Rédigé par 14 h 32 min CDs & DVDs, Critiques

Pergolèse entre seria et bouffe

Fauché à la fleur de l’âge par la maladie (probablement la tuberculose), Giovanni Battista Pergolesi n’eut guère de temps pour contribuer au répertoire lyrique baroque. Ses rares productions se distinguent toutefois par leur raffinement musical. Cette grande qualité intrinsèque est probablement à l’origine de la notoriété du compositeur, qui a résisté à l’oubli où étaient tombés les compositeurs baroques au XIXème siècle et au début du XXème. En 2010, la Fondation Pergolesi Spontini entreprit d’enregistrer l’ensemble des oeuvres parvenues jusqu’à nous du compositeur (soit quatre opere serie, deux intermezzi, et deux comédies)…

Giovanni Battista PERGOLESI (1710-1736) 

Adriano in Siria (1734)

Dramma per musica en trois actes, livret de Métastase.
Marina Comparato (Adriano), Lucia Cirillo (Emirena), Annamaria dell’Oste (Farnaspe), Nicole Heaston (Sabina), Stefano Ferrari (Osroa), Francesca Lombardi (Aquilio)

Livietta è Tracollo

Intermezzo en deux actes, livret de Tommaso Mariani
Monica Bacelli (Livietta), Carlo Lepore (Tracollo)
Orchestre Academia Bizantina
Direction Ottavio Dantone
Mise en scène : Ignacio Garcia, décors : Zulima Memba del Olmo, costumes :  Patricia Toffolutti, éclairages : Ignacio Garcia et Fabrizio Gobbi.

2 DVDs toutes régions, 190 mn, Format 1.77:1, sous-titres : Anglais, Français, Italien, Allemand, Espagnol, Opus Arte, distribution Codaex, 2012. Enregistré au Théâtre G-B. Pergolesi de Jesi en juin 2010.

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Fauché à la fleur de l’âge par la maladie (probablement la tuberculose), Giovanni Battista Pergolesi n’eut guère de temps pour contribuer au répertoire lyrique baroque. Ses rares productions se distinguent toutefois par leur raffinement musical. Cette grande qualité intrinsèque est probablement à l’origine de la notoriété du compositeur, qui a résisté à l’oubli où étaient tombés les compositeurs baroques au XIXème siècle et au début du XXème. En 2010, la Fondation Pergolesi Spontini entreprit d’enregistrer l’ensemble des oeuvres parvenues jusqu’à nous du compositeur (soit quatre opere serie, deux intermezzi, et deux comédies). Les intermezzi étaient des intermèdes bouffons, donnés aux entractes des opere serie. L’oeuvre la plus connue de Pergolèse est du reste un intermezzo (La Serva Padrona), qui complétait l’opera seria Il prigionero superbo.

Aussi dans un souci de fidèle restitution musicale, Opus Arte nous propose Adriano in Siria entrecoupé de Livietta è Tracollo, qui avait été écrit pour l’accompagner.

L’opera fut commandé pour fêter l’anniversaire d’Elisabeth Farnèse, épouse de Philippe V d’Espagne et mère du nouveau roi Charles III (les Bourbons avaient repris le royaume de Naples aux Habsbourg quelques mois auparavant). La création eut lieu le 25 octobre 1734, au théâtre San Bartolomeo. Elle alignait rien moins que le castrat Caffarelli (dans le rôle de Farnaspe), et la soprano Margharita Chimenti (dite « La Droghierina »- dans le rôle d’Aquilio), qui allèrent ensuite tous deux poursuivre leur carrière auprès de Haendel à Londres. L’œuvre reçut toutefois un accueil mitigé, les spectateurs n’y retrouvant pas suffisamment de démonstrations de virtuosité dont ils étaient friands. Il convient d’observer à cet égard que le style de Pergolèse marque une inflexion certaine par rapport à la production de ses contemporains napolitains Porpora ou Leo : le souci de réalisme dans les caractères écarte les redoutables pyrotechnies ornementales au profit d’airs plus « intimistes » ; en revanche la partie orchestrale et la structure des airs sont particulièrement soignés (chaque aria étant précédé d’une introduction plus ou moins longue). On pourrait presque conclure que Pergolèse fait figure de compositeur « vériste » au sein de l’école napolitaine !

D’emblée, notons la direction fluide mais animée du maestro Ottavio Dantone, qui s’affirme dès l’ouverture, revient avec vigueur au premier plan dans les introductions et soutient efficacement le chant, conférant à l’œuvre un caractère presque aérien. L’orchestre, dans une formation réduite qui convient bien à ce répertoire, y contribue efficacement pour sa part. Le plateau est assez homogène, et de bonne tenue. Soulignons aussi que les chanteurs font tous montre d’un jeu scénique très expressif, fort utile pour « meubler » les introductions musicales parfois assez longues qui préludent à leur air.

Dans le rôle-titre, Marina Comparato possède un timbre bien stable, dont les reflets métalliques contribuent à la crédibilité du personnage, et font merveille dans les airs de fureur (« Tutti nemici è rei » au second acte) ou de majesté (« Fra poco assiso in trono » au troisième acte). Face à elle, Lucia Cirillo campe une Emirène déchirée entre son amour pour Farnaspe, et le souci de ne pas déplaire à Hadrien afin de préserver l’existence de son père captif. Son premier air (« Prigionera abbandonata »), relayé par des cordes plaintives, est tout à fait émouvant, de même que le « Sola mi lasci a piange » qui suit. La pointe d’acidité de son timbre en renforce les expressions de douleur. Annamaria dell’Oste a la lourde charge du rôle de Farnaspe, tout à fait central dans l’oeuvre puisqu’il fut écrit pour le castrat Caffarelli. Si son timbre cristallin manque de vraisemblance pour incarner un personnage masculin, son aisance aérienne dans les ornements, sa puissance d’abattage nous convainquent tout à fait au plan vocal. Sa prestation culmine dans ses deux grands airs : ornements délicatement filés pour l’air « du rossignol » (« Lieto cosi tal volta »), sur un superbe accompagnement de hautbois (intelligemment filmé en alternance), en cascade pour le « Turbido in volto è nero » qui conclut le second acte (avec double reprise !). Mentionnons encore le délicat duo final avec Emirène, un peu statique au plan musical mais ô combien charmant !

 

© Opus Arte

Par son expressivité envoutante, Nicole Heaston s’affirme en Sabine comme l’autre grande interprète de ce plateau. Beaux ornements filés pour le « Chi soffre senza pianto » (premier acte), désespoir émouvant face à la trahison supposée d’Hadrien (« Ah ingrato, m’inganni »), impressionnant abattage  pour le « Splendo per voi sereno », la mezzo possède un timbre cuivré et bien rond, dont la stabilité semble infaillible jusque dans les plus redoutables ornements. Francesca Lombardi s’acquitte honnêtement du rôle de l’intriguant Aquilio, dont les manigances finiront par être découvertes (et bien sûr pardonnées !) par l’empereur Hadrien. Elle se joue habilement des ornements du « Saggio guerriero antico » au second acte, et se livre de manière émouvante au troisième acte (« Contento forse vivere »). Enfin le baryton Stefano Ferrari (Osroa) révèle ses graves charnus dans l’unique récitatif accompagné (« E pure, ad onta del mio furore »), en brandissant son cimeterre ! Son « Leon piagato a morte » au second acte est enlevé à un rythme martial, qui sied bien au livret.

Au plan scénique, les décors assez sobres de Zulima Memba del Olmo évoquent de manière convaincante, élégante et sobre cet Orient antique un peu imaginaire (quelques colonnes, des rochers, de rideaux de chaînes pour suggérer la captivité des protagonistes). Sur ce fond un peu sombre, les lumières du premier plan mettent en valeur les costumes (dus à Patricia Toffolutti), eux-mêmes très contrastés : tuniques blanches finement brodées (plus grecques que romaines…) pour masquer habilement l’anatomie d’Hadrien et Aquilio, robes très « orientales » pour mettre en valeur Emirène et Sabine, vêtements amples et très colorés de guerriers -avec turbans !- pour Osroa et Farnaspe (ce dernier grimé d’une petite moustache…).

On en saurait achever cette critique sans évoquer le « Livietta è Tracollo« , donné en deux parties (avant le second acte, et avant le troisième), selon la pratique de l’époque d’intercaler un intermezzo au sein des opéras seria. Cet intermède bouffon rassemble de manière truculente les ingrédients de la commedia dell’arte pour provoquer le rire des spectateurs : travestissements invraisemblables (Livietta en Française, Tracollo en polonaise enceinte !), maquillages outrés, accessoires de pacotille (notamment la fausse lunette astronomique…), inévitable « happy end ». La basse comique de Carlo Lepore (« Ecco il povero Tracollo ») est à l’unisson de cet univers burlesque aux effets appuyés. Signalons toutefois le jeu plein de finesse de Monica Bacelli, qui sait jouer de la couleur de son timbre pour incarner au mieux les personnages et les situations du moment. La partition, bien qu’assez simples, offre quelques beaux duos, dont le rythme enlevé rééquilibre avec bonheur les successions plus statiques des airs dans l’opera seria qui constitue l’œuvre principale.

Les deux DVD sous coffret sont accompagnés d’un court livret, avec notice musicologique et résumé de l’action, mais sans les paroles originales (qui, il est vrai, peuvent être obtenues aisément en passant sur le sous-titrage en italien). Les prises de vue sont réalisées avec intelligence (gros plans sur les instruments solistes, suivi dynamique des chanteurs…). En résumé, on ne peut qu’applaudir à cette louable initiative d’avoir fait revivre avec bonheur pendant un peu plus de trois heures ces pages un peu oubliées, pour les mettre à la disposition de tous ceux (dont votre serviteur) qui n’ont pas eu le plaisir d’assister à cette double recréation scénique.

Bruno Maury

Technique : prise de son correcte, prises de vues pertinentes et soignées

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 21 juillet 2020
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