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Tic toc choc (Bach, Variations Goldberg, Julien Wolfs – Flora)

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
Variations Goldberg BWV 988,
“Aria avec différentes variations pour clavecin à deux claviers” (4e partie du Clavier-Übung)

Julien Wolfs, clavecin Jonte Knif & Arno Pelto (2004),
d’après des modèles allemands

1 CD Digipack, XX’, Flora

Après celles de Jean-Luc Ho (L’Encelade), voici des Variations Goldberg infiniment différentes que nous livre Julien Wolfs. Ce qui frappe d’emblée, c’est la fluidité, la liberté, le soin apporté aux enchaînements entre les mouvements. Le musicien insiste d’ailleurs dans sa note d’intention sur un aspect trop peu mis en avant, les indications précises de liaison entre les mouvements (point d’orgue ou enchaînement selon les indications portées sur l’exemplaire personnel imprimé de Bach découvert en 1974). Il les a mûries lors du festival Musique et Mémoire et en grave ici une version personnelle et bien tempérée.

On goûte avec gourmandise cette vision déliée et très articulée, d’une précision cristalline, d’une clarté et d’un détachement couplés à une ductilité souple, qui n’est pas sans… rappeler Glenn Gould (dans ses enregistrements de 1955 ou 1959) en plus poétique, plus lyrique, plus calme, mais avec un note à note égrené mais non systématique très caractéristique. Le clavecin de type germanique sonne un peu étroit, et ces Goldberg manquent un peu de texture orchestrale. Elles compensent cela par une intimité, une immédiateté jouissive, une sorte de détente mélodique, des aigus qui pétillent doucement, en grappes dorées, des trilles au cordeau. Certes les insomnies du Comte de K. soignées par quelques vignettes  sont sans doute une légende, mais l’interprétation naturelle, rigoureuse sans raideur de Julien Wolfs, sa lisibilité polyphonique, une main gauche très affirmée mais coulante, ce jet virtuose sans narcissisme, apporte un vent de fraîcheur, et un regard décomplexé, presque juvénile. C’est beau. Et d’une honnêteté désarmante.

Prises individuellement, certaines des 30 variations sont plus convaincantes que d’autres, mais encore une fois Julien Wolfs aborde le cycle comme un tout, et insiste sur les interconnexions, le parcours sonore, tantôt souriant, tantôt excitant, parfois serein. L’Aria dénote une respiration pensive, presque rêveuse, le tempo mesuré. La Variation 2 est ferme sans nervosité, et sans trop insister sur sa verticalité, les doubles croches très pédagogiques, chacune sculptées, assénées, délivrées, presque rieuses ; la Variatio 3 claudicante et presque un brin française dans sa mignardise de portraitiste. A l’image de ce cabinet de Gérard Dagly qui orne avec raffinement la jaquette, avec son décor de chinoiseries exotique, ses multiples cachettes, Julien Wolfs livre un panorama miroitant et varié, et l’on aimerait ouvrir un à un les tiroirs : la Variation 11 bruisse comme une onde changeante, la Variation 12 avec son canon un peu docte est déclamée avec emphase puis avec une pointe de componction que la tendresse de la Variation suivante absout. Le canon de la Variation 18, l’une de nos favorites, sautille avec espièglerie, le rythme pointé aussi insouciant qu’un écolier sur ses chemins de traverse. Certes, on regrettera que la Variation 21 manque de graves et d’assises, et que la transparence de son canon se fasse didactique au détriment du mouvement. De même, si la 23 croque sous la dent (la faute à un tempérament bien choisi), une sorte d’insistance prussienne amidonnée la dessert quelque peu. En revanche, les méandres mystérieux de la vaste Variation 25, d’une beauté froide, d’une psychologie profonde, sont remarquablement esquissés, avec une douleur nostalgique digne de leçons de ténèbres. La 27 préfère l’abondant clapotis mélodique à la main virilité d’une main gauche trop discrète, le Quodlibet est pris d’un pas de sénateur en pause post-prandiale, et voici soudain, déjà et enfin, le retour de l’Aria, languissante et abandonnée.  

Ce n’est pas une version qui apaisera, car son sourire optimiste et didactique attire l’attention, scintille de croches en croches, inonde de clarté certaines tournures qui seront quelquefois plus introspectives chez d’autres artistes (Blandine Rannou chez ZZT), plus densément complexes (Staier – Harmonia Mundi) ou plus nerveuses (Scott Ross – la version Erato). Il manque peut-être de la vélocité rageuse, du noir de carbone et de l’intériorité à ces Goldberg, mais leur discours cohérent, talentueux et respirant en feront une admirable promesse de l’aube plutôt qu’un compagnon du crépuscule.

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : enregistrement clair et précis, manquant un peu de réverbération.

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 24 novembre 2023
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