Rédigé par 20 h 14 min CDs & DVDs, Critiques

Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change (Leclair, Sonates pour violon, Plantier, Les Plaisirs du Parnasse – Ricercar)

Jean-Marie LECLAIR (1697-1764)
“Le violon des Lumières” : Sonates pour violon des Livres II, III et IV

Sonate en sol majeur Opus 5 n°12, Livre II
Sonate en si bémol majeur Opus 5 n°4, Livre III
Sonate en do majeur Opus 5 n°10, Livre III
Sonate en la mineur opus 9 n°5, Livre IV
Sonate en sol majeur Opus 5 n°12, Livre III

David Plantier, violon Giovanni Battista Guadagnini, Parme, 1766

Les Plaisirs du Parnasse :
Annabelle Luis, violoncelle Nicolas Augustin Chappuy, Paris, 1766
Violaine Cochard, clavecin
Ludovic Coutinou : contrebasse

1 CD, Ricercar, 2021, 76’51

Un peu comme Meurtre dans un Jardin anglais (d’ailleurs Leclair finit mystérieusement assassiné à 67 ans, poignardé, à son domicile dans la nuit du 22 au 23 octobre 1764 et ce cold case ne sera sans doute jamais élucidé), il faut écouter et re-écouter plusieurs fois ce superbe disque pour l’apprécier pleinement. Pourquoi ? Parce que David Plantier marche dans le sillon de deux autres très grands interprètes, François Fernandez somnambule intense sans cesse sur le fil du rasoir (sonates extraites des Livres I et IV chez Astrée Auvidis) et Fabio Biondi à la diction lyriquement voilée (sonates extraites du Livre I chez Arcana). Or, David Plantier a sélectionné – avec finesse – des sonates issues des Livres II, III et IV pour violon et basse continue. A l’inverse de son Opus VII italianisant et moins profond, ces Livres-ci dénotent une écriture très personnelle, certes virtuose mais dont la noblesse presque sévère étonne. Qu’on songe que ce IVème Livre date de 1738, en plein règne du bien-aimé, et pourtant il reste là une droiture très Louis quatorzienne et des élans corelliens.

Nous disions qu’il fallait écouter à plusieurs reprises cet enregistrement avant de l’entendre. Parce qu’il est lumineusement équilibré. Parce qu’il est à la fois disert et discret. Parce que ce Leclair, loin du caractère instable, sombre et ombrageux du compositeur à la ville, est un Leclair complexe mais apaisé, et plus italianisant que celui de François Fernandez, sans le lyrisme fort et extraverti de Biondi. C’est une merveille qui ne dit pas son nom, ne s’affirme guère, un Couperin du violon. Alors oui, David Plantier doit s’apprivoiser. Mais écoute après écoute, l’on apprend à le connaître. Prenons une sonate au hasard, ou presque. La sonate en si bémol majeur opus V, n°4, extraite du Troisième Livre. L’Adagio s’enroule et ce Guadagnini de 1766 chante et crisse dans les aigus sous l’archet souple du violoniste. Le phrasé éloquent et naturel, les accents présents mais peu accentués, les respirations souriantes mais brèves. David Plantier ne sculpte ni ne s’abandonne pas ici mais sa retenue inspirée force le respect. Même chose du côté des ornements, glissés sans attirer l’attention. L’Allegro ma non tropo, mélodique et puissant, dansant sans être léger, prolonge ce discours mais y ajoute une pointe de virtuosité charmante sans spectaculaire. On imagine Madame Henriette et son demi-sourire. Insondable Leclair, et parfois un peu trop aimable David Plantier, qui ne résiste pas la douceur d’une arabesque, accompagné avec grâce par les Plaisirs du Parnasse, et notamment le remarquable violoncelle d’Annabelle Luis et le soutien harmonique cristallin de Violaine Cochard. Et si c’était cela qui nous avait gêné ? Que ce Leclair glisse parfois avec un optimisme qu’on ne lui prêtait guère, une assurance brillante et soit un peu contrasté. Car la Sarabande, précise, nette, chirurgicalement noble est une leçon de “beau chant” et David Plantier sait qu’il ne faut ni presser ni trivialiser la partition pour extraire cette sève si particulière, alchimie d’ampleur mélodique et d’expressivité resserrée. La sonate se termine sur une superbe Ciaconna (encore plus belle que celle plus rustique de la Sonate n°12 du même Livre également au programme), jardin clos, monde à soi. Tout l’enregistrement est à l’avenant et mérite sa place au Parnasse du violon.

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : captation nette et fidèle, privilégiant les violon et violoncelle ; clavecin et contrebasse assez en retrait.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
Fermer