Rédigé par 17 h 07 min Concerts, Critiques

Sous le signe de la tragédie (Rameau, Castor & Pollux, Le Concert d’Astrée, Haïm – Lille, 17/10/2014)

Cette année musicale placée sous le signe du 250ème anniversaire de Rameau a suscité plusieurs productions de son Castor et Pollux, généralement à partir de la seconde version (1754) plus aboutie que celle de 1737. Nous avions chroniqué il y a quelques mois une fort honorable version de concert donnée à Bordeaux par Raphaël Pichon.

Rameau, Castor et Pollux

Le Concert d’Astrée, dir. Emmanuelle Haïm

Opéra de Lille, 17 octobre 2014

 

© Gilles Abegg

© Gilles Abegg

Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Castor et Pollux (1775)
Tragédie lyrique en cinq actes, sur un livret de Pierre-Joseph Bernard
Version créée le 11 janvier 1754 à l’Académie Royale de Musique  (Palais-Royal)

Pascal Charbonneau (Castor), Henk Neven (Pollux) , Emmanuelle de Negri (Télaïre), Gaëlle Arquez (Phébé),  Frédric Caton (Jupiter), Erwin Aros (Mercure), Geoffroy Buffière (Grand Prêtre de Jupiter), Vladimir Hugot (Lyncée)

Figurants : Priscilla Bescond, Florine Chevrolet, Mathieu Lebot-Morin, Marion Lubat, Fanny Mougel, Mathieu Tune, Eric Vignat

Mise en scène : Barrie Kosky
Scénographie et costumes : Katrin Lea Trag
Lumières : Franck Evin
Dramaturgie : Ulrich Lenz

[TG name=”Le Concert d’Astrée” :]

Choeur du Concert d’Astrée :

Sopranos : Myriam Arbouz, Cécile Dalmon, Emmanuelle Ifrah, Dorothée Leclair, Eugène Lefebvre, Catherine Padault, Lucy Page, Isabelle Rozier
Hautes-contre : Daniel Blanchard, Jean-Christophe Clair, Arnaud Le Du, Julien Marine, Sebastian Monti, Bruno Renhold
Tailles : Romain Champion, Mathieu Chapuis, Jean-Christophe Henry, Benoît Porcherot, Pascal Richardin
Basses : Jean-Michel Anakaoua, Anicet Castel, Thomas Van Essen, Sidney Fierro, Jean-Marc Savigny, Pierre Virly
Chefs de chant : Benoît Hartoin, Elisabeth Geiger
Accompagnateur du choeur : Clément Geoffroy

Orchestre Le Concert d’Astrée :

Violons I : David Plantier, Maud Giguet, Yuki Koike, Clémence Schaming, Giorgia Simbula
Violons II : Stéphanie Pfister, Emmanuel Curial,  Isabelle Lucas, Pierre-Eric Nimylowycz, Agnieszka Rychlik
Hautes-contre de violons : Laurence Duval, Cécile Lucas, Delphine Millour
Taille de violons : Michel Renard, Diane Chmela, Marta Paramo
Violoncelles : Félix Knecht, Claire Gratton, Ariane Lallemand, Annabelle Luis, Marion Martineau, Emily Robinson
Contrebasses : Nicola Dal Maso, Ludovic Coutineau
Flûtes traversières : Jocelyn Daubigney, Olivier Benichou
Hautbois : Patrick Beaugiraud, Yann Miriel
Bassons : Philippe Miqueu, Augustin Humeau, Emmanuel Vigneron
Trompette : Guy Ferber
Percussions : Sylvain Fabre
Clavecin : Benoît Hartoin

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Direction : Emmanuelle Haïm

Co-production Opéra de Lille/ Opéra de Dijon

Représentation du 17 octobre 2014 à l’Opéra de Lille

Cette année musicale placée sous le signe du 250ème anniversaire de Rameau a suscité plusieurs productions de son Castor et Pollux, généralement à partir de la seconde version (1754) plus psychologiquement resserrée que celle de 1737. D’ailleurs, l’oeuvre nous tient fortement à cœur, en témoignent nos nombreuses chroniques et articles à ce sujets, tels l’étude de sa cosmologie, la version de concert donnée à Bordeaux par Raphaël Pichon, ou encore la toute récente production du TCE sous la baguette d’Hervé Niquet.

Après Dijon en septembre, l’Opéra de Lille accueille à partir du 17 octobre une version scénique élaborée par Barrie Kosky. Cette mise en scène opte résolument pour une lecture dramatique de l’oeuvre. L’action y est enfermée dans un cube de bois à la perspective fuyante, ses parois forment un cadre rigide autour de la scène, et les personnages s’y heurtent fréquemment comme pour tenter d’échapper à leur destin. Dès les premières mesures, Phébé y cogne sa jalousie obstinée. Lors de la scène finale, en l’absence des deux héros emmenés par Jupiter vers l’Olympe, suggérés par une pluie d’argent qui tombe des cintres sur leurs chaussures vides, Télaïre semble s’y perdre comme dans un labyrinthe… Ce parti ne constitue à notre sens qu’un des aspects de l’action décrite au livret, pas vraiment compatible avec une lecture littérale qui offre de belles pages d’amour et un dénouement heureux. Mais il fonctionne plutôt bien, d’autant qu’il s’enrichit de trouvailles bienvenues pour animer les nombreuses pages de ballet (notamment à travers de grandes farandoles des choeurs, plutôt réussies – même si on eût apprécié des danses en bonne et due forme). Nous avons seulement regretté des effets trop appuyés, qui virent parfois au “trash” sordide : les combats façon “catch” avec les traces de sang sur les visages de Castor, Pollux et Lyncée, la présence de la dépouille de Castor lors des lamentations de Télaïre, les projections violentes et répétées des personnages sur les parois… Le parti pris initial est suffisamment explicite pour le spectateur ; le forcer à gros traits confère le sentiment un peu désagréable qu’il n’est pas en mesure de saisir cette intention.

Sous la baguette d’Emmanuelle Haïm, l’orchestre du Concert d’Astrée se montre particulièrement convaincant, avec des parties claires et sensibles qui traduisent dès l’ouverture une émotion contenue mais bien présente, une ligne dynamique et fluide parfaitement maîtrisée, des sonorités moëlleuses qui font vibrer les pages orchestrales et les choeurs. Le Choeur d’Astrée s’accorde avec précision sur cette riche pâte orchestrale, faisant briller ses différents registres en d’étourdissantes farandoles voulues par la mise en scène, qui en accentuent ses effets sonores. Qu’il s’agisse du triomphant “Chantons l’éclatante victoire” au premier acte, du frémissant “Que tout gémisse” (démarré en coulisse) au début du second, du voluptueux “Voici des dieux l’asile aimable” ou du valeureux “Brisons tous nos fers” au troisième acte, chacune de ses interventions constitue un véritable régal pour l’oreille.

Côté interprètes la voix mate et cuivrée de Gaëlle Arquez sied parfaitement à cette vision dramatique. Sa projection d’airain campe à merveille la femme aimante déterminée à tout entreprendre pour arracher Castor à sa soeur (“En ce moment fatal”). Son intervention au final du troisième acte est proprement stupéfiante. Face à elle Emmanuelle de Negri incarne une Télaïre en quête incessante de son amour (“Eclatez mes justes regrets”), au destin impitoyablement broyé à la scène finale ; la pointe d’acidité qui orne sa voix en suggère l’anxiété nerveuse. Son “Tristes apprêts, pâles flambeaux” développe en de beaux reflets moirés l’émotion vibrante amorcée par les instruments. Soulignons aussi le duo réussi des deux chanteuses qui se partagent habilement le rôle de l’Ombre Heureuse au troisième acte, dans les poses lascives imaginées par la mise en scène pour retenir Pollux au royaume des Plaisirs…

Le plateau masculin n’offre malheureusement pas la même homogénéité. Le Pollux de Henk Neven possède une diction précise, très légèrement sourde dans les graves, en phase avec sa dignité royale. La projection est généreuse, le timbre stable sur toute l’étendue du registre ; le baryton basse néerlandais exprime avec vigueur son sens dramatique dans les scènes du quatrième acte avec Castor. Dans le rôle de ce dernier Pascal Charbonneau nous a en revanche profondément déçu : diction encombrée et vibrato trop large ont vite lassé nos oreilles… Quel dommage qu’il n’ait su rendre justice aux belles pages que la partition lui réserve ! 

La mise en scène fait de Mercure un personnage putôt caricatural, avec ses deux grandes ailes blanches qui oscillent dans le dos de son costume de ville… Côté vocal, on reste également proche de la caricature, avec un Erwin Aros aux aigus par trop tirés et là aussi un vibrato trop large (“Eclatez, éclatez, fières trompettes”, heureusement couvert en partie par la trompette de l’orchestre, qui sonne pour sa part magnifiquement). Le visage du Jupiter de Frédéric Caton disparaît sous le voile noir qui tombe de son haut-de-forme, lui conférant un caractère énigmatique. Sa voix appuyée sur une diction impeccable fait montre d’une projection affirmée (“Enfants du ciel, charmes de mon empire”). Son Grand-Prêtre, incarné par un Geoffroy Buffière affublé de longs doigts d’argent effilés (!), maîtrise sans peine la diction solennelle qui convient pour annoncer sa venue (“Le souverain des dieux”).

Que faut-il retenir de ces appréciations mitigées ? Une mise en scène au parti original et plutôt convaincant, deux interprètes féminines de premier plan qui confirment amplement la gratitude du public, et par-dessus tout la prestation de l’orchestre du Concert d’Astrée et de ses choeurs, qui ont soutenu sans faille cette représentation, sous la baguette avisée et sensible d’Emmanuelle Haïm.

Bruno Maury

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 23 octobre 2014
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