Rédigé par 22 h 57 min Concerts, Critiques

Génie du lieu (Charpentier, Desmarest, Te Deum – St-Louis des Invalides, 16 novembre 2023)

Pierre Gobert, Portrait de Melle de Blois (détail) – Musée départemental de Sceaux, cliché MB 2023

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704)
Te Deum en ré majeur H.146

Henry DESMAREST (1661-1741)
Usquequo Domine « de Lyon »
Te Deum « de Lyon »

Eugénie Lefebvre, soprano
Cécile Achille, soprano
Amandine Trenc, soprano
Julia Beaumier, soprano
Stephen Collardelle, haute-contre
Branislav Rakic, haute-contre
Clément Debieuvre, taille
François-Olivier Jean, taille
Etienne Bazola, basse-taille
Jean-Christophe Lanièce, basse-taille
François Joron, basse-taille
Thierry Cartier, basse-taille

Ensemble Les Surprises
Direction Louis-Noël Bestion de Camboulas, direction

Cathédrale Saint-Louis des Invalides,
Jeudi 23 Novembre 2023,

Reconnaissons que le charme du lieu n’est souvent pas étranger à la réception de l’œuvre que nous venons y écouter. On évoque le Génius Loci latin, ou plus démotiquement parlant ce Génie du Lieu si cher à Michel Butor qui consacra au concept un essai aussi fondamental que quelque peu oublié. Mais ne digressons pas et soulignons qu’entendre deux Te Deum dans le cadre aussi intime que chargé de sens de la Cathédrale Saint-Louis des Invalides, décuple le plaisir pris à cette écoute de ce double programme donné par Les Surprises, un concert que nous avions pu déjà apprécier au début du mois de février, donné au sein de l’auditorium du Musée du Louvre.

Louis-Noël Bestion de Camboulas et son ensemble y ressuscitent ce Te Deum dit « de Lyon », œuvre inédite de Henry Desmarest (1661-1741), ou du moins inédite jusqu’à sa recréation par l’ensemble il y a de cela un peu plus de deux ans. Une nouveauté donc, qui associée à l’Usquequo Domine dit aussi « de Lyon » est mise en regard du bien plus connu des Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, le H146, dont les premières mesures, puissantes et tonitruantes, furent rendues mondialement célèbre en leur qualité de générique de l’Eurovision.

Ce soir comme en février, l’on admire cette intelligente mise en miroir des deux œuvres aussi plaisantes qu’éclairantes. La baguette du chef souligne les influences croisées et les similarités : les deux œuvres semblent s’influencer et se répondre : un même effectif certes, mais que de divergences musicales, que de styles différents ! Au jeu, peut-être un peu vain des comparaisons, le Te Deum de Desmarest s’avère une véritable révélation. L’ouverture, dans la flamboyance de la trompette baroque et des timbales, n’a certes pas la grandeur affirmée et immédiatement reconnaissable de l’œuvre de Charpentier, mais la suite du Te Deum, qui selon certaines sources aurait pu être joué à Verdun lors du passage par la cité de Marie Leszczynska, venue en France épouser Louis XV, démontre la très grande richesse de composition de Henry Desmarest redécouvert avec ses grands motets lorrains ou sa Diane de Fontainebleau. Son Te Deum se révèle prompt à de grandes variations des effectifs vocaux et à un perpétuel jeu entre soliste et chœur, voix féminines et masculines. Inventif, Desmarest assimile l’héritage du motet d’Henry Du Mont (dont il fut l’élève à la Chapelle Royale de Versailles), dont en nous gratifiant de moments aussi plaintifs qu’extatiques dans lesquels les voix de soprane d’Eugénie Lefebvre, Cécile Achille et Amandine Trenc font merveille. L’on louera en particulier le dessus d’Eugénie Lefebvre, dont le timbre clair et la diction précise n’ont d’égal que la présence scénique, emmenant l’œuvre vers d’heureux sommets expressifs, que tempèrent les accents plus légers de Cécile Achille. Henry Desmarest nous gratifie aussi dans ce Te Deum d’un très beau trio de voix masculines, à l’allant savamment maîtrisé dont nous retiendrons la prestance assurée de Etienne Bazola. Au passage, le surnom « de Lyon » se réfère non à un éventuel passage du compositeur dans la capitale des Gaules, mais simplement au fait que c’est dans cette ville qu’une partition de l’œuvre fut retrouvée, tout comme celle de cet Usquequo Domine, plus classique dans sa composition, que Louis-Noël Bestion de Camboulas exécute en préambule au Te Deum.

En regard, le Te Deum de Charpentier, sans doute antérieur de dix à vingt ans apparaît plus classique, plus sage, bien structuré en segments qui conduisent à une alternance entre moments dévolus aux solistes et chœur parfois un peu plus mécanique et plus figée que chez Desmarest. Pourtant, Charpentier, en habile compositeur, sait ménager de très beaux moments, à l’exemple de ce Te per orbem terrarum pour voix masculines ou des très structurés Dignare, Domine et Fiat misericordia tua, pour voix de dessus et basse. Peut-être l’avons-nous trop entendu, ce Te Deum, et la fraîcheur plus fluide de Desmarest nous a davantage charmé.

Eugénie Lefebvre © Petrus

Visiblement très à l’aise dans un répertoire qu’il contribue à mettre en lumière, et avec une distribution quelque peu modifiée par rapport au concert du mois de février, Cécile Achille succédant à Jehanne Amzal, Louis-Noël Bestion de Camboulas démontre une fois encore sa parfaite connaissance d’un répertoire musical sacré de la fin du dix-septième siècle, prenant un plaisir palpable à exécuter et à présenter à son public les deux œuvres de la soirée. Deux compositeurs réunis autours d’un même genre et ce soir dans un même lieu, La Cathédrale des Invalides, dont on soulignera avec un rictus entendu quelques corrélations entre cette dernière et la vie de nos deux musiciens, Charpentier naissant en 1643, année de début de règne de Louis XIV, dont on sait qu’il ordonna la construction des Invalides et ne gracia jamais Henry Desmarest, coupable aux yeux de la justice française pour ses amours avec l’ancillaire Marie-Marguerite de Saint-Gobert, contraignant le compositeur à un exil lorrain durable. Entendre son Te Deum de Lyon (à ne pas confondre avec son autre Te Deum, dit « de Paris », œuvre de jeunesse) au sein même d’une cathédrale par essence Louis-Quatorzième s’avère un délicieux petit plaisir que l’on pourra bientôt prolonger chez soi : le concert de ce soir précède la sortie de l’enregistrement de ces deux œuvres par Les Surprises, début janvier 2024. Et c’est avec le plus grand naturel que Les Surprises concluent le concert avec une autre courte œuvre de Henry Desmarest, l’appréciable Chœur du Sommeil, avant de rendre le public à la solitude souveraine de la déserte cour des Invalides.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

 

 

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