Rédigé par 14 h 58 min CDs & DVDs, Critiques

Aimantes religieuses

En 1349, alors que la Peste Noire s’abat sur l’Europe répandant ses linceuls et sa pourriture, il est décidé à Tournai qu’une messe cum nota (chantée) sera interprétée quotidiennement. Ainsi, un clerc et cinq chantres se rassemblaient, au matin, dans la partie sud du transept…

Missa Tournai

 

missa-tournaiEnsemble De Caelis : Estelle Nadau, Florence Limon, Caroline Tarrit, Laurence Brisset, Léna Orye.
Direction Laurence Brisset. 

51’47, Ricercar, 2008.

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En 1349, alors que la Peste Noire s’abat sur l’Europe répandant ses linceuls et sa pourriture, il est décidé à Tournai qu’une messe cum nota (chantée) sera interprétée quotidiennement. Ainsi, un clerc et cinq chantres se rassemblaient, au matin, dans la partie sud du transept, espérant que leur piété épargnerait à la cité flamande les malheurs de l’épidémie. La Messe aurait été composée à cette occasion. Bien qu’à Tournai, les hommes seuls étaient autorisés à chanter la messe, Laurence Brisset a choisi de livrer une interprétation confiée intégralement à cinq voix de femmes (deux pour le ténor et le triplum, une pour le duplum), étayant notamment ce choix interprétatif par la présence du Credo dans le monastère féminin de Las Huelgas, et profitant de l’occasion pour égratigner les mentalités du temps : “le Moyen-Age était misogyne et l’histoire écrite par des hommes”. Elle laisse également libre court à de réjouissantes piques – impertinentes et peu pertinentes – qui auraient fait avaler son clavecin à Gustav Leonhardt : “Y aurait-il plus de différences entre l’interprétation d’hommes et celle de femmes qu’entre celles de japonais et de norvégiens ? Autrement dit, la féminité serait-elle une donnée musicale ?” s’interroge Brisset. Tout en laissant le débat ouvert pour les bacheliers de philosophie et les anthropologues, qu’il nous soit permis humblement de répondre, avec la simplicité du benêt, que le timbre et la tessiture et des voix masculines et féminines sont très différents, même pour l’oreille la moins avertie (et quoique mon voisin ait parfois confondu au disque Lawrence Zazzo avec une contralto, mais c’est là une autre histoire).

Bref, tout ceci étant dit, et Simone de Beauvoir retournant aux Deux Magots, il est grand temps d’aborder l’interprétation elle-même. L’Ensemble De Caelis surprend dès les premières notes par une transparence de vitrail, un chant pur et droit. Les départs sont précis, les pupitres se mêlent harmonieusement entre eux, les timbres féminins apportent une belle lumière diaphane, un zeste d’innocence, sensation que l’absence totale d’accompagnement instrumental accroît encore. Il plane sur cette Messe de Tournai une brume nordique, froide, distante et fière que Laurence Brisset et ses consœurs ont su admirablement capturer. Une dévotion austère mais fervente, se passant d’artifices, un brin raide comme un tableau de primitif flamand. On remarquera en particulier le  Kyrie, très homophonique, qui joue avant tout sur de saisissants effets d’ensemble et “l’Amen” du Gloria nettement plus démonstratif et spectaculaire avec ses mélismes, stylistiquement distincts.

Le programme est complété par d’autres pièces, dont d’aimables chansons telles “Jour a jour la vie” (parodié – au sens musicologique de réutilisation de l’œuvre – sur un texte religieux en latin)

Katarina Privlova

Technique : bon enregistrement, pas de remarques particulières.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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