Rédigé par 8 h 33 min Concerts, Critiques

Pirate des Caraïbes (Récital Jeanine de Bique, Aaron Wajnberg – Sainte-Chapelle, 1er Avril 2024)

Jeanine de Bique – Sorekartists Management


« Du baroque virtuose aux rythmes caribéens »

Henry Purcell (1659-1695),
The Blessed Virgin’s Expostulation,
Transcription de Benjamin Britten (1913-1976)

Georg Friedrich Haendel (1685-1759),
Endless pleasure, extrait de Semele

Georg Friedrich Haendel,
Da Tempeste, extrait de Giulio Cesare

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Alleluia, extrait de l’Exultate Jubilate

« Across the Atlantic… »
Evening Time
Rosebud
Cutie pak
Morena Osha
On my journey
Round about the moutain
His name so sweet

Jeanine de Bique, soprano
Aaron Wajnberg, piano

Jeudi 28 mars 2024, Sainte-Chapelle du Palais de la Cité, Paris. Dans le cadre de Paris Sainte Chapelle Opera Festival, Euromusic productions, direction artistique Fabienne Conrad.

Nous avions laissé Jeanine de Bique en juin dernier sous les voutes de la Basilique de Saint-Denis pour un récital dévolu aux Reines et Héroïnes chez Haendel et quelques-uns de ses contemporains, occasion pour la jeune soprane d’encore une fois nous éblouir par l’interprétation d’une large partie de son album Mirrors (Berlin Classics, 2021), dont le succès l’a consacré. Nous la retrouvons ce soir dans l’écrin de la Sainte-Chapelle pour un récital au caractère soyeux et intimiste du plus bel effet, mais dont l’imprévision du programme nous a trompé :  nous pensions qu’elle était accompagnée de musiciens baroques, et non d’un simple piano, et ce récital sort donc du champ habituellement dévolu à notre revue. Certes, du tombeau des rois de France à l’écrin royal des Saintes Reliques construit par Saint-Louis, il y a comme un lien, une filiation tout en symbole, une histoire de pérennité. Et soulignons que si la voix de la diva avait tendance à quelque peu s’évaporer sous les amples voutes de la Basilique de Saint-Denis (les auditeurs du fond de nef pouvant éprouver de réelles difficultés d’audition), la Sainte Chapelle, avec son cadre resserré s’avère un lieu des plus propices à ce récital dans le cadre du Paris Sainte Chapelle Opera Festival qui se poursuit jusqu’au 1er mai prochain et dont nous avions chroniqué l’ouverture par le Concert Spirituel chez Couperin.

Le répertoire qui l’a fait connaître, c’est avant tout celui des opéras baroques, et plus particulièrement haendéliens, où sa voix lumineuse, sa capacité de projection et de vocalisation font merveille. L’air de bravoure « Da Tempeste », de Cléopâtre dans le Giulio Cesare de Haendel (Acte III, scène 3) est en cela un chef d’œuvre dans lequel Jeanine de Bique trouve à faire entendre toute son espièglerie et sa personnalité, la touchante sincérité de des sentiments humains, en ces instants où Cléopâtre voit revenir César qu’elle croyait défunt. S’y exprime toute la souplesse de sa voix, dans un aria réputé pour sa virtuosité, où elle fait preuve d’une fluidité sans aucune accroche, émouvante et souveraine dans cet air jubilatoire où elle rayonne.

Décidemment Haendel va à ravir à la soprano, et elle le démontre une nouvelle fois dans le « Endless pleasures » de Semele (air final de l’Acte I), abordé avec tempérance, et ou s’exprime une nouvelle fois toute la clarté et la souplesse de sa voix, mélodieuse et aux intonations colorées. Un aria aux extatiques nuances qui nous donne l’envie de retrouver Jeanine de Bique dans un grand rôle haendélien, elle dont les derniers engagements ont pris une inflexion se tournant vers des répertoires, certes séduisants, mais moins baroques (elle fut notamment la Cendrillon de l’opéra de Massenet à l’automne dernier à l’Opéra de Paris), ce que nous ne pouvons que regretter, dans l’attente d’un retour vers ce type de répertoire.

Aaron Wajnberg – tous droits réservés (site officiel du festival)

Savourons donc comme il se doit son incursion chez Henry Purcell dans le The Blessed Virgin’s Expostulation, dans la transcription réalisée par Benjamin Britten en 1945, air d’entrée et occasion de souligner la présence au piano de Aaron Wajnberg, qui accompagnera Jeanine de Bique tout au long de son récital, un choix classique du piano pour un récital, même si nous ne pouvons que déplorer le caractère anachronique de l’instrument sur des œuvres du répertoire baroque. Mais soyons magnanimes et reconnaissons que le son rond et chaud de l’instrument su habilement seconder cette déploration sur laquelle Jeanine de Bique fit preuve d’une très belle clarté de diction et d’un large spectre vocal, délivrant notamment des graves d’une grande émotion, doloristes et touchants.

Un récital baroque concis, resserré, qui s’achève avec l’Allelua de l’Exultate Jubilate de Mozart, où la soprane délivre quelques notes superbement tendues, mais reste assez classique dans son exécution de ce classique du compositeur autrichien, servant surtout à nous rappeler à quel point nous la préférons quand elle interprète quelques figures féminines au caractère affirmé.

Après cette première partie consacrée au répertoire lyrique, court mais à l’indélébile présence, s’ouvre une seconde partie, dans laquelle Jeanine de Bique s’aventure dans le répertoire populaire caribéen et afro-américain, en prélude à un programme qu’elle donnera en tournée avec le Holland Baroque à partir de la fin du mois d’avril. Présentant elle-même les airs, s’adressant en anglais au public de la Sainte Chapelle en déambulant dans la pénombre de l’allée centrale de l’édifice dans une belle intimité avec les spectateurs, Jeanine de Bique nous emmène avec elle pour quelques airs d’outre-Atlantique à nos oreilles inconnus mais dont nous apprécions l’interprétation dépouillée, épurée, où la voix de la soprane délivre une belle émotion, rappelant à nos oreilles et nous donnant l’occasion de citer la folk de Louisiane de Rhiannon Giddens (sur l’album Freedom Highway, 2017), dont elle reprend d’ailleurs un titre plus récent (Round about the mountain). L’envie de s’attarder sur Morena Osha (André Tanker, 1941-2003), On my journey et autre His name so sweet.

Voici un récital de voyageur qui illustre la capacité de Jeanine de Bique à explorer d’autres horizons,… pour notre plus grand plaisir.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 8 avril 2024
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