L’obscure maladie du génie
Rembrandt fecit 1669
Film de Jos STELLING
1977 – 1h51 – couleur – Pays-Bas
Pour le 400ème anniversaire de la naissance de Rembrandt, le film de Jos Stelling, sorti en 1977, réapparaît fugitivement sur les écrans en copie neuve, et a fait l’objet d’une parution DVD en novembre 2006. Il était temps.
Le Rembrandt de Jos Stelling est assurément un film étrange. Un film pratiquement muet, puisque les dialogues, paroles laconiques arrachées de temps à autres, doivent constituer environ 30 % de la durée totale du film.
Rembrandt fecit 1669 raconte de manière silencieuse et elliptique quelques épisodes de la vie du Maître. Son arrivée à Amsterdam, son caractère bougon, sa faveur puis sa solitude, ses démêlés financiers et amoureux. Surtout, le film de Jos van Steen est un hommage à la peinture. Chaque plan est conçu comme un tableau du XVIIème siècle, recréant l’univers de Rembrandt, Metsu, Vermeer, La Tour ou Le Caravage. Les tableaux de Rembrandt qui apparaissent dans le film sont des originaux, et la majeure partie du mobilier a été prêtée par divers musées ou antiquaires. Impensable aujourd’hui, ne serait-ce que pour des questions d’assurance…
Filmé à travers un vieux miroir craquelé avec une ouverture de diaphragme maximale, éclairé à la bougie et la lampe de poche, le long-métrage parvient à produire l’impression troublante de marcher dans un tableau à chaque plan. Que de fois nous-sommes nous demandé si le fond de la pièce avec ces enfilades de pièces carrelées était un simple panneau en trompe-l’œil ou une angle de caméra génial ! C’est à ses moments qu’une servante silencieuse, s’avançant dans l’imposte, confirme qu’il s’agissait bel et bien d’une autre salle. Contrairement à certains films esthétisants (Barry Lindon de Kubrick, Les Duellistes de Ridley Scott, Meurtre dans un Jardin anglais de Peter Greenaway voire La Jeune Fille à la Perle de Peter Waber), Rembrandt fecit 1669 ne donne pas une impression d’image léchée et artificielle surtravaillée. Il se dégage une épaisseur naturelle, une densité toute picturale, de ce voyage lent, ample et généreux dans un monde en deux dimensions. L’acteur incarnant le peintre lui ressemble de manière troublante, et l’œil du peintre (pardon, de la caméra) s’attarde sur les reflets des cheveux d’enfants, sur une main ridée qui se pose sur le balustre d’un escalier branlant, sur un visage tourné vers une fenêtre à petits carreaux. Quelques extérieurs blafard et moins accueillant que ceux de Berchem ou Ruisdael ponctuent un récit sobre et sombre, que tout amateur de peinture flamande devrait avoir vu, hymne à la lumière, à la matière et aux ombres.
Viet-Linh NGUYEN