Rédigé par 17 h 44 min CDs & DVDs, Critiques

Divin (Cipriano de Rore, Il Ballo, Loredo De Sá – Hortus)

Il divino Cipriano de Rore

Cipriano de Rore (1515-1565)
Anchor che col partire
Di virtù, di costumi, di valore
Signor mio caro
Carita di Signore
Tutto il di piango
Era il bel viso suo
Amor, ben mi credevo
Vergine bella
Com’havran fin le dolorose tempre
La bella netta ignuda
Non gemme, non fin’oro
Non è ch’il duol mi scemi
Io canterei d’amor si novamente
Amor, ben mi credevo
Alla dolc’ombra de le belle frondi, prima parte
Non vidde’l mondo si leggiadri rami, seconda parte
Un Lauro mi deffese’all’hor dal cielo, terza parte
Pero piu ferm’ogn’hor di tempo’in tempo, quarta parte
Selve sassi campagne fiumi’e poggi, quinta parte
Tanto mi piacque prima’il dolce lume, sesta & ultima parte

Adrien Williaert : Recercar decimo
Anonyme : La Rose
Marco Dall’Aquilla : Ricercare

Adrien Williaert : Recercar settimo

Ensemble Il Ballo :
Véronique Bourin, soprano

Anne Dumont, clavecin
Leonardo Loredo de Sá, luth et direction
1 CD digipack, Hortus 209, 77’05, 2022.

“Il Divino”. Ce n’est ni du divin César, ni de Michel-Ange, encore moins du confidentiel Santuario del Divino Amore romain qu’il s’agit mais de grand Cipriano de Rore, figure majeure de l’art madrigalesque de la Renaissance reconnu comme tel par ses pairs de son vivant et dont l’œuvre considérable continua d’être jouée après son décès en 1565. Ainsi, des dizaines de versions ornementées de certains de ses madrigaux continuent de pulluler jusqu’au début du XVIIème siècle ! On en retrouve certaines dans le superbe album anniversaire paru chez Ricercar “Ancor che col partire” qui comprenait aussi des œuvres religieuses. Cette parution complémentaire, au climat moins extraverti, plus intime, plus concentré se concentre principalement sur le Premier Livre des Madrigaux à quatre voix de 1550 mais donne la part belle aux diminutions ultérieures retravaillées par le gratin du temps : Girolamo della Casa (dont le traité de diminutions et d’ornementation comprend 23 madrigaux de De Rore), Giovanni Bassano ou encore Giovanni Battista Bovicelli, Orazio Bassani ou Giovanni Battista Spadi. Les excellentes notes de programme (attribuées au chef ?) détaillent à grands traits les grandes étapes biographiques et les choix interprétatifs, et l’on sait gré à Hortus de continuer à garantir une exigence éditoriale superlative qui devient rare, où les sources comme les factures des instruments sont dûment précisés.  

Le florilège s’ouvre sur le “tube” “Ancor che col partire”  avec son texte aux sous-entendus érotiques, dans une version mixte reprenant les ornements de Bovicelli et où la voix de cantus est délicatement accompagnée par un luth seul dans une mise en tablature de Giovanni Paolo Paladino. Il en résulte une vision épurée et poétique, sonnant de manière modernisée par rapport à la version à 4 voix chantées, et qui permet au soprano de Véronique Bourin à la lumineuse souplesse d’ourler les passagi avec une grâce naturelle. La stabilité de l’émission, la pureté du timbre, la modicité délicieuse de l’artiste sont à louer unanimement tout au long de l’enregistrement. En outre le chef sait varier les textures et affects, n’hésite pas à panacher les sources des diminutions vocales et instrumentales, tout en conservant une cohésion tonale remarquable, avec quelques inserts bienvenus de quasi-contemporains (tel un Recerare decimo vaporeux de Willaert, où sacqueboute, viole et cornet s’entremêlent avec une douceur de sfumato).

Si le disque s’écoute avec un plaisir immédiat de par les couleurs claires, la précision de dentellière et l’élégance mélodique de l’Ensemble Il Ballo , il recèle nombre de gourmandises pour connaisseurs qui se découvrent au fil des écoutes, à l’image de ce virtuosissime la “Bella netta ignuda”. La voix du madrigal original, non ornée, est jouée par un ductile et chaleureux cornet, tandis que la ligne de chant, ébouriffante, enchaîne les spectaculaires ornements de Dalla Casa. Là encore, ce n’est pas une mince affaire que cette interprétation à la fluidité solaire, où Véronique Bourin sait allier la précision des redoutables diminutions à une éloquence presque discrète, qu’un clavecin brillant rehausse. Il faut bien l’interlude d’un Ricercare serein et respirant au luth de Marco Dall’Aquilla pour s’en remettre. Toujours dans ce segment de programme, le chef (et luthiste) Leonardo Loredo de Sá nous convie ensuite à l’épure du “Non gemme, non fin’oro”, diminué par Bassano, où l’accompagnement simple de luth contrebalance une ligne de chant très riche pour un texte assez courtisan. L’on admirera la beauté grainée et mélancolique, la générosité alanguie du socle à trois violes en consort du “Non è ch’il duol mi scemi” au-dessus duquel évolue la ligne de dessus diminuée au violon (par Bassani) ou encore “La Rose”, canzone à 6 voix où Il Ballo sort de son registre intimiste pour convoquer cornet, sacqueboute, viole, théorbe et violon dans une évocation quasi-orchestrale moirée et protéiforme, moins touchante mais à la grandeur spectaculaire. L’on retrouve le remarquable sens du tactus du chef, entre relâchement et rotondité cyclique. Mais s’il faut partager avec nos lecteurs un favori, ce sera sans nul doute le long “Vergine bella” interprété par par le tandem soprano et théorbe, diminué par Bassani (toujours aussi virtuose), prière mariale fervente et poétique intense.

Voilà un enregistrement divin, aux couleurs variées, au soin apporté aux diminutions admirables et qui s’avère un incontournable de la discographie trop mince consacrée à Cipriano di Rore (l’on recommandera aussi le “Vieni, Dolce Imeneo” de la Compagnia del Madrigale chez Glossa dans un style plus archaïsant et plus polyphonique), et convaincra les réticents que ce compositeur constitue bien plus qu’un chaînon du chemin madrigalesque entre Willaert et Monteverdi, d’autant plus que l’interprétation solaire et très mélodique d’Il Ballo tend à rapprocher le compositeur de ses successeurs.

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : prise de son aérée et naturelle, en particulier pour le cornet et le violes. Clavecin parfois un peu trop en avant.

Étiquettes : , , Dernière modification: 2 janvier 2023
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