d’un Harnoncourt 70’s révolutionnaire ; le chef se glissant de manière pantouflarde dans les réflexes interprétatifs d’il y a 50 ans (et sans la grandeur spirituelle d’un Karl Richter) : masse orchestrale large aux contours plus qu’indécis, à la pulsation infiniment traînarde et sans relief, aux temps forts et aux articulations transparentes (“Ich bin vergnügt in meinem Leiden” terriblement poussif), aux timbres aussi ternes qu’une toile contemporaine de blanc sur blanc. Ajoutons évidemment l’usage presque rédhibitoire d’instruments modernes en dépit d’un continuo baroquisé, un contrepoint indigent, un échange avec les solistes tournant au monologue sans assise et vous serez les premiers à crier “Halte au feu” en demandant une résolution du Conseil Baroque de Sécurité pour la cessation de ce nettoyage musical.

Deuxième écueil, les solistes : Christine Schäfer et Matthias Goerne en totale méforme. La soprano dénote une voix frêle, mal assurée, à la projection faible (même au disque). Le timbre demeure sucré et agréable, mais l’interprétation ne parvient pas à rendre ni la complexité émotionnelle ni la profondeur suggestive du Cantor, la ligne mélodique étant prise avec une franchise qui frise la candeur, rendue avec application. Il manque à Christine Schäfer les nuances d’une Barbara Schlick, les articulations déclamatoires des solistes du Tölzer Knabenchor, la maturité tragique de Magdalena Kozená ou l’élégance angélique de Nathalie Stutzmann. Le choix du baryton Matthias Goerne laisse également perplexe, puisque sa tessiture trop légère l’oblige constamment à forcer sur sa voix de poitrine en équilibre instable pour suivre sa partie. Le phrasé est intelligible et respecte la prosodie, l’approche sensible mais techniquement trop limitée pour tenir la dragée à des basses chaleureuses et fermes telles Max van Egmond, Philippe Huttenlocher, Peter Harvey ou Peter Kooij, pour citer quelques glorieux habitués de ce répertoire. Le duo amoureux “Wann kommst du, mein Heil” en ressort meurtri, les timbres ne parvenant pas à fusionner, tandis que se fait jour une maîtrise technique insuffisante.

Reste la sirène entre Charybde et Scylla : Hilary Hahn. Certes le violon est moderne, le réflexe du vibrato constant, le son trop faible en harmoniques et un peu trop métallique pour nos oreilles qui recherche le grincement du boyau. Mais l’archet est rayonnant et virtuose, volubile et tendre, d’une souplesse jubilatoire. La ritournelle du “Angenehmer Zephyrus” bondit, le “Laudamus Te” coule avec une grâce inspirée, “l’Erbarme dich” avec son théorbe en arrière-plan, enrichi de subtils ornements commence de manière aérienne avant que la soliste ne fasse son entrée fracassant le climat poétique si habilement tendu. Hilary Hahn attend que son violon dialogue avec la voix et l’orchestre, se glisse dans les anfractuosités de la partition, réveille les consciences de son chant d’Orphée. Malheureusement, les champs de Thrace ne répondront pas à son appel, et le talent de la violoniste se heurtera à ses décevants compagnons de voyage.[divide]

Video de présentation officielle © Deutsche Grammophon

Sébastien Holzbauer

Technique : prise de son étriquée, et manquant de cohésion.

Site officiel DG pour la sortie de ce disque 

Étiquettes : , , , Dernière modification: 1 juin 2021
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