Rédigé par 16 h 31 min CDs & DVDs, Critiques

Viscéral (Leclair, Sonates du Livre IV vol. 1, Hélène Schmitt – Aeolus)

Jean-Marie LECLAIR (1697-1764)
Sonata VI en ré majeur
Sonata X en fa dièse mineur
Sonata III en ré majeur
Sonata VIII en ut majeur

Hélène Schmitt, violon
François Guerrier, clavecin
Francisco Mañalich, viole de gambe
Jonathan Pešek, violoncelle
1 CD digipack, AE 10356, Aeolus, 68′ 

Il y a une excellente nouvelle et elle s’affiche en petit sur le coin inférieur droit de la couverture. De petites lettres blanches signalent “vol. 1” et l’on attend déjà les autres volumes, sans doute encore deux, pour s’atteler aux 12 sonates de cet opus IV. Car cette parution va comme un gant au tempérament de la violoniste, sa liberté, sa fougue, sa force, cet archet sur le fil du rasoir, incisif et décisif, sabrant à la volée, appuyant au pinceau. Il y a une âme à ce violon, insaisissable dans son lyrisme, impétueux dans sa virtuosité, rêveur ou intellectuel dans ses doubles cordes. Ce Leclair du 4ème Livre, Hélène Schmitt l’aborde comme du Biber, et en extrait une lecture métaphysique d’une profondeur changeante, mais aussi d’une musicalité extraordinaire. Les reprises murmurantes, les aigus filés, l’archet parfois interminable emportent l’admiration, et déjouent l’analyse. Une interprétation italianisante ? Une lecture archaïsante et germanique insistant sur la filiation avec le stylus phantasticus des mouvements introductifs ? Qu’importe. Il y a de tout chez Leclair, de la France et de l’Italie, une ligne d’une épure brûlante, une étreinte qui saisit l’auditeur et ne le lâche plus. C’en est presque dommage pour le continuo, éclipsé, anéanti par la maîtrise violonistique envahissante. Le clavecin de François Guerrier est capté de trop loin, tandis que le reste de la basse continue (violoncelle et basse de viole) n’est audible que sporadiquement. On se croirait dans un opus pour violon seul. Mais quel violon ! Ce Deconetti vénitien de 1764, clair et perçant dans les aigus, grainé et texturé, d’une raideur aristocratique sied à ravir à ce discours d’une noblesse rare, d’une richesse moirée, d’un scintillement insaisissable. Que de relief, de contrastes, d’affects ! Alors que ces partitions sont techniquement très pointues, les doubles cordes, les accords, les positions ardues, la complexité des articulations d’archet, tout cela est balayé par l’élan inspiré de l’artiste, sa fluidité solaire, son éloquence brûlante, sa profondeur noire, l’attente des respirations, le choc des croches, la poésie, la fantaisie. D’habitude nous aimons à décrire des mouvements, mais cette bourrasque spontanée et naturelle est si virevoltante, si plurielle, qu’on abandonne toute exégèse pour se laisser happer. Leclair était unique. Cet enregistrement incontournable l’est aussi. 

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : beaux timbres et violon très en avant et capté de près.

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 8 janvier 2024
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