Rédigé par 15 h 48 min CDs & DVDs, Critiques

La Mort Apprivoisée (Tuma, Biber, Pluto Ensemble, Marnix de Cat, Hathor Consort, Romina Lischka – Ramée)

Animam gementem cano
Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704), Requiem in F minor
Johann Heinrich Schmelzer (c.1620-1680), Sonata IX in G major
Andréas Christophorus Clamer (1633-1701), Partita I in E minor
Heinrich Ignaz Franz Biber, Sonata VIII à 5 in G minor
František Ignác Antonín Tůma (1704-1774), Stabat Mater in G minor


Ensemble Pluto, direction Marnix De Cat
Hathor Consort, direction Romina Lischaka
1 CD Ramée, 2020 61′.

La mort s’apprivoise-t-elle ? Du moins est-il certain que musicalement elle s’approche avec autant de révérence que de parcimonie et convenons que dans les deux formes stylistiques que sont le Requiem et le Stabat Mater, si nombreux furent les compositeurs à y déployer l’acmé de leur style, rares sont ceux s’étant par deux fois au cours de leur carrière penchés sur le même exercice. C’est donc avec un œil d’emblée curieux que nous nous pencherons sur le programme de cet enregistrement, présentant l’un des deux Requiem de Heinrich Ignaz Biber, et l’un des possiblement cinq Stabat Mater de Frantisek Tuma, ces deux compositeurs dont on présente plus le premier se montrant particulièrement prolixes en matière de composition de musique religieuse.

De Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) nous connaissons peut être plus son Requiem en La Majeur, composé en 1687 et notamment gravé par Ton Koopman voici une trentaine d’années chez label Erato. Biber faisait étalage de sa technique, assurée, et de son style, parfois empreint de quelques boursouflures dues à un usage rutilant des trompettes. Mais que voulez-vous, dans des Requiem plus contemporains, il y en aura toujours pour préférer Verdi à Fauré et nous serions vites las de dresser des bûchers ! Récidivant dans l’exercice du Requiem en 1692 alors qu’il est maître de chapelle du Prince-Evêque de Salzbourg, Biber délivre une composition pour 14 voix, trombones et bassons, toute disposée à retomber dans les quelques errements trop curiaux et pompeux  de la grandiose première mouture. C’est tout à l’honneur de Marnix de Cat à la tête de l’Ensemble Pluto et de Romina Lischka à la direction du Consort Hathor de nous éviter ces tourments en délivrant une interprétation sensible, claire, aussi mesurée qu’équilibrée, redonnant au requiem tout son caractère méditatif et introspectif, ne succombant jamais aux charmes vénéneux d’une extériorisation tapageuse. L’Introït, d’une grande solennité, entremêlant harmonieusement chœurs féminins et masculins soutenus par les cordes est un ravissement auquel succède un Dies Irae enlevé, léger et dynamique, d’aucuns diront mozartien. Si l’Offertorium s’avère plus classique et que les interprètes doivent rivaliser de leur immense talent pour tempérer le goût de l’emphase du compositeur, l’Osanna et l’Agnus Dei, rythmés et légers servent à merveille une mise en majesté de la mort du meilleur goût.

S’éveillant l’année ou Biber s’éteint, soit en 1704 Frantisek Tuma, originaire de Bohème comme Biber s’adonna pas moins de cinq fois à la mise en musique du poème de Jacopone da Todi. Cette œuvre en sol mineur saisie d’emblée par le larghetto du Stabat Mater, magnifique duo pour ténor et basse, superbe de symbiose et accompagné justement et sans effet superfétatoire par les deux violons. Viendra répondre à cette entrée en matière un duo pour soprano et alto (Quis est homo qui non fleret) offrant une mélodieuse progression harmonique propre à ravir nos oreilles. Une mise en majesté de l’épure et de la pureté faisant de cet air un sommet certain du présent enregistrement. Ancien élève de Johann Joseph Fux, Frantisek Tuma sait également se remémorer les leçons de contrepoints de ce dernier, nous gratifiant en fin d’œuvre d’une jolie fugue laissant espérer que les années à venir voient la discographie consacrée aux œuvres sacrées de ce compositeur s’étoffer, cette dernière apparaissant encore par trop partielle pour révéler toutes les facettes d’une œuvre pour le moins séduisante.

Feuille de couverture de la Mensa Harmonica de Andrea Christophoro Clamer.
Source. Wikimedia commons

Enchâssés par les deux sommets que représentent le Requiem de Biber et le Stabat Mater de Tuma, d’autres œuvres viennent tisser un trait d’union entre celles-ci et apporter quelques exemples intéressants de la musique viennoise et salzbourgeoise de la toute fin du dix-septième siècle. C’est notamment le cas du compositeur Johann Heinrich Schmelzer (c.1620-1680), violoniste virtuose de son état, compositeur prolixe et professeur de composition de Léopold 1er. La neuvième sonate en sol majeur proposée ici et toute dévolue aux cordes enchante par son ton léger, presque badin, dans laquelle le violon, dansant et parfois fuguant, parfois plus solennel, soutenu soit par une viole de gambe ou par un autre violon. Une musique comme un instantané frais et réjouissant.

Andreas Christophorus Clamer (1633-1701) apparaît comme nettement plus confidentiel, même si il apparaît à compter de 1682 comme chargé de la direction et de la formation musicale des enfants de chœur de la cathédrale de Salzbourg, et qu’il publie la même année son recueil Mensa harmonica pour deux violons, viole de gambe et basse continue, dont est ici présentée la Partita I. Celle-ci peut surprendre à plus d’un titre, tout d’abord par le caractère solennel, empreint de gravité du très joli lamento d’entrée, offrant un aspect pour le moins mélancolique et plaintif, avant que la mélodie ne s’épanouisse dans le second mouvement, le violon, élégiaque, traçant son propre développement, dialoguant avec les autres cordes dans des tonalités de gigue festive contrastant harmonieusement avec la sobriété froide des premières mesures. Assurément une curiosité à découvrir.

C’est donc bien l’aspect éphémère de l’existence qui est mis en majesté tout au long de cet enregistrement, au travers d’œuvres toutes tirées des archives de la cour de Léopold 1er (1640-1705) et remises en lumières à la fois par le nécessaire travail de chercheur et de dénicheur de Marnix de Cat et la cohérence qu’il insuffle à ses musiciens, ceux de l’ensemble Pluto et du Hathor Consort dirigé par Romina Lischka, faisant de cet enregistrement une incontestable réussite.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , Dernière modification: 30 avril 2022
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