Johann Gottlieb GOLDBERG (1727-1756)
Sonate en trio en do majeur (autrefois attribuée à Bach BWV 1037)
Sonate en trio en la mineur
Sonate en trio en sol majeur
Sonate en trio en si bémol majeur
Prélude et fugue en sol mineur (arrangement pour 2 violon et violoncelle)
Sonate pour 2 violons, viole et basse continue en do mineur
Ludus instrumentalis :
Evgeny Sviridov, violon
Anne Dmitrieva, violon
Corina Golomoz, viole de gambe
Davit Malkonyan, violoncelle
Liza Solovey, théorbe
Stanislas Gres, clavecin
1 CD digipack Ricercar, 2021, 69’57.
Que nos lecteurs ne cherchent point ici de non-dit ou d’allusion au contexte géopolitique actuel dans le choix de chroniquer cette parution d’un jeune ensemble sanctipetersbourgeois, qui fait fi des nationalités, et dont le trop plein d’avenir se tourne vers le patrimoine culturel européen. Ce superbe opus était depuis longtemps dans notre bannette bureaucratique des suspens « en cours » et nous profitons de ce repos pascal pour partager enfin avec nos lecteurs quelques laudatives pensées.
Goldberg : l’on pense tout en connaître : pour certains c’était cette magnifique revue trilingue consacrée à la musique baroque, ce bimensuel d’entre 2003 et 2008. Pour d’autre c’est ce fameux claveciniste au service du Comte von Kayserlingk, représentant russe à Dresde, mélomane averti pour soigner les insomnies duquel Bach composa les Variations. Mais derrière le musicien, il y a un jeune compositeur, inconnu et génial, virtuose dès son jeune âge. Elève du grand Jean-Sébastien, mais aussi de Wilhelm Friedemann, au service dudit comte russe qui fut son mécène, l’on sait bien peu de chose de cet « excentrique mélancolique et têtu » (J.-F. Reichardt, 1792) qui détruisit la plupart de ses compositions. Il nous reste de sa musique de chambre des compositions en « style antique » (comprenez non galant) : les voici toutes, ces quatre sonates en trio et la sonate à quatre en do mineur.
Pendant des mois, nous n’avons pas dépassé la première sonate en do majeur autrefois attribué à Bach : l’erreur est aisément explicable, tant elle ressemble stylistique au Bach des sonates pour violon et clavecin. Et les membres de Ludus instrumentalis se coulent avec une grâce concentrée dans ce monument au compositeur inconnu. Clarté nostalgique du contrepoint, générosité du phrasé, fusion des lignes violinistiques de Evgueny Sviridov & Anna Dmitrieva, intensité humble, les qualités interprétatives explosent dès l’ample Adagio introductif en dépit de la discrétion rigoureuse de la phalange. Ce n’est pas là un jeu extraverti et virtuose à la Andrew Manze qu’on goûtera, mais à une approche pastel, réminiscente de Lucy van Dael et Bob van Asperen, où les timbres ou les textures ne sont pas trop accusés, où la ligne est magnifiquement tenue et rendue. Les tempi s’avèrent aimablement contrastés, d’un naturel confondant, l’assise du clavecin de Stanislas Gres ferme sans être envahissante, le théorbe d’Elisaveta Solovey hélas un peu trop dissimulé derrière la viole et le violoncelle souples de Corina Golomoz et Davit Malkonyan respectivement. Il y a si peu à écrire et tout à écouter dans ces arabesques complexes et sinueuses, ces entrées fuguées denses, cette compacité savante que Ludus instrumentalis aborde avec un respect grave mais agile. Les chromatismes et l’originalité de écriture sont soulignés avec soin, la Gigue conclusive hypnotique et cyclique, vive et énergique sans violence, interminable dans ses reprises subtiles appelle tous les éloges.
Ira t-on plus loin dans le disque en décrivant les autres pièces ? Non. Car d’abord, quoique certaines soient plus personnelles et réservent des moments de bravoure remarquables et « bizarres » (Allegro assai de la sonate en la mineur), frisent la joliesse (Tempo di minuetto de la sonate en sol dont la mélodie un temps convenue devient assez erratique), ou le spleen crépusculaire (ciacona de la sonate en si bémol majeur), il y a là une sorte de détour dérangeant dans la composition, de tournants harmoniques franchement étranges, d’accents d’Europe de l’Est ou d’accords expérimentaux. Comme un Bach sous substances illicites qui s’égarerait brillamment. Vous nous répliquerez que c’est sans doute là la partie la plus importante de l’œuvre de Goldberg, la plus fidèle à sa psyché, à son inspiration tortueuse et que le commentateur fait étonnamment preuve de légèreté en se concentrant sur une sonate calquant trop les sentiers bachiens. Et vous aurez tellement raison que nous nous ne essaierons pas à commenter ces contorsions véritablement audacieuses dans lesquelles Ludus instrumentalis a su s’enivrer et se perdre.
Viet-Linh NGUYEN
Technique : enregistrement très clair et équilibré, capté globalement et d’assez loin.
Étiquettes : Muse : or, Outhere, Ricercar, Viet-Linh Nguyen Dernière modification: 25 mars 2024