« Vive le cor de postillon, c’est mon symbole » (S. Kierkegaard)
SONNE, SONNE, COR DE POSTILLON !
ES RUFT DAS POSTHORN!
Michel Corrette : « Le courier » (extrait du Premier Livre de pièces de clavecin)
Francesco Maria Veracini : Sonata prima a violino solo a basso opus 1
Louis de Caix d’Herveloix : « La Diligence » (extrait du Livre I des Pièces de violes)
Jean-Sébastien Bach : Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo BWV992 (1704)
François Duval : Rondeau « Le Courier » (extrait des Idées musiciennes, 1720)
Antonio Vivaldi : Concerto o sia il Corneto da Posta RV 363
Reinhardt Keiser : Prologo Aria vivace (extrait du Kayserliche Friedens-Post, 1715)
Johann Samuel Endler : cantate Der Raritaeten Mann (1747)
Georg Philipp Telemann : « Les Postillons » (extrait de a Suite TWV55D:18)
Jac Nam (1881-1974) : « Le Postillon » (extr. des Chansons de mon village, 1921)
Bonus sur le site : Johann Beer : Concerto a 4 ; Josse Boutmy : Le Postillon allemand
Ensemble Artifices :
Alice Julien-Laferrière : violon et direction artistique
Romain Bockler : chant
Jean-François Madeuf & Jean-Daniel Souchon : cor de postillon, trompette et cor de chasse
Yoko Kawabuko, violon
Xavier Sichel, alto
Cécile Vérolles, violoncelle
Kazuya Gunji, clavecin
Agustin Orcha Mata, contrebasse
Philip Tarr, timbales
1 pochette comprenant 15 cartes, 2 marques-pages et un poster, bonus vidéos sur le site du label, Seulétoile, 59′.
Comme à l’accoutumée avec Seulétoile, le produit est soigné aux petits oignons, et encore plus surprenant que les livres-disques précédents. Voici un étui qui comporte 15 cartes de tailles différentes sur carton épais, 2 marques-pages, un poster représentant une carte du Saint-Empire Romain Germanique, et puis un CD, cela va de soi. Il y a aussi un guide qui permet de déduire l’ordre de lecture de cette boîte aux trésors, en bilingue français-allemand s’il vous plaît. Mais de quoi s’agit-il ? D’un projet un peu fou – qui donna récemment lieu à un concert au Musée de la Poste – autour du cor de postillon. Kesaco ? Eh bien souvenez-vous ce petit cor enroulé qu’on trouve sur les logos postaux de bien des pays ? Sans doute vous êtes-vous demandés pourquoi le choix d’un tel signe et non pas d’une lettre, d’une malle de poste, de chevaux ailés ?
Eh bien parce que ce posthorn germanique (qui fait l’objet de l’enregistrement et ne doit pas être confondu avec un cornet de postillon français tel que cité dans le Furetière) était un instrument typique, très petit, jouant uniquement 2 notes à l’octave en si bémol, et dont les sonneries aigues et perçantes annonçaient les messagers. On laissera les auditeurs butiner de droite et de gauche dans les petites cartes informatives (on y trouvera même une carte postale de Bach envoyée à l’Ensemble Artifices :-)), de découvrir l’histoire de l’établissement des réseaux de postes en France et dans les pays germaniques et le monopole qui se constitua peu à peu au profit de la maison Tour & Taxis en terres d’Empire, d’apprendre que la figure du postillon, populaire et haute en couleur, se retrouve dans des pamphlets, œuvres de poètes, récits de voyage… L’intérêt double de cette entreprise est d’avoir reconstruit deux instruments grâce à l’inépuisable curiosité du trompettiste et corniste naturel Jean-François Madeuf et au facteur Patrick Fraize, en s’inspirant de rares exemplaires conservés, notamment celui de la Wallace Collection londonienne.
Imaginez-vous au crépuscule sur les routes mal entretenues d’outre-Rhin, une aigrelette et si reconnaissable sonnerie retentit, et voici qu’avec morgue le postillon impérial passe à toute allure, obligeant les équipages à se ranger, libre de franchir les octrois sans acquitter de droits, traversant les cités même de nuit et faisant ouvrir les portes… Il n’est ainsi pas si surprenant (mais cela nous était totalement inconnu) que des musiciens se soient saisis du motif de cette octave si reconnaissable pour en barioler des œuvres qu’on trouvera rassemblées ici, mais aussi sur le site Internet du label qui comporte notamment un magnifique concerto pour cor et cor de postillon (vidéo ci-dessous) qui aurait eu toute sa place sur le disque…
Ainsi donc, et à notre relative déception, l’on entendra pas tant que cela le fameux cor de postillon sur le disque, aux possibilités musicales certes limitées, mais plutôt des œuvres où l’octave caractéristique sert de motif, ou bien autour du motif du personnage du courrier ou du motif de la diligence. Et ce n’est pas rien d’avoir réussi à rassembler ce remarquable programme thématique surprenant et cohérent, où l’on découvre que nombre de compositeurs (et non des moindres) s’attachèrent à ce phénomène postal si attachant. Certes, la qualité des œuvres et très inégale, et beaucoup fonctionnent à la manière d’autant de clins d’œil affectueux. Le Caprice de jeunesse de Bach fait penser à son Quodlibet au regard amusé, tout comme la truculente cantate d’Endler fait songer à celle du Café. L’Ensemble Artifices s’adonne à ce répertoire avec un naturel sans prétention, s’adonne à l’art aimable du portrait et de la conversation avec un premier violon ductile et grainé d’Alice Julien-Laferrière émergeant d’un accompagnement plus discret et moins engagé, notamment un soutien harmonique peu présent (ou capté de trop loin). Certaines œuvres sont hélas transposées : le noble Diligence de Louis de Caix d’Hervelois perd sa puissance d’évocation en passant de la viole au violon malgré un phrasé bien sautillant (l’on préfèrera l’interprétation de promeneur rêveur de Savall chez Auvidis). Se distinguent heureusement les œuvres plus ambitieuses de Veracini au discours ourlé et virtuose, et de Vivaldi qui pâtit des petits effectifs mais se montre d’une inventivité solaire et poétique dans un concerto très original. Enfin, le concerto extraverti, rutilant et optimiste de Johann Beer, disponible uniquement en video, où Jean-François Madeuf alterne avec brio au cor de postillon et au cor naturel (sans correction pavillonnaire) se révèle un point d’orgue brillant et fier à cette expédition passionnante.
Viet-Linh NGUYEN
Technique : enregistrement précis avec le violon et les cuivres (cor de postillon ou trompette) très en avant et un environnement assez sec.
Étiquettes : Jean-Sébastien Bach, Julien-Laferrière Alice, Keiser Reinhardt, Muse : argent, Seulétoile, Telemann, Vivaldi Dernière modification: 17 avril 2022