Rédigé par 15 h 29 min CDs & DVDs, Critiques

Etoilé Michelin (Delalande, Symphonies pour les soupers du Roi, Le Poème Harmonique, Dumestre – Château de Versailles)

Michel-Richard DELALANDE (1657-1726)
Symphonies pour les Soupers du Roi :
Grande Pièce royale, que la Roi demandait souvent

Suite en sol mineur
Suite en ré majeur
Suite en mi mineur

Le Poème Harmonique,
Direction Vincent Dumestre

1 Cds digipack, Château de Versailles Spectacles, 2021, 59’23.
 

La représentation à l’Opéra Royal ayant été annulée durant le confinement, il nous en reste le reflet discographique que le Poème Harmonique a capté dans ce même lieu. Immense corpus lié au cérémonial du Grand Couvert versaillais, les Symphonies pour les Soupers du Roi ont mauvaise presse. Si la Grande Pièce en G-ré-sol, dite Grande Pièce Royale ou « Caprice que le Roi demandoit souvent » ou bien la Passacaille en mi mineur rivalisent avec le meilleur Lully, le reste pâtit prétendument d’une overdose de fanfares cuivrées, d’une enfilade de danses décoratives et petits airs nobles, si courts et si vite oubliés, le temps que le Roi Soleil avale les petits pois dont il était si friand. En 1990, Hugo Reyne en enregistrait une intégrale très élégante et racée, mais qui pêchait par une inspiration variable et un maigre orchestre aux cordes bien rachitiques (Harmonia Mundi). Depuis, peu s’y sont risqués, si ce n’est les pyrotechniques musiciens de l’Elbipolis Barockorchester Hambourg (Challenge Classics) qui ont surtout retenus des danses carrées et nerveuses.

Voici enfin Vincent Dumestre, familier du Delalande des grands motets, qui en propose une sélection très bien construite tonalement et qui a regroupé en trois suites (sol mineur, ré majeur, mi mineur) une sélection évocatrice. Le chef décide résolument de faire naviguer ces pages entre théâtralité assumée (on a bien souvent l’impression d’écouter des passages de divertissements de tragédies lyriques) et lyrisme à fleur de peau. Les familiers du Poème Harmonque ne s’étonneront guère de l’énorme travail apporté aux textures, aux couleurs et aux ambiances, aux oppositions constantes entre soli et tutti, presque corelliens.

Certes les puristes hausseront un sourcil circonspect face à la rusticité villageoise du Tambourin, avec sa flûte aigue, ses percussions égrillardes ou devant une Muzette alanguie et avec musette s’il vous plaît. Bien souvent, les indications des recueils de 1727 et 1745 sont ignorées (revenez chez Reyne pour davantage de rigueur musicologique), car Vincent Dumestre a recomposé les textures en peintre de la couleur : le magnifique violon solo de Fiona-Emilie Poupard, très italianisant, les bassons, flûtes et flageolet grainés et boisés d’Elsa Frank, Jérémie Papasergio & Isaure Lavergne, la variété des percussions campent un paysage sonore moiré, d’une richesse superbement colorée, à la sève coulante et souple. Les articulations très coulées, le choix d’insérer nombres de liaisons, le phrasé caressant et sensuel confèrent aux suites de danse un caractère affirmé qui va fréquemment au-delà de la joliesse curiale et rappellent les ors soyeux de Lully, des fastes de Cadmus & Hermione ou de Phaëton. Quelques pièces marquantes jetées en vrac : la Grande Pièce Royale en guise de prologue, à la pulsation allante sans être pressée, majestueuse sans pompe, avec ce violon seul qui s’entremêle au hautbois en un enivrant dialogue, qui frise l’érotisme avant que les cordes ne bouillonnent et ne rappellent les instruments obligés à l’étiquette ; une Entrée des Matelots fière, presque méridionale, sautillante, aux rythmes piqués extrêmement dansants ; une Tempête de Mr Rebel avec machine à vent, roulement de tonnerre, qui préfigure celle d’Alcyone de Marais ; une Passacaille en sol mineur à la souplesse digne, toute en courbe et en violons souriants. Et bien évidemment l’autre Passacaille, en mi mineur, à l’opulence grandiose et avec ce je-ne-sais-quoy de nostalgique dissimulé derrière la grandeur. Comme un soleil d’hiver. Si vous voulez souper sans être distraits, passez votre chemin car M. de Lalande est ici bien talentueux et bien trop présent pour se contenter d’une Tafelmusik courtisane. 

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : enregistrement chaleureux et très proche des instruments obligés. Noyau de cordes et continuo un peu en retrait au profit du premier violon et des bois.

 

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 17 avril 2022
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