Le Te Deum, ou l’exaltation de la gloire du monarque
Adapté de l’exposé oral sur le Panorama introductif de la musique baroque religieuse française depuis la seconde moitié du XVIIème siècle à l’aube du Siècle des Lumières proposé dans le cours-séminaire de J-C.Marti, B.Moysan et L. Schnapper Temps politique & Temps musical donné le 04/03/2002 à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
Un Etat de guerre
La société du XVIIème siècle est une société en guerre permanente, une société de guerre. La paix, exceptionnelle, n’est qu’une trêve où l’on renforce les forteresses et où l’on rééquipe les troupes. « Durant la quarantaine d’années qui séparent l’invasion de la Hollande en 1672 à la mort de Louis XIV en 1715, l’Europe occidentale n’a été en paix qu’entre 1797 et 1701. Dans son ensemble, en comptant les conflits où la France n’a pas convié ses lys, on distingue seulement 4 années sans guerre entre 1610 et 1714 : 1669, 1670, 1671, 1681.» (J.-P. Rorive in La Guerre de Siège sous Louis XIV, ed. Racine)
Loin de l’idée d’un roi orgueilleux mettant l’Europe à feu et à sang pour continuer à élever des portraits en pieds avantageux, la guerre est un outil politique, pas seulement la « continuation » de celle-ci mais un moyen normal de la conduire. En usant d’un anachronisme, on peut dire que la France mène une politique de puissance appuyée sur l’économie, les arts et l’armée. Retour à la souveraineté: « la guerre fonde la légitimité, fortifie le pouvoir, magnifie la fonction » (J-P. Rorive).
- Guerre de dévolution 1667-1668
- Guerre de Hollande 1672-1679
- Guerre de la Ligue d’Augsbourg 1688-1697
- Guerre de Succession d’Espagne 1701-1715
Le Te Deum, hymne de louange (Te Deum laudamus) attribué à Saint-Ambroise joue un rôle liturgique mais surtout politique et cérémoniel. Dans ce contexte de fusion de l’Eglise et de l’Etat en la personne du « Lieutenant de Dieu sur terre », le Te Deum, grand motet par excellence, ponctue la vie publique, célébrant mariages, baptêmes, guérisons, et surtout…victoires.
Notre-Dame, cathédrale de l’archevêché de Paris est alors le siège des célébrations qui ont lieu le même jour dans toutes les paroisses du royaume (évidemment l’ampleur n’est pas la même). Les drapeaux pris à l’ennemi sont pendus à la voûte. Des décors éphémères sont crées pour l’occasion. La fine fleur du royaume est présente en habits de cérémonie, le trajet vers la cathédrale permet au peuple d’admirer son monarque accompagné par la « Maison du Roy » en uniformes éclatants.
Du côté du Contrôleur général des Finances
La musicologue Patricia Ranum propose en anglais sur son site une très intéressante analyse de la réalisation du Te Deum de Charpentier, le 8 Février 1687, afin de célébrer la guérison du Roi en l’église de l’Oratoire, près le Louvre. (cf. http://www.ranumspanat.com/tedeum_academy.html). Cette initiative de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture (qui occupait justement l’ancien palais royal parisien) permet de se rendre compte que la musique ne constituait qu’une infime partie du spectacle. Peintures, tapisseries, décorations éphémères, illuminations, le Te Deum est une véritable fête qui en impose au peuple.
Les préludes : véritables fanfares militaires
Pour finir, étudions quelques préludes de Te Deum de l’époque:
- Lully
C’est en rejouant cette œuvre crée en 1677 à la tête de 150 musiciens que Lully se donna le fatal coup de canne. C’est le temps d’Atys et d’Isis, des tragédies somptueuses, encore expérimentales. « L’œuvre appelle à la pompe et aux grand moyens ». Ce prélude est composé dans le style des ouvertures de « tragédies mises en musique ». C’est-à-dire selon le schéma suivant: introduction lente et majestueuse, seconde partie rapide au traitement imitatif, parfois suivie d’une courte reprise de la première partie. La présence de tambours, trompettes et timbales donne au tout un climat plus que guerrier.
- Charpentier [H 146] pour célébrer la victoire de Steinkerque en 1692 [H 146]
Même structure pour une œuvre qui est certainement familière à tous grâce à l’Eurovision. Notez le son particulier des trompettes naturelles non munies de pistons. Les notes (harmoniques) se font en modulant le souffle et en obstruant plus ou moins l’ouverture avec la main. [AA’ BAC AA’]
- Delalande
Ibidem encore. Notons pour confirmer le caractère profane de ce qui constitue une véritable fanfare militaire que ce prélude été repris dans les simphonies pour les soupers du Roy dumême compositeur. Simphonie signifie « courte pièce instrumentale » à cette époque. Elle va peut à peu prendre de l’ampleur (passacaille d’Armide) jusqu’à devenir ce que nous désignons aujourd’hui sous ce vocable.
Une grande diversité de climats
La succession des versets permet en outre une grande diversité de climats: Grandiose dans le Te Deum laudamus, céleste avec les Tibi cherubim et seraphim, majestueux dans le fameux Pleni sunt caeli et terra majestatis gloriae tuae qui devient ambigu ainsi que dans le Patrem immensae majestatis, proches des lamentations dans le Salvum fac populum et le dignare Domine, joyeux enfin dans le In Te , Domine, speravi.
Composé à la gloire de Dieu et du Roy, le Te Deum use parfois de procédés proches de ceux de l’opéra. Voyons donc les rapprochements que l’on peut faire entre musique profane et sacrée. Notons d’abord que le motet se fait avec des versets. Il n’y a donc pas dialogue comme dans un livret d’opéra entre différents personnages même s’il arrive que l’on trouve des propos rapportés.
L’in te domine speravi de Charpentier est un vaste chœur entrecoupé par un bref passage de solistes qui se rapproche beaucoup de l’écriture du chœur victorieux de sa tragédie en musique David et Jonathas.
Celui de Delalande est exemplaire. Le chœur répète la même phrase musicale mais à chaque fois, la masse s’étoffe de nouvelles parties et l’on joue crescendo, de plus en plus fort et avec de plus en plus de voix, somme…Le chœur martèle sans cesse le non confundar in aeternum.
(puissé-je ne pas être perdu à jamais : le cri de la foi) et on insiste sur le aeternum grâce aux mélismes[2].
Par Viet-Linh Nguyen
Discographie choisie
(sont donnés dans l’ordre le compositeur, le nom de l’œuvre et les interprètes)
Grands motets
- Jean-Baptiste LULLY, Grands motets, Le Concert Spirituel, Hervé Niquet, 3 CDs.
- Michel-Richard DELALANDE, Te Deum (et autres motets), Les Arts Florissants, William Christie
- Marc-Antoine CHARPENTIER, Te Deum (et autres motets), Musica Polyphonica, Louis Devos [excellent enregistrement d’Hervé Niquet également, éviter Minkowski et Christie]
[1] Muse de la Musique
[2] Groupe de notes chantées sur une même syllabe d’un texte.