Rédigé par 21 h 20 min CDs & DVDs, Critiques

Un médaillé olympique

À sa parution, en 2000, une pluie de récompense tomba sur cet enregistrement : Prix International du disque Cannes Classical Awards 2001, 13ème Grand Prix du disque de l’Académie Charles Gros, Recommandé par Classica-Répertoire, Choc du Monde la Musique, Diapason d’Or, et 5/5 dans Opéra International.

Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)

Dardanus (1739)

John Mark Ainsley (Dardanus) ;  Véronique Gens (Iphise) ; Laurent Naouri (Anthénor) ;  Jean-Philippe Courtis (Isménor) ;  Russell Smythe (Teucer); Mireille Delunsch (Vénus) ;
Magdalena Kožená (Une Bergère, 1ère Phrygienne, un Songe) ;  Françoise Masset (L’Amour, un Plaisir,
2nde Phrygienne) ;  Jean-Louis Bindi (Un Phrygien) ; Jean-François Lombard, Marcos Pujol (Deux Songes) .

Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski

2 CDs, Archiv, 2000

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À sa parution, en 2000, une pluie de récompense tomba sur cet enregistrement : Prix International du disque “Cannes Classical Awards 2001”, 13ème Grand Prix du disque de l’Académie Charles Gros, Recommandé par Classica-Répertoire, Choc du Monde la Musique, Diapason d’Or, et 5/5 dans Opéra International. Et nous ne nous désolidariserons pas de nos confrères : il faut dire que la distribution est somptueuse, réunissant ce qui se fait de mieux en matière de tragédie lyrique, avec des seconds rôles qui rivalisent d’excellence avec les premiers.

Pour commencer par le commencement, la direction de Marc Minkowski est exemplaire : sans précipitation, sans temps mort, la fluidité est exemplaire. Les couleurs sont variées et délicates : du brutal et martial (« Mars, Bellone ») au doux (« Volez, plaisirs, volez »), en passant par le léger (le Premier Rigaudon de l’acte I) et le grave (« Vous, dieux cruels » du Prologue), la lamentation douce (« Cesse, cruel amour »), mélancolique (« Ô jour affreux »), ou désespérée (« Lieux funestes » issu de la version remaniée de 1744) et même les abstractions les plus subtiles comme l’inutile vanité d’Anthénor (le Prélude à « Princesse, après l’espoir dont j’ose me flatter ») ou l’implacabilité du destin (« Monstre affreux »)… Il serait en fait impossible de tout détailler. Ceci sans rien dire du chœur qui épouse parfaitement l’orchestre : il faut goûter l’agressivité d’un « Allez, et remportez… » qui aboie presque, autant que la réjouissance simple de cette reprise des Niais de Sologne, « Paix favorable ».

Tout ce qu’on a dit de Minkowski est valable pour les solistes. Ainsi, Russell Smythe est un Teucer noir, brutal, franchement odieux, mais impuissant, et la moindre de ses répliques s’en ressent (entendez sa surprise à l’acte V : « C’est Dardanus »). À Isménor, Jean-Philippe Courtis offre un timbre profond qui convient parfaitement à un magicien. Mireille Delunsch n’est pas sous-distribuée : Vénus apparaît de nombreuses fois dans l’œuvre, et elle commande en particulier la sublime scène du sommeil de l’acte IV ; nous avons là une Vénus charmante, délicate, mais déesse tout de même : le timbre est bel et bien celui d’une divinité, il impose.

Iphise est le seul grand rôle féminin de la partition. Il faut saluer Véronique Gens d’avoir su faire d’un rôle peu original et varié un personnage aussi subtil : les plaintes, nombreuses, ne sont pas vaine répétition, et les récits sont impeccables. Le timbre se prête à merveille à cette petite femme tourmentée, mais jeune et pas encore désespérée.

Laurent Naouri est parfait en Anthénor : de son entrée, déjà citée (« Princesse, après l’espoir ») à la dernière scène (dans laquelle il veut se percer de son épée), en passant par la page d’anthologie qu’est la scène du monstre, le personnage évolue, tout en nuances : d’abord orgueilleux, finalement désespérée, il passe aussi par la reconnaissance, certes un peu trop empressée pour être pleinement noble, la tristesse amoureuse, la fureur, etc. Loin d’être le seul bras de Teucer, on finit même par se demander s’il est vraiment si méchant que ça !

Si le nom de John Mark Ainsley n’inspire pas immédiatement confiance, il faut se rassurer : son incarnation de Dardanus est magnifique. Le grave est assuré, l’aigu éclatant, il maîtrise lui aussi les nuances, et son interprétation de l’air « Lieux funestes » touche au sublime : la voix se fait le reflet de la désolation du paysage et de l’âme du personnage ; on comprend bien que Minkowski ait tenu à ajouter cette page de 1744 à la version de 1739, quand bien même elle est du coup hors de la construction dramatique, entre les actes III et IV. La noble assurance de « N’en doute point : c’est Dardanus lui-même » (acte V, réponse à la réplique citée de Teucer) laisse clairement entendre la faiblesse de ses adversaires. Ce qui n’empêche pas une grande douceur, pleine d’espoir, à l’acte IV, avant la scène du monstre (« Où suis-je » et « Hâtons-nous », avec un aigu splendide et des vocalises parfaites).

Avec tout cela, des récitatifs animés – que dire du silence d’Iphise et de l’horreur d’Anthénor à la scène 2 de l’acte III ? – et un sens du drame évident.

Nous ne pourrions finir sans ajouter que la présence de Magdalena Kožená illumine tout simplement l’enregistrement : ses quelques interventions sont magiques, et si Minkowski nous donne une si belle scène du sommeille, avec des flûtes d’une grande douceur, des cordes hallucinées, Magdalena la rend définitivement inoubliable, de même que son petit air « Volez, plaisir, volez ». Il faut saluer l’intelligence du chef de l’avoir si bien distribuée !

Vous l’avez compris : il s’agit là d’un enregistrement que toute discothèque ramiste se doit de posséder, et que les autres feraient bien d’acquérir aussi !

Loïc Chahine

Technique : bon enregistrement, aucune remarque particulière

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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