Per l’orchestri di Dresda
Johann David Heinichen (1683-1729) : Diana sull’Elba, S.200 : Sonata
Jan Dismas Zelenka (1679-1745) : Il Serpente di bronzo, ZWV 61 : « Potrei sovra degli empi » (Dio)
Zelenka : I Penitenti al sepolchro del redentore, ZWV 63 – Introduction
Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Concerto pour violon en ré majeur, TWV 53:D5
Heinichen : Missa no.12, S.7 : Et in spiritum sanctum
Heinichen : Missa no.9, S.5 : Concertino – Crucifixus
Johann Joachim Quantz (1697-1773) : Concerto pour deux flûtes en sol mineur, QV 6:8
Johann Georg Pisendel (1687-1755) : Sonata pour orchestre en ut mineur, J.III.2
Johann Friedrich Fasch (1688-1758) : Ouverture à deux orchestres en si bémol majeur, FaWV K:B1
Zelenka : Missa dei Filii, ZWV 20 : Christe eleison
Heinichen : Concerto en fa majeur, S.234
Coline Dutilleul (soprano)
Stephan MacLeod (basse)
Stefano Rossi (violon)
Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie
Direction Alexis Kossenko
1 CD digipack, Aparté, 2021, 82′
Depuis septembre 2021, « Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie » constitue la fusion de deux formations musicales bien connues : les Ambassadeurs fondés en 2010 par le flûtiste Alexis Kossenko d’un côté, de l’autre la vénérable et vénérée Grande Écurie et Chambre du Roy fondée en 1966 par Jean-Claude Malgoire et orpheline depuis sa disparition. L’on regrettera que « la Chambre du Roy » ait disparu du nom du nouvel ensemble, mais il est vrai que « Les Ambassadeurs – La Grande Écurie & la Chambre du Roy » aurait été longuet. Troisième homme de l’équation : l’orchestre de Dresde. Il fut l’un des plus renommés de l’Europe des Lumières et son répertoire nous est connu puisque, miraculeusement, la bibliothèque de la « Florence de l’Elbe » survécut aux aléas de l’Histoire. On doit la propulsion de la Hofkapelle Dresden à Auguste le Fort (1670-1733). Johann Georg Pisendel assista puis succéda à Jean-Baptiste Volumier en tant que premier violon d’un orchestre renommé, qui attirait les plus grands virtuoses du temps (rien moins que Weiss au luth, Zelenka à la contrebasse). Cet orchestre mythique se distingua par la richesse de ses effectifs et la part dévolue aux bois et cuivres dus à un tropisme versaillais. Vivaldi lui dédia ses fameux « concerti per l’orchestra di Dresda » utilisant abondamment les cordes, vents et bois, avec des soli successifs pour que tous les virtuoses puissent s’exprimer. Mais Dresde retentit des sonates ou concertos de bien d’autres compositeurs à l’instar de Heinichen, Telemann, Stölzel, Pisendel, Petzold, ou Brescianello. Voulant concurrencer Vienne ou Munich, Auguste le Fort fit également bâtir en 1718-19 le grosses Opernhaus pouvant accueillir jusqu’à 2000 spectateurs et que Hasse dirigea de 1731 à 1764, lorsque l’opéra se taillera finalement la part du lion au détriment de la musique instrumentale.
Pour ce premier volume « Per l’Orchestra di Dresda », Alexis Kossenko a rassemblé un concentré voluptueux d’œuvres instrumentales et vocales de Zelenka, Fasch, Pisendel, Quantz et Heinichen, gardant sans nul doute les œuvres plus connues de Vivaldi pour les volumes à venir. Le disque débute par l’ouverture de Diana sull’Elba de Heinichen, très italianisante. Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie y expriment toute leur fougue gourmande, énergique et colorée, où les acrobaties périlleuses et goulues des trois cors de chasse virtuoses de Lionel Renoux, Jean-François et Pierre-Yves Madeuf entraînent l’auditeur dans un tourbillon optimiste et virtuose (et sans correction pavillonnaire ce qui constitue un tour de force que peu de cornistes savent atteindre !). Cette lumière chatoyante et fantasque, ce grouillement débordant de vitalité, ces cordes nerveuses sans aspérités, cette basse continue pulsante, ces mélodies chantantes sans arrières-pensées ne quitteront plus l’auditeur, prisonnier de tant de musicales tensions et attentions. Alexis Kossenko a assemblé des cépages bien différents : outre la multitude de compositeurs, on jette dans le chaudron airs d’opéras, mouvements de motets religieux mélangés à des concertos et sonates. L’unité est apportée par l’enthousiasme de la direction robuste et le swing de l’orchestre juvaminé : un ensemble somptueusement opulent, aux corps épais, au sang généreux, au nez boisé, bien assis sur ces graves, texturé et riche. Il faut dire qu’il compte 25 cordes, 6 hautbois, 4 bassons, 8 flûtes droites ou traversières et que la prise de son rend justice à cette pâte ample et généreuse. Avec une telle phalange, ces attaques carrées et robustes, on fait moins dans la dentelle que dans la manœuvre de phalange macédonienne et certains déploreront un Zelenka un peu terrien. Mais que dire du magnifique Concerto pour violon de Telemann TWV53:D5 d’une classe audacieuse et d’un allant irrésistible. Le violon de Stefano Rossi, jouissif et joueur, lyrique sans abstraction, d’une précision solaire, combat à armes inégales avec son orchestre étonnamment souple. Avec Alexis Kossenko, les éléphants savent danser, et Auguste le Fort perd presque son embonpoint (il tiendrait en partie son surnom de ses démonstrations de force physiques telles casser des fers à cheval…). On aime cette manière rabelaisienne d’Alexis Kossenko de laisser l’orchestre foncer jusqu’à bout de souffle, et le cueillir, attendri et grelottant, à danser sur un Adagio de plume, à la poésie sensible. Art du contraste, plus que du clair obscur car on trouvera ici une stupéfiante clarté doublé d’en entrain boulimique. Le Concerto pour deux traversos en sol mineur de Quantz, sautillant et champêtre, préfigurant par quelques accents un Empfindsamkeit plus tendre, comporte une section centrale « amoroso con sordini » d’une sérénité altière, qui laisse les flûtes d’Alexis Kossenko & d’Amélie Michel soupirer avec galanterie.
Avouera t-on que ce sont les extraits de motets qui nous ont moins convaincus ? D’abord parce qu’ils sont démantelés et jetés ça et là malgré le soprano corsé et plein de Coline Dutilleul. Ensuite parce qu’ils sont bien sophistiqués, plus extravertis que fervents. L’ « Et in spiritum sanctum » de la Missa n°12 de Heinichen, un peu vivaldien, se perd dans ses opératiques méandres, et la soprano doit surmonter les entrelacs d’un envahissant accompagnement et de flûtes omniprésentes. Et si Stephan MacLeod tire son gosier du jeu, c’est par la profondeur stable et sereine de sa voix de basse généreuse et parce que le Cruxifixus de sa Missa n°9 est plus recueilli malgré là encore des bois et cordes trop présents. Pour finir en continuant de dénigrer ce pauvre Heinichen, ce disque tonitruant aux reflets nacrés se conclut sur son concerto en fa majeur, d’une amabilité à la fois agréable et oubliable. On attend les autres volumes avec impatience (avec un faible pour les productions de Vivaldi, Telemann et Zelenka si possible) !
Viet-Linh Nguyen
Technique :prise de son ample, un brin réverbérée, très beau rendu des textures orchestrales, voix couvertes mais cela respecte peut-être la dynamique réelle de la captation.
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