Rédigé par 7 h 17 min CDs & DVDs, Critiques

A la pointe (Aubert, sonates pour violon, Ensemble Hemiola – Son an ero)

Jacques Aubert « le Vieux » (1689-1753)
« Jacques Aubert, virtuose de l’ombre »
Sonates pour violon et basse continue :
Sonata Quinta en ré mineur (Opus 3, 1737)
Sonata Decima en ré majeur (Opus 4, 1731)
Sonata Prima en mi mineur (Opus 2, 1721)
Sonata Quarta en sol majeur, Sonata Quinta en mi mineur, Sonata Sexta en ré majeur (Opus 25, 1738)

Ensemble Hemiola :
Patrizio Germone, violon Jacques Bocquay vers 1715-1720
Pierre Rinderknecht, théorbe
Claire Lamquet, violoncelle
Denis Comtet, orgue

François Grenier (†) , clavecin

1 CD, enr. novembre 2020 à l’église Saint-Léger de Gosnay, Son an Ero 20, 2022.

C’est un virtuose de l’ombre qui avait connu les Lumières : élève de Senaillé, violoniste à la Chambre du Roi en 1727, premier violon à l’Académie Royale de Musique entre 1728 et 52, publiant 25 opus de sonates pour violon, de plus en plus italianisantes si l’on en croit les notes de programme de Claire Lamquet, l’œuvre de Jacques Aubert, assurément originale et d’une grande qualité, se démarque de ses contemporains par sa personnalité forte : plus que des « Goûts réunis », l’on se trouve plongé dans une juxtaposition de style, mouvante et claire. L’on dit qu’il introduit le concerto grosso en France dès 1734. La ligne et les danses françaises (comme dans la noble Aria seconda de la Sonata Quinta de l’opus 3), un soupçon de Concerts Royaux couperiniens, des déchaînements de doubles croches tout italiens, des doubles cordes fougueuses, un beau cantabile, et puis de temps à autre, une grâce sophistiquée qui n’est pas sans rappeler Leclair. Mais oui, dès les opus précoces, il y a une claire influence ultramontaine, plus bouillonnante que l’équilibre solaire corellien. L’Ensemble Hemiola ne s’y est pas trompé, exhumant ce florilège exaltant qu’on doit au Covid et à la rencontre entre le soliste Patrizio Germione avec un Bocquay de vers 1715 aux sonorités grainées et rugueuses, assez grinçant dans les aigus et les harmoniques, mais doté d’une forte présence en particulier avec un très beau medium et medium aigu. 

Avouons que notre sonate préférée est aussi la plus ancienne du disque : la très belle Sonata Prima en mi mineur, très proche de Leclair. Voilà un Adagio doux et langoureux, où la mélodie sinueuse se déroule, accompagnée par le très sobre positif de Denis Comtet, et le violoncelle ample et mélancolique de Claire Lamquet, suivie d’une superbe Allemanda très inspirée et dont on s’étonne que tant d’énergie et d’inventivité soient capturés en 2 minutes 38 seulement d’une densité solaire. L’interprétation d’Hemiola est superlative : vive et virtuose, libre et lisible, d’une fluidité coulante mais d’une grande densité, et d’une complexité qui fait redécouvrir des inflexions à chaque écoute. En outre, la complicité forte des musiciens conduit à un bel équilibre sonore et rythmique qui préserve les parties de basse continue au rang de véritables partenaires, évitant un violon brillant mais évoluant en solo. L’Aria permet au regretté François Grenier d’égrener les perles du jeu de luth de son clavecin, tandis qu’une mélodie mélancolique et poétique ourle sa soierie pudique, à la fausse simplicité. Le Presto final est plus extraverti, avec ses bonds et son thème carré. Pour ne pas commenter sonate par sonate, mouvement par mouvement ce voyage qui nous porte de surprises en conquêtes, prenons l’autre extrême du spectre : la Sonata Sexta de l’Opus 25, constitue une œuvre tardive, en majeur, diablement virtuose et extravertie. Cela commence un peu en badinant sur les premières mesures de l’Allegro. Ma non tropo avait-on dit, mais de subtiles accélérations apportent un peu de relief, et le pouvoir de ces répétitions, de ces arpèges est tout à fait hypnotique. Il y a de tout : du Tartini, du Vivaldi jeune et un peu coréllien, mais effectivement, l’influence française devient de moins en moins perceptible, si ce n’est la beauté élégante de certains phrasés. On passera sur les souriantes Gavottes, pour admirer la merveilleuse chaconne (pardon « Ciaconna ») conclusive, touffue et fleurie, pas décorative pour un sou, d’une originalité fulgurante.

Un seul regret : mais où est donc passé le théorbe de Pierre Rinderknecht ? Englouti dans la prise de son ? L’on avoue qu’à moins de pousser le volume indûment, ou de tripatouiller la balance sur le spectre sonore, son accompagnement est assez invisible. 

 

 

Viet-Linh Nguyen

 

Technique : Très belle captation, aérée, précise et équilibrée. 

 

 

 

Étiquettes : , Dernière modification: 2 novembre 2023
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